Chapitre 10 : Chaleur

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 Vous connaissez cette sensation. Celle de ne plus rien sentir, voir, ou entendre. Celle de reposer dans un néant infini qui vous dévore jusqu’au moindre atome. Vous avez encore une fois vécu la mort, mais étrangement, vous êtes convaincu d’être toujours en vie. Un long moment s’écoule sans que vous ne puissiez rien faire dans ces ténèbres qui vous enveloppent, quand enfin, votre ouïe redémarre, comme un vieil ordinateur qui peine à s’allumer. Vous entendez plusieurs voix, aussi bien humaines qu’animales. C’est celle de Connille qui vous parvient en premier. Elle s’inquiète pour vous et vous supplie de vous réveiller. La deuxième voix qui vous atteint est celle de Léon, qui semble discuter avec un vieil homme, probablement son grand-père. Enfin, un ronronnement vous tire de ce long sommeil.

  • Hé oh ! Tu te réveilles, sale paresseux ?

Vous ouvrez lentement les yeux et ce qui se tient devant vous en vous regardant d’un air sévère n’est autre qu’un chat ! Un gros chat dont les poils ébouriffés sont de la même couleur que les vôtres. Il est le genre d’animal domestique à ne jamais sortir et à préférer rester au chaud. Un fainéant, en somme. Alors que vous reprenez lentement connaissance, c’est Connille qui se jette brutalement à votre cou. Elle pleure toutes les larmes de son corps tout en répétant la même phrase inlassablement.

  • J’ai eu peur que tu sois mort !

 Ainsi donc, la petite lapine ne vous a pas abandonné ? Vous pensiez qu’elle n’était avec vous que pour être protégée, et que lorsqu’elle verrait à quel point vous êtes faible, rien ne la retiendrait de partir. Vous aviez tort. La créature aux grandes oreilles est une véritable amie. Elle ne vous apprécie pas pour votre puissance, mais pour ce que vous êtes, ce qui est une première, jamais quelqu’un ne s’est rapproché de vous pour autre chose que vous utiliser. En voyant votre amie pleurer pour vous, s’inquiéter de votre santé, et rester avec vous en toutes circonstances, c’est une bourrasque de bonheur qui vous envahit et vous donne ce sentiment de plénitude. Vous pouvez enfin goûter à la vie.

 Vous regardez autour de vous, et vous voyez Léon et son grand-père qui vous sourient. Une odeur familière titille alors vos narines : il s’agit de celle du genévrier. La même mixture que vous avez utilisée sur Ginro vous est étalée sur le flanc, recouverte par des bandages. Vous comprenez directement que ce n’est pas Connille qui vous a soigné, puisqu’elle en serait incapable, mais bel et bien le vieil homme assis face à vous. Le temps a blanchi ses cheveux mais vous retrouvez les mêmes yeux verts que Léon sur son visage. Il se lève, s’approche de vous, s’accroupit, puis se met à vous caresser la tête en souriant.

  • Pardonne-moi, c’est moi qui t’ai infligé cette blessure, je pensais que tu nous voulais du mal, à Léon et moi…

Il s’arrête quelques secondes avant de reprendre.

  • Mon petit fils m’a dit que tu l’avais sauvé d’un ours et que tu l’avais raccompagné chez lui. Je te remercie ! Je n’ai jamais vu un loup aussi gentil ! Je te promets que je ferai tout pour te soigner, heureusement que je n’ai pas trop enfoncé ma fourche !

Léon s’approche à son tour pour vous caresser lui aussi d’une main. L’autre main étant occupée à faire des papouilles à son chat.

 Ce chat, justement, vous regarde sévèrement. Sa queue se balance périodiquement au rythme des doigts de son maître. Il se met soudain à miauler en continuant de vous fixer.

  • Tu ferais mieux de guérir plus vite que ça et de partir !
  • Mais… N-Ne me dis pas que tu es j-jaloux ?!
  • Quoi ?! Mais non pas du tout, j’ai rien à prouver d’abord ! s’énerve-t-il.

Sa réaction en dit long. Il est effectivement jaloux que ses maîtres dorlotent un autre animal que lui. Vous trouvez cela mignon, et vous esquissez un sourire sans lui répondre.

 En vous levant, vous remarquez que vous n’avez plus aucune douleur et que vos mouvements sont fluides. Vous décidez alors de sortir sous les flocons. Les habitants de la maison vous suivent et c’est alors que vous utilisez vos pattes pour écrire à nouveau dans la neige : « MERCI ». Le grand-père écarquille les yeux, choqué de ce que vous venez de faire.

  • Mais ! Tu sais écrire, tu comprends le langage des humains ?! Incroyable…
  • Ah oui je te l’avais pas dit papy ! Ce loup il est super intelligent ! réagit Léon.
  • Tu es un loup étonnant, conclue le vieil homme en vous caressant à nouveau la tête.

Après avoir profité quelques minutes du ciel étoilé, vous rentrez dans la chaumière pour vous réchauffer près de la cheminée. Léon vous tend alors une gamelle avec une sorte de soupe au parfum très agréable.

  • C’est de la lisse esseulée !
  • De l’anis étoilé, Léon ! corrige le grand-père.
  • Mon grand-père il est herboriste, il connaît plein de potions pour guérir les gens ! Bois ça, ça te fera du bien !

Vous vous exécutez. La boisson chaude apaise votre corps et votre esprit, et vous restez dans ce petit cocon qu’est la maison de ces humains… et du chat. Vous avez l’impression de retomber en enfance, à l’époque où vos parents ne vous détestaient pas, ce qui vous apporte une énorme satisfaction.

 Le jour de votre renaissance en tant que loup, vous vous étiez promis de ne plus côtoyer d’humain car ils vous avaient trop fait souffrir par le passé. Mais peut-on vraiment éviter autrui pour toujours ? Rester solitaire à jamais ? La vérité, c’est que vous vous sentez à l’aise avec l’enfant et le vieillard. Vous ne sauriez dire quoi, mais quelque chose vous attire vers eux. Votre passé d’humain en est sûrement la cause, mais vous sentez que vous êtes lié à eux d’une manière ou d’une autre. Peut-être n’êtes vous jamais tombé sur de bons humains ? Des humains qui ne vous créeraient pas de tort, pas de souffrances. Des humains bons, justes, et qui vous voient comme celui que vous êtes réellement ? La malchance n’est-elle pas la seule cause de votre douloureux passé ? Ou bien est-ce le destin qui en a voulu ainsi ?

***

 Après avoir passé la nuit avec vos nouveaux amis, vous vous mettez en tête de repartir. Avant de quitter la demeure, vous empruntez un petit flacon de purée de genévrier qui traînait sur une étagère. Une fois que vous avez terminé de remercier vos hôtes, vous revenez sur vos pas en direction de la clairière de l’ours, toujours accompagné de votre fidèle petite camarade qui a véritablement toujours quelque chose à raconter.

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