Je me souviens des étoiles

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Je me souviens des étoiles.

 

Elles brillaient, alors. Elles brillaient si fort dans la nuit du désert. Elles me parlaient comme jamais rien d'autre n'avait su le faire avant. N'a su le faire depuis. Je me perdais dans leur chant, je voyageais parmi elles, je m'envolais, loin, très loin, si loin de ce petit monde perdu au milieu de nulle part. Oh oui, j'étais bien parmi elles, à danser librement au rythme de ces nuits où j'errais en solitaire, loin du monde et de ses lumières aveuglantes.

 

Je me souviens des étoiles.

 

Elles ont tant changé aujourd'hui. Je ne reconnais plus le dessin des constellations dans le ciel. La lumière du monde a tellement terni leur éclat, la patine du temps les a tellement écartées les unes des autres que je ne reconnais plus le ciel de la nuit. Et je sais que si je me fais cette réflexion ici et maintenant c'est uniquement pour souligner l'étrangeté de ce que je vis. Car peu importe au fond que les étoiles aient changées depuis cette époque. Je ne me sers de cette pensée que pour me dissimuler une vérité beaucoup plus dérangeante. Je regarde le ciel ce soir, essayant d'y trouver un peu de ce réconfort que j'y puisais quand, enfant, le monde dans lequel je vivais devenait l'enfer alcoolisé de mon père et....

 

Je me souviens des étoiles.

 

C'est horrible. Même ce simple bien-être là, regarder la voute nocturne étoilée et y puiser un instant de la magie de mon enfance, y chercher ce bouclier qui m'a toujours soutenu et me le voir dénié aussi brutalement... Oui, c'est simplement horrible. Pourtant j'aurais dû m'y attendre. Il n'y a rien qui ne me fasse cet effet depuis que je me suis.... réveillé, pourrait-on dire. J'ai vécu deux vies et les deux se mélangent. Sauf que la première était la plus marquante. La plus importante des deux. Et que ma personnalité était beaucoup plus forte à l'époque. Alors je sens peu à peu celui que je suis aujourd'hui s'effacer à son profit. Ses souvenirs prendre la première place et reléguer les miens au rang de mémoire secondaire. Comme si je n'étais qu'une mise à jour en train d'être effectuée.

 

Je me souviens des étoiles.

 

Et je me rappelle sa vie. Ma vie. Mes peurs, mes doutes. Cette incompréhension du monde m'entourant. Qui, quand, comment. Ironiquement je ne savais pas grand-chose de lui... de moi, avant. Juste les grandes lignes, comme tout le monde. Je n'avais jamais ressenti le moindre lien, la moindre connexion. Et je regarde cette vie que j'ai vécue autrefois et je me dis aussi bien oui que non. Oui j'aurais pu faire les mêmes choix, mais non, probablement ne les aurais-je pas faits étant celui que je suis aujourd'hui. Ceci dit je n'aurais pas pu être celui-là à l'époque. Le monde était différent. Ma vie avait été différente. Très différente. Si différente que je me demande comment nous pouvons n'être vraiment qu'un. Mais je le sais pourtant. Je le sens. Je suis lui. Il est moi. Nous sommes une seule et même personne, vivant une seconde vie. Incarné une nouvelle fois.

 

Je me souviens des étoiles.

 

Et je voudrais tellement que ce ne soit pas le cas. Être encore endormi. Ne pas voir ce que le monde est devenu. Ça m'empêcherait de me rendre compte qu'il n'a pas changé, véritablement, au final. Que deux mille ans d'histoire n'ont été rien de plus que l'éternel recommencement des mêmes idioties, encore et encore. Le même cercle d'avidité et de peur bien cachés à l'abri des masques trompeurs de l'amour et de la liberté. Ça m'éviterait de voir ce qu'il est advenu de ce message que j'ai essayé de délivrer il y a si longtemps à ces gens tellement désespérés qu'ils en étaient venu à m'écouter moi, pauvre mendiant loqueteux, drapé dans ma juste colère face à la misère de ma condition. De notre condition à tous.

