Chapitre 3 : Cruauté

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 Une ombre se dirige vers vous à toute vitesse. Vous apprenez à vos dépends que les loups ne voient pas très loin, puisque ce qui arrive est encore flou. Ce n’est que lorsque la silhouette se rapproche que vous pouvez enfin l’identifier, il s’agit d’un lapin des neiges. Comme son nom l’indique, il est si blanc qu’il se fond parfaitement dans le décor. Ses yeux d’un rouge vif vous fixent quelques secondes et ses pupilles vous donnent l’impression de vous aspirer. Tout à coup, la frêle créature hurle de peur en prenant conscience de cette apparence effroyable qui est la vôtre depuis peu.

  • Ahhh, un loup ! C’est vraiment pas mon jour de chance !

Vous sentez, grâce à votre odorat supérieur, que quelque chose arrive derrière votre ami aux grandes oreilles. Il s’agit d’un autre loup. Il s’arrête à quelques mètres de vous, et vous fixe avec une envie meurtrière palpable. Son pelage, à la différence du votre, est gris. Sa fourrure est tâchée à plusieurs endroits, des traces de sang et de terre. Le lapin, ainsi encerclé par deux prédateurs se met en boule et tremble de peur. L’ennemi qui vous fait face prend alors la parole, ou plutôt le grognement :

  • T’es qui, toi ? Tu fais pas partie de la même meute que moi, tu fais quoi sur notre territoire ?
  • Euh… rien… je viens d’arriver…
  • Ah ouais ? Bah laisse moi te dire une chose : tu ferais mieux de déguerpir, premièrement j’ai vu ce lapin en premier, et deuxièmement t’as pas à venir sur la terre des autres comme ça !
  • Mais je…

Le loup vous coupe en s’avançant vers le gibier devant lui. Il commence à baver et ses yeux hurlent sa soif de sang.

 Vous fixez la proie qui tente tant bien que mal de se camoufler sous la neige. Alors cette petite créature va se faire manger, là, sous vos yeux ? Décidément, il y a des prédateurs et des victimes partout… Vous vous remémorez le temps où vous étiez humain, et vous revoyez votre reflet dans ce pauvre petit lapin. Vous aviez décidé d’apprendre à chasser pour survivre, mais en contemplant devant vous un animal sur le point de se faire dévorer, vous changez d’avis. Il est impossible de rester sans rien faire.

 Instinctivement, votre regard se tourne vers votre semblable qui ressent tout de suite votre hostilité et recule rapidement de quelques pas. Vous avancez lentement dans sa direction, tout en amplifiant votre regard de haine. Ses oreilles se plaquent vers l’arrière, il commence à grogner et sa queue se place entre ses pattes arrières. Vous avez déjà lu sur un site internet qu'il s'agit d'un signe de peur. Dans ce monde, il n’y a que la violence qui fonctionne. Si l’on ne montre pas les dents, ce sont les autres qui le feront. La raison du plus fort est toujours la meilleure.

 Vous comprenez enfin que lorsque vous étiez humain, si vous aviez affronté les autres au lieu de subir leurs brimades, vous auriez probablement eu une vie plus facile, et vous ne seriez probablement pas mort. Mais est-ce vraiment une bonne idée ? Pourquoi le monde nous oblige-t-il à être cruel pour survivre ? Pourquoi les individus foncièrement gentils et justes sont-ils toujours abusés, utilisés, puis jetés comme de vulgaires déchets ? Tout simplement car le monde n’est ni gentil, ni juste. Ce n'est qu'un ramassis de haine, de méchanceté et d'hypocrisie, emmêlées entre elles comme un sac de vipères. Néanmoins, vous refusez de vivre dans la peur, aussi bien en tant que donneur qu'en tant que receveur. Vous ne voulez pas être effrayé, et vous ne voulez pas effrayer. Vous voulez être respecté pour votre gentillesse, et non pour votre cruauté. C’est pourquoi soudainement, vous arrêtez de dégager une envie meurtrière. Vous vous asseyez sur la neige qui mouille votre fourrure et vous donne de petits frissons vagabonds. Après avoir regardé le sol quelques secondes, vous relevez la tête et fixez votre opposant d’un air plus doux. Vous avez décidé de discuter plutôt que de combattre.

  • É-Écoute, tu veux bien laisser ce p-pauvre lapin tranquille ? Il n’a rien fait pour méri…

Vous êtes coupé par un aboiement brutal. Le loup se jette sur vous pour vous mordre. Vous réussissez à bouger au dernier moment et évitez ainsi le pire. Il vous mord à la patte avant gauche, et votre sang gicle, tâchant au passage le blanc immaculé de la neige. C’est donc ainsi que cela devait se passer, il ne vous a même pas donné de chance, il vous a attaqué au moindre signe de faiblesse. La société humaine, tout comme le règne animal, est un monde d’opportunistes. Vous le saviez depuis longtemps, mais une énième fois, vous en avez la preuve.

 Votre adversaire ne cesse de vous attaquer. Vous évitez laborieusement ses charges jusqu’à ce que vous soyez épuisés tous les deux. Vous reculez ensemble d’un pas. Et vous vous fixez, guettant la moindre ouverture.

  • Tu m’as surpris tout à l’heure avec ton regard menaçant, mais t’es qu’une mauviette en fait ! T’oses même pas attaquer !
  • J-Je ne vois pas l’intérêt… Laisse ce lapin tranquille, s’il te plaît…
  • Ha ha ! Et puis quoi encore, tu veux faire le justicier juste pour pouvoir le manger à toi tout seul !
  • Mais non, c’est faux, je…
  • Assez ! Réglons ça une bonne fois pour toutes !

Le lapin que vous tentez de protéger ne se cache plus, et ne s’est toujours pas enfui. Il vous regarde d’un air à la fois inquiet et perplexe.

 L’ennemi se jette sur vous une nouvelle fois, d’un bond puissant qui l’amène assez haut et juste au dessus de vous. Mais il retombe directement, allongé dans une mare de sang. Il vous faut plusieurs secondes pour vous rendre compte de ce que vous venez d’entendre. Un coup de feu. Oui, quelqu’un vient de tirer sur votre semblable. L’odeur de la poudre à canon vient occuper vos narines, de même que de fortes effluves de whisky. Un humain est là, et il ne vous veut certainement pas le plus grand bien.

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