... I'll Call You By Mine

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J’aurais pu baffer Jean-Mi, j’aurais même dû le faire, tiens ! Jamais on spoile la fin d’un film, ‘tain ! Bon, je sais pourquoi il l’a fait, un peu parce qu’il est con, beaucoup par dépit, mais lui, je pourrais jamais, déso-pas-déso, faut tirer la ligne quelque part, et pas seulement parce qu’il a l’âge d’être mon père…

- Des projets pour ce soir, mon mignon ?

- J’ai téléchargé Call Me By Your Name, ai-je glissé, avant d’ajouter sournoisement "En VOST…"

- La co-ïn-ci-deeen-ce ! Un pote me l’a copié sur une clé, je me le referais bien ce soir, moi aussi. Le film, pas mon pote, hahaha… En version doublée, et c’est bête que tu sois un tel geek, on aurait pu se le regarder à deux, j’aime pas les sous-titrages.

Non mais ça, je m’en doute, ils défilent trop vite pour ses neurones, un peu pour ça que j’ai insisté, d’ailleurs, je le voyais venir, gros comme un camion, et les deux heures du film avec sa main sur ma cuisse, ce sera toujours 'No way, José'.

- Dommaaage" a-t-il gémi "Je pleurerai seul en serrant un coussin quand Oliver abandonne Elio, fin brutale, générique."’

- Tu l’as fait exprès de spoiler, avoue, Jean-Mi.

- Wooops ! Dééésooolééé… Mais regarde-le tout de même, tu verras, l’acteur qui interprète Oliver est beaaau !

Bon, au final, j’ai juste grogné pour la forme, il ne m’a pas vraiment gâché le plaisir du film qui, même en en connaissant la fin, est superbe. En plus, j’imagine qu’il doit lui rappeler sa jeunesse, je ne situe pas trop l’époque, mais là, Elio et Oliver dansent comme des gogols sur un truc des années ’80, je pense, ‘du temps où MTV passait encore de la bonne musique’, comme dit souvent papa. Et ça participe pas mal à l’ambiance rétro-mais-pas-trop, puis vu les paroles, le choix de la chanson n’était pas anodin, je me dis.

‘’Love my way, it's a NEW ROAD, I FOLLOW WHERE MY MIND GOES’’

Hey ! Le volume du son a doublé, c’est quoi ce téléchargement pourri ? Vite, régler le niveau sonore. Je dirige le doigt vers le pad de mon ordi… qui a disparu ! Comme les murs de ma chambre d’étudiant, et il n’y a rien entre mes yeux et le sol, où mes pieds nus, en tongs, sont posés sur une pelouse galeuse. Puis cette fumée de cigarette poussée vers mon visage par un petit vent doux, mais il se passe quoi, là ?

Je dois m’être endormi. Sauf qu’en rêve, on ne se dit pas qu’on rêve. Alooors…

Je suis dans le film ! Bon, autant celui-ci que World War Z, mais quand même ! J’ai posé la main sur l’épaule d’une fille qui a sursauté avant de me fusiller du regard, et pas de doute, elle est bien réelle, tout comme à quelques mètres, en 3D… Timothée Chalamet. Sauf que non, il n’y a pas d’équipe de tournage ni de caméra, je suis dans le film, donc, techniquement, c’est Elio, le personnage. Qui est réellement gay, lui. Enfin, réellement…

Soudain, changement de scène, je me retrouve devant la porte entrouverte de la chambre d’Oliver, mais avant d’assister à leur premier petit bisou, je suis poussé en avant par le traveling de la caméra le long du couloir, jusqu’à la terrasse. On dirait que dans cette… dimension ? la ligne du temps est déformée, comme séquencée pour coller au déroulement du film. Vraiment bizarre.

Je me suis laissé emporter par l’histoire, témoin discret, jusqu’à la fin, dévoilée par l’autre abruti, avec l’appel téléphonique nocturne – décalage horaire oblige - d’Oliver, rentré aux Etats-Unis, qui annonce à Elio qu’il va se marier, le désespoir du garçon et la conversation hyper-émouvante avec son père.

'Au moins, j’aurai tenu jusqu’au bout sans verser de larmes' me suis-je dit, 'petite victoire sur Jean-Mi, son coussin doit être trempé, là'.

Un peu inutilement, j’ai commencé à imaginer la suite de la vie d’Elio, en attendant le générique de fin… qui ne vient pas. On doit être le lendemain, là, les rayons du soleil lèchent le piano, où Elio rejoue le morceau classique qu’il a interprété à la moitié du film, et cette fois, il n’est plus avec Oliver, mais avec son amie Marzia. Ça voudrait dire que… que l’histoire continue ? Et surtout, alors que ses doigts glissent sur les notes, il vient de me lancer un sourire toujours un peu triste, c’est donc qu’il me voit ! Puis que je vais pouvoir le consoler, et lui faire oublier cette pauvre tache d’Oliver, boss battu, combo, passage de niveau, yesss !

J’ai retenu à grand peine un sourire – un peu cruel, là – à l’idée que dans cette théorie encore un peu absurde de multivers, s’il lui est arrivé la même chose qu’à moi, Jean-Mi est coincé dans une dimension où il suit son perso préféré, qui s’est résolu à une vie hétéro-plan-plan et ne répondra jamais à ses espoirs… Je le plaindrai bien, mais je dois me consacrer à Elio, là.

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