 

Je me souviens des étoiles.

 

Elles brillaient. Ô qu'elles brillaient, ces étoiles, aux portes de la ville de la paix, cette dernière nuit dans le désert avant que je ne les franchisse, plein d'un espoir que le soleil du lendemain allait réduire à néant, déclenchant.... tout ce qui s'en est suivi. Et je me demande, aujourd'hui, alors que ce présent d'alors n'est plus que poussière de mémoire cachée sous ce tapis d'apparat rouge écarlate qu'est l'Histoire que l'on raconte, ce qu'il se serait passé si j'étais simplement resté dans le désert une journée de plus comme je l'avais souhaité à l'époque. Savais-je ce qui m'attendait alors ? Non, bien sûr que non. Mais j'aimais tant la liberté que m'octroyait le désert. Je savais déjà qu'après ce passage plus rien ne serait comme avant. Et je voulais profiter de cet avant encore un peu. Rien qu'un peu.

 

Je me souviens des étoiles.

 

Et je me souviens de son sourire. De sa chaleur dans le froid glacé de la nuit du désert. De ses yeux sombres, envoutants, des yeux de reine, dans lesquelles j'aurais pu mourir mille fois avant de daigner m'en rendre compte. Je me souviens de son corps contre le mien. De ses lèvres contre les miennes. De ses baisers de feu. De ce besoin brûlant que nous avions de ne faire qu'un elle et moi. Mon amour. Ma femme. Oh non, définitivement pas une catin. Jamais. J'aurais tué celui qui aurait osé la toucher. Elle se serait tuée plutôt que de laisser un autre la toucher. Et ce soir-là c'est en nous touchant l'un l'autre que nous nous sommes sentis plus vivants que jamais nous ne l'avions été. Et savoir qu'elle n'est plus là, que je suis seul dans ce monde étranger... C'est une torture. Une authentique torture. Tout comme sa vie à elle a dû être une torture après ma... ma mort, j'imagine. Alors...

 

Je me souviens des étoiles.

 

Ça m'évite de me souvenir d'autres choses. De ces choses qui font mal. Si mal que je ne peux simplement pas m'y attarder sinon je m'effondrerais. Et je ne peux pas m'effondrer. Pas avec le monde tel qu'il est devenu. Pas alors que j'en suis en grande partie responsable. Et même si une petite voix à l'intérieur de moi me souffle que si ça n'avait pas été moi ça aurait été un autre et qu'avec cet autre ça aurait pu être pire, il n'en reste pas moi que je suis responsable. C'est mon message qui a été perverti à un point tel qu'il n'a plus le moindre sens. Ce sont mes mots qui ont été détournés de leur sens. Manipulés. Tronqués. Réécrit. Dépouillés de leur substance.

 

Je me souviens des étoiles.

 

Et parce que je m'en souviens avec une telle clarté, que j'ai vérifié et revérifié les données connues de l'époque, comparé, recomparé, re-recomparé, je sais. Je sais que je ne suis pas en proie à une hallucination réaliste. Les étoiles ne mentent pas. Je n'aurais pas pu m'en souvenir ainsi si j'étais dans l'illusion. Dans l'hallucination. Alors ce voyage en avion, le premier de mes deux vies. Et ces nuages au-dessus desquels nous volons. Et ce ciel de nuit, pigmentés d'étoiles étrangères me rappelant ce que je suis devenu. Un étranger au milieu d'étrangers, un anonyme, perdu parmi les anonymes. Un pauvre fol qui crut jadis pouvoir défier l'ordre établi et qui doit aujourd'hui se battre contre son propre souvenir, devenu l'un des symboles les plus fort de ce même ordre établi, toujours fidèle à lui-même, deux mille ans plus tard. Les marchands sont toujours dans le temple, et moi je reviens vers la ville de la paix dans un dénuement encore plus grand qu'à l'époque car cette fois je suis seul. Seul  avec la mémoire de jours anciens depuis longtemps révolus. Seul et...

 

Je me souviens des étoiles.

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