Lisa, someone to love…

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L’amour, on compare ça souvent à un océan /

J’dis ça, j’suis pas l’bateau, j’suis pas d’dans /

J’ai quelques amis navigants /

Ils sont navigants /

Moi, j’ai déjà tellement d’eau qui fout l’camp… »

Junior Suite

Paroles :Didier Golemanas

Musique : Alain Chamfort

Interprète : Vanessa Paradis

Malcolm ! You can’t leave me here ! Malcolm !

La portière avant de la Mercedes se referma brutalement, abandonnant la jeune femme sur le sol humide. Le coupé redémarra en trombe dans un crissement de pneus.

Une heure très avancée de la nuit sur cette aire d’autoroute entre Chambéry et Lyon. Quelques minutes plus tôt, le couple se déchirait sur la file de gauche à plus de 180 km/h. Et puis, la traversée aventureuse des deux voies pour venir s’échouer sur un parking peu engageant, à peine éclairé de rares lumières blafardes.

Elle se releva péniblement sous la pluie battante. Un éclairage cru, presque aveuglant. C’était son phare dans l’obscurité. Elle titubait dans l’ombre. Le déluge incessant détrempait sa trop courte robe et l’humidité s’insinuait jusqu’aux tréfonds de son être. Elle grelottait. Plus que quelques mètres avant d’être à l’abri. Captant sa présence, la double-porte coulissante s’effaça et elle m’apparut soudainement, ses talons aiguilles à la main.

J’étais accoudé à une table haute, humant un nectar infâme censé me réveiller. La légèreté de ses pas, la grâce qui se dégageait d’elle m’interpellèrent. Sur l’instant, elle ne me remarqua même pas. Elle se précipita sur le distributeur de boissons, et réalisa promptement qu’elle n’avait pas un centime sur elle.

Shit ! rugit-elle en tambourinant sur la machine de ses poings rageurs.

Elle lâcha ses escarpins sur le carrelage et éclata en sanglots. Ses grands yeux délavés papillonnaient d’une tristesse palpable. Ses immenses cils fardés s’ourlaient de larmes et le rimmel se diluait sur ses joues que balayaient de longues mèches emperlées. Ton image me revint alors en mémoire. Tout en elle me rappelait ce que tu avais été pour moi. La même détresse dans le regard juste avant cet instant fatidique qui me priva de toi. La même sensualité, les mêmes gestes. C’en était saisissant…

Je m’approchai lentement d’elle pour ne pas l’effrayer.

Mademoiselle ? Eh, Mademoiselle ? Ça ne va pas ?

Elle me fixa comme si je n’avais pas le droit d’être là, moi le violeur d’intimité. Elle renifla en tentant de ravaler ses larmes.

C’est juste que je n’ai pas d’argent pour me payer un café…

Vous permettez que je vous l’offre ?

Elle accepta en esquissant un modeste sourire. Je sortis la monnaie de la poche de mon blaser et insérai les pièces dans la fente du distributeur. Pendant que le curieux breuvage se préparait, je remarquai qu’elle frissonnait. Je lui proposai ma veste.

Tenez, mettez ça, sinon vous allez attraper la mort.

Merci, vous êtes gentil…

Elle avait ce délicieux accent qui rendait irrésistible la moindre parole qu’elle distillait avec parcimonie. Elle porta le gobelet à sa bouche qu’un trait de gloss rosé habillait de glamour.

Vous êtes anglaise ? me hasardai-je pour rompre le silence.

Entre deux gorgées, elle me répondit.

No, I’m american. From Virginia.

Je me présente : Aymeric Maréchal. Et vous, c’est quoi votre prénom ?

Lisa. Lisa Vernet.

Enchanté Lisa. Et que faites-vous toute seule ici, en pleine nuit ?

Elle se fit hésitante, puis dut penser que je n’avais pu manquer la scène durant laquelle elle avait violemment été débarquée du prestigieux coupé allemand.

Je me suis disputée avec mon mari…

Je ne répliquai d’aucune sorte, m’efforçant de demeurer impassible. Mais elle nota sans doute mon indicible réprobation.

Ça ne vous arrive jamais à vous, de vous engueuler avec votre femme ?

Tu n’avais pas eu le temps de le devenir. Je choisis mes mots.

J’imagine que si une pareille chose survenait dans ma morne existence, je ne congédierais pas ma compagne de la sorte sur une aire d’autoroute à trois plombes du mat’…

I hate froggies !

