Ces deux années

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Musique à écouter : Meaning - Cascader (Choral version)

A quoi ça sert de vivre si on doit mourir ?

Question difficile, n’est-ce pas ? Enfin… Pour moi, oui, pour d’autres non. Mais moi, ce que je pense, c’est que la plupart s’en foute… A part moi… Parce que je sais, je le ressens, je ressens ma différence par rapport aux autres. Et j’ai l’impression qu’inconsciemment, ils me le le font ressentir. Mais je ne comprends pas pourquoi je suis différente. Pourquoi ? Dans ma classe, c’est surtout là que je le ressens. Dans ma classe, il y a des racailles, des populaires que l’on respecte, des folles que l’on respecte alors que moi… j’ai tout raté. Sans m’en rendre compte… J’ai laissé pourrir mon image. J’ai tellement été sage parce que j’ai du respect envers nos professeurs qu’on me prend pour l’intello super gentille, qui ne dit jamais d’insulte, qui est fragile, sans défense, et coincée. Mais pour moi c’est comme une protection, pour que tout le monde m’apprécie. Parce que je sais que si je me comporte avec mon caractère comme je m’adresse à mes parents et à mes amis… je me ferai plus d’ennemis que j’en ai maintenant (c’est-à-dire 2 ou 3). Parce qu’en vérité, je peux être très volcanique et colérique. Au résultat je suis toute seule face à ma classe, parce que je suis différente. Je ne suis pas tout le temps brimée, mais quand on me ridiculise, ou qu’on me fait des blagues ou qu’on s’étonne que j’insulte comme eux le font… ça me blesse terriblement. Je ne le montre pas, j’encaisse, j’encaisse. Mais j’ai beau encaisser et être forte, enfin… essayer, ça me blesse horriblement parce que je suis à fleur de peau et sensible. Des fois, quand je suis seule j’ai envie de pleurer. Mais je ne veux pas montrer cette faiblesse, je ne veux pas qu’ils me croient fragile. Sinon, ils auraient gagné… et ça, je ne le veux absolument pas. C’est moi, toute seule face aux autres. Et quelques fois, mes amis garçons au collège restent entre eux. Cela me blesse, et je n’ai pas l’impression que ce soit de vrais amis. Parce qu’ils me blessent. Et c’est encore un coup à encaisser. Alors j’encaisse… au vestiaire des filles, je me sens seule. Parce que je n’ai pas d’amies dans ma classe. Du moins, pas de vraies. Je m’empresse toujours de partir car j’ai du mal à supporter l’ambiance. Il y a une psychopathe qui change de personnalité comme bon lui semble, les autres chantent et filment, photographient, profitent de la vie. Mais pas moi. Comment puis-je évoluer dans une classe où je n’ai pas de vrais amis ? Comment puis-je évoluer dans une classe où je suis différente de tout le monde ? Pourquoi ne puis-je pas être normale ? J’ai l’impression d’être un extraterrestre par rapport aux autres. Je ne comprends pas pourquoi la plupart des événements tristes de ce monde m’affectent encore plus que tout le monde. Je m’en remets moins vite… Je recommence à rigoler plus lentement. J’ai l’impression d’être brisée en mille morceaux, à cause de ma classe.

Donc selon moi, la vie ne sert à rien. Déjà parce qu’on finit par mourir. Et aussi parce que la vie est plus en partie noire, moche, triste qu’elle est heureuse. Je pense que mes deux premières années de collèges ont été les deux années les plus dures, les plus difficiles et les plus tristes de toute ma vie. Non, c’est pas je pense, j’en suis sûre. La seule envie que j’ai c’est de revenir en primaire. Quand j’étais petite, quand j’étais heureuse.

Ce texte, je l'ai écrit quand j'avais 11 ou 12 ans. Et c'est étrange parce que d'un côté, j'ai la certitude que cette époque est la pire de ma vie à ce jour, mais j'en garde très peu de souvenirs, comme un moyen que mon esprit avait trouvé pour me protéger. Evidemment j'en ai gardé certains, j'ai ce souvenir qui me revient souvent : je suis dans la cours et je me fais encerclé par un groupe de garçons populaires dont je ne connais aucun d'entre eux. Ils m'empêchent de fuir, j'essaye de rejoindre deux de mes amis, mais plus je m'approche d'eux dans l'espoir de me "libérer", plus ils me regardent et s'éloigent. Parfois je me demande s'ils avaient encore plus conscience que moi ce qui se passait vraiment à ce moment là, à quelle point j'étais desespérée même si je ne disais pas à l'aide. S'ils avaient peur de tomber dans cette spirale comme moi. Sauf qu'ils n'ont rien fait. Evidemment qu'ils n'ont rien fait. Qui aiderait une pauvre petite fille qui n'arrive pas à se défendre ? On ne peut pas vraiment appeler défendre puisque je ne me faisais pas frapper. Prisonnière de ce cercle, je l'étais. Alors je tentais toujours de m'échapper sauf que je n'y parvenais pas. Je les entendais dire que je devais faire quelques choses à mes cheveux, que je devais voir un dermatologue car l'acnée c'est moche, que je devais me refaire les dents ( passage qui m'a d'ailleurs bien poussé à aller chez l'orthodontiste par la suite). Puis j'ai croisé le regard d'une fille de ma classe et je savais qu'elle était amie avec ses garçons, mais je me sentais si desespérée que je me disais qu'avec mon regard, elle irait m'aider. Evidemment qu'elle ne m'a pas aidé. Elle a ri et elle est partie retrouver ses amies.