Plaît-il ?

Vous, les Français, vous vous croyez toujours si supérieurs aux autres, au-dessus de toutes ces considérations que vous qualifiez de mesquines !

Hé ! Doucement, je n’ai rien à voir dans vos querelles d’amoureux moi !

Et vous, qu’est-ce que vous faites sur les routes à une heure pareille ? esquiva-t-elle.

Je rentre de Venise.

Venise. Nos souvenirs. Et tout le reste.

Votre dame vous attend probablement sagement dans votre voiture ?

Non, ça fait des lustres qu’elle n’en a plus l’occasion…

Au début, je comptais les jours, les semaines, puis les mois. A présent, des années entières me séparaient de toi.

Oh ! Je me suis sans doute montrée trop indiscrète.

Vous ne pouviez pas savoir. Personne ne va jamais seul à Venise. Personne sauf moi…

Une rupture douloureuse ?

Je fouillai nerveusement dans ma poche à la recherche de mon paquet de cigarettes et de mon briquet. Pour me donner une contenance peut-être… T’évoquer m’était tellement…

Elle… Elle n’est plus. Alors Venise, c’est une espèce de pèlerinage. C’est dans cette ville, sur la place Saint-Marc, que je lui ai demandé sa main.

Ta main. Le soleil qui dansait dans tes reflets cuivrés. Toi.

Elle se troubla. Je lui proposai une clope qu’elle refusa.

Je mets toujours les pieds dans le plat. So sorry…

C’est de l’histoire ancienne tout ça…

Il me fallait t’oublier. Je n’en pouvais plus de cette putain de solitude. Pardonne-moi.

Vous comptez rester ici toute la nuit ?

He’ll be back, I mean my husband.

J’en suis moins certain que vous. Il y a un hôtel à quelques mètres de là, vous pourriez peut-être vous y reposer en attendant le lever du jour…

What ? s’emporta-t-elle avec véhémence. Your proposal is so shocking ! I’m not that kind of girl !

Elle paniqua. Elle me prenait pour un satyre. Elle se trompait. Complètement.

Non Lisa, ne vous méprenez pas ! Ce n’est pas du tout ce que vous croyez. Je me suis mal exprimé. Je ne peux pas m’éterniser ici, j’ai un rendez-vous sur Paris. Je suis assistant juridique dans une maison d’édition. Je ne suggérais rien de plus que l’hospitalité d’une chambre pour vous seule.

Oh ! Anyway, I can’t accept it…

Voulez-vous que je vous réserve un taxi alors ?

La belle jeune femme ne put me répondre. Elle se mit à blêmir, et son entrejambe devint rouge sang. La douleur la plia en deux. Elle suffoqua entre deux spasmes. Sur le moment, je ne compris pas ce qu’il se passait.

My baby, I’m loosing my baby…

Vous voulez dire que vous êtes enceinte ? Mais depuis combien de temps ?

Three weeks ago, me souffla-t-elle avant de s’évanouir dans mes bras.

Je ne supporterais pas de revivre deux fois le même cauchemar. Comme si ce fichu destin s’échinait à ruiner toutes mes histoires avant même qu’elles ne commencent.

Lisa ? Répondez-moi ! Lisa ? Lisaaaaa…

Je composai le 112. Je ne pouvais pas la perdre. Pas maintenant. Pas comme je t’avais perdue toi.

***

CMPEA de Bourgoin-Jallieu, quelques heures plus tard…

Lisa revint lentement à elle en ouvrant ses paupières encore ankylosées.

Where am I ?

A l’hôpital. Tout ira bien désormais. Vous êtes sortie d’affaire.

Et mon bébé ? Qu’est-ce qui est arrivé à mon bébé ? Is he still inside me ?

Je hochai négativement de la tête. Elle fondit en larmes.

Voulez-vous qu’on contacte votre mari ?

Non. C’est de sa faute tout ça. Il n’en voulait même pas.

Vous avez des amis, de la famille ?

Not in France.

Alors je ne vous quitte pas…

Et votre rendez-vous professionnel à Paris ?

Mon boss va sûrement me virer mais je m’en fous. Je ne veux pas vous laisser toute seule. Parce que je crois que…

Je ne trouvais pas mes mots. Je voulais juste être auprès d’elle, et elle le comprit, saisit ma main.

Aymeric, promise me you’ll never let me down. Please, promise me.

I promise you, girl. Forever yours.

Forever yours. And forever hers.

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