Cependant j'ai eu beaucoup de chance, parce que c'était la première fois et qu'il y a un surveillant qui a réagi. Il leur a dit d'arrêter et de s'éloigner de moi. Il m'a dit que si cela recommençait, je devais venir le voir. Je ne peux expliquer à quel point je lui suis reconnaissante encore à l'heure actuelle, à quel point je pense qu'il m'a sauvé. Il avait fait le job que beaucoup n'aurait pas fait. Alors même qu'à l'époque je n'avais pas conscience de ce qui se passait.

Pour moi, du haut de mes 12 ans, je pensais que je méritais ce traitement quelque part. Du haut de mes 12 ans, je pensais que j'étais trop différente, trop étrange pour être appréciée. Je pensais que je méritais de me sentir mal, de ne jamais sourire, et de pleurer dans mon lit. Je le méritais.

J'ai réalisé un an plus tard que ce n'était pas normale. Pas de moi même, mais par une amie. Un garçon se moquait plusieurs fois d'elle et sa mère l'avait fait convoqué chez le proviseur pour harcèlement. Cela a fait tilte dans ma tête. Elle prononçait cela comme une chose simple, que l'on peut décrire, dont on n'a pas à avoir honte. Mais surtout, à ce moment-là, je me suis dit : mais c'est une seule personne, je me suis fait entourée par plusieurs garçons. Et j'ai encore dû mal à avouer que si, cela l'est, d'une part car je ne me sens pas légitime d'une certaine manière. Je me dis que j'étais et je suis juste trop sensible donc j'exagérais. Sauf que je repense à ce souvenir, et je relis ce texte. On m'a toujours décrite comme hypersensible, surtout ma mère, et ce n'est pas parce que je le suis que je ne suis pas légitime mais cela reste compliqué à intégrer. J'essaye de me dire que tout le monde à son degré de sensibilité et qu'à partir du moment où les mots blessent, que cela puisse paraître minime, si cela atteint, cela l'est.

Evidemment que cela m'a laissé des séquelles. Cela serait mentir si je disais le contraire. Lors de l'adolescence, on se crée le pilier de la confiance en soi. Ce pilier n'existe pas chez moi. Ou alors, quand j'arrive à le former, tout fini par s'écrouler au bout d'un moment. La construction recommence, encore et encore. Toujours. Cela m'a aussi laissé des séquelles dans mes relations, surtout amicales. Cette sensation de ne rien représenter. Cette sensation d'avoir un groupe d'ami mais d'être comme une intrue. Avoir le sentiment que tu n'as pas ta place dans la bande, que tu ne la trouveras jamais et que tu te sentiras toujours un peu bizzard comme si au final tes amis ne t'aimaient pas vraiment.

Au début del'année suivante cette période, j'avais été très aggressive envers un garçon qui se moquait de moi. Il ne faisait pas cela de manière méchante pour le coup, mais je n'avais pas le dicernement, notamment car les deux années d'avant me hantaient trop. Et le pire, c'est que l'année d'après il s'est excusé. Il s'est excusé alors qu'il ne m'a pas détruite comme les autres ont pu faire. Il n'avait pas un but malveillant, mais il s'est tout de même remis en question. J'avoue trouver cela incroyable qu'une personne qui ne m'ait pas fait de mal se remette en question alors que ceux qui m'ont brisé n'en avaient rien à faire. Est-ce donc cela l'essence d'une bonne personne ? Tout cela pour résumé que cela m'a laissé de grandes insécurités.

Puis, moi, qui ne comprenait pas à l'époque pourquoi je me sentais si différente, je commence à former le chemin vers une explication, vers une évidence presque qui me permet un peu mieux de légitimiser ce que j'ai pu ressentir il y a quelques années, toute cette détresse, tout ce mal-être. Rien ne s'effacera vraiment, rien de guérira totalement. Cependant je sais que je peux regarder vers l'avenir, et non vers le passé. Je peux décider d'essayer de me libérer car j'ai des soutiens désormais. Des personnes formidables qui sont patients, qui comprennent et qui me répètent que tout ce que je ressens est légitime même si cela paraît si amplifier par rapport aux autres. La petite fille est brisée, mais la jeune femme se reconstruit.

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