Confession d'un assassin

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Autour de moi, le monde est noir et opaque. Aucune lumière ne perce la gangue d'obscurité qui m'enserre et empêche tout mouvement; aucun son ne me parvient. Je suis seul, désespérément seul. Un froid étrange et glacial me pénètre et s'enfonce en moi, il s'incruste dans mes chairs et mon sang. J'ai le sentiment d'errer dans un vide absolu où je suis seul, désespérément seul.

Je dérive pendant un temps qui me semble durer une éternité avant que quelque chose ne change. D'un seul coup, le noir devient blanc et je retrouve les sensations de mon corps. Je sens mon coeur battre, mes poumons qui se gonflent d'oxygène quand je respire. Avec un effort de volonté considérable, je parviens même à faire bouger un doigt, un seul et unique doigt qui me prouve que tout n'est pas fini, qu'il me reste encore un espoir. Le blanc pur qui me tient dans son étreinte a remplacé la gangue d'obscurité, pourtant je me sens toujours oppressé, bloqué de force dans cet état apathique.

Soudain, le son d'une cloche résonne dans le vide blanc et malsain qui m'entoure. Oh, quel son ! Il résonne en moi comme un hymne à la joie et à la vie, il me recentre et m'aide à me reprendre, à échapper au brouillard ouaté qui m'embrumait jusqu'alors l'esprit. Ce son fait vibrer quelque chose en moi, quelque chose de puissant et de destructeur, d'incroyablement dangereux. Il chante en moi et parcourt jusqu'à la moindre fibre de mon être. La vue est revenue, l'ouïe aussi, tout comme le contrôle de mon corps. L'odorat et le toucher font leur réapparition au même instant d'une manière violente et brutale. D'un coup, une odeur de mort me prend par la gorge, me brûle le nez tandis que je sens un tissu rêche sous mes doigts.

Enfin, seule manquante à ce charmant tableau, la souffrance fait une entrée fracassante. Elle inonde mes muscles, mes os, ma chair, la moindre parcelle de mon corps. Tout n'est plus que douleur. Je ne suis plus que douleur. Ô douleur chérie ! Comme tu m'as manquée, compagne de ma vie et de mes rêves, de mes cauchemars et de mes nuits.

La souffrance reflue peu à peu me laissant haletant. Loin de moi désormais le soulagement que j'ai ressenti quand l'air a recommencé à gonfler mes poumons.

Les derniers échos de la cloche meurent peu à peu et je me retrouve de nouveau seul dans le silence. Un silence seulement rompu par ma respiration durant quelques temps, puis, comme le son de la cloche un peu plus tôt, un rire cristallin s'élève.

A l'entendre, il appartient à une enfant, une petite fille de moins de huit ans, très certainement. Cette douce musique remue quelque chose en moi, un souvenir, une réminiscence d'un passé oublié. Puis soudain je la vois, elle est là, devant moi. Ou alors est-ce mon souvenir qui prend possession de mon esprit en remontant à la surface ? Que sais-je.

Je revis ce jour comme si c'était hier, j'étais si jeune à l'époque, peut-être à peine plus vieux qu'elle. Je n'ai aucun souvenir du jour d'avant ce jour, comme si ma vie avait commencée sur ce mur où je me tenais, caché dans les ombres du toit.

J'étais accroupi sur les tuiles glissantes du muret, une sarbacane à la main, une flèche enduite de poison déjà prête. Plusieurs mètres en dessous de moi, la petite fille courrait après les papillons dans la cour. Elle était vêtue d'une tunique blanche, une ceinture dorée à la taille et des sandalettes de cuir brun aux pieds. De là où j'étais, je pouvais voir ses cheveux d'un doux blond cendré et son sourire, mais impossible de voir ses yeux, même si je connaissais déjà leur couleur. Tandis qu'elle cabriolait en bas, riant comme si sa vie en dépendait et respirant la joie de vivre, j'étais accroupi et je fixais ma sarbacane comme si je ne savais plus ce que je faisais ici. Mon regard faisait des allers-retours entre cette enfant si gaie et l'objet que je tenais dans mes mains. L'objet qui mettrait fin à ses rires si charmants.

Inconsciemment, je pris ma décision. Non. je n'allais pas la tuer, j'allais la laisser vivre. Elle était si belle, si jeune et si différente de comment on me l'avait décrite.

Au moment où j'amorçais le geste de ranger mon arme de mort dans ma poche, une main sèche et fripée se posa sur mon bras tandis qu'une haleine chaude me soufflait dans le cou, faisant bouger les petits cheveux de ma nuque qui me chatouillèrent. L'homme qui se tenait accroupi derrière moi, et que j'avais complètement oublié en entendant ce rire cristallin, s'empara de la main tenant la sarbacane et la leva, puis de l'autre, il se saisit de ma nuque. Il ne me força pas à souffler moi-même, non. Il se contenta de le faire à ma place en m'empêchant de détourner le regard. Il accomplit la mission que je me répugnais à réaliser pendant que des larmes salées et tièdes coulaient sur mes joues puis le long de ma mâchoire avant de disparaître dans ma chemise de tissu noir.

J'ai été battu pour avoir essayé de désobéir à un ordre, puis ils m'ont renvoyé en mission. Cette fois, j'ai raté ma cible, intentionnellement. En guise de punition, ils m'ont mis à l'isoloir pendant deux jours et deux nuits avec un broc d'eau et un croûton de pain. Je me souviens d'avoir chaque fois refusé de tuer. Du moins jusqu'à ce qu'ils me brisent. Je n'avais pas encore neuf ans.

Ils m'ont violenté de bien des manières : tortures savantes et exotiques ; coups portés par une multitude de gourdins et de fouets, dont le fameux chat à neuf queues ; ils m'ont affamé et assoiffé puis enfermé dans le noir le plus complet et le plus oppressant qui soit.

Puis, par une belle journée de printemps, ils m'ont sorti de mon trou, m'ont fourré un poignard dans la main et m'ont envoyé tuer quelqu'un. Je ne sais plus qui... une femme ou un homme. Un vieux, peut-être ? Je ne m'en souviens plus. Je l'ai fait. J'ai accompli mon premier meurtre et je me suis haï pour ça. A chaque vie volée je me haïssais un peu plus et les haïssais encore plus. Puis je me suis habitué, la rage et le chagrin ont peu à peu laissé place à une froide indifférence.

Mes sentiments ont disparus, laissant place à un gouffre sans fond où j'ai sombré. Je suis lentement devenu aussi violent et inhumain que mes maîtres et j'ai commencé à prendre du plaisir à tuer. Je suis devenu un putain de sadique.

J'ai pris plaisir à voir les gens souffrir et mourir. J'ai pris du plaisir à créer l'horreur. J'ai torturé, assassiné, violé et j'ai aimé. J'ai pillé, brûlé des villages entiers, estropié des enfants par dizaines, violé des femmes par douzaines. J'ai aimé faire le mal.

Les larmes coulent sur mes joues alors que je suis de retour dans le vide blanc de la mort. Les dernières bribes du flashback s'estompent peu à peu et je me retrouve seul avec un dégoût profond envers moi et envers le monstre que je suis devenu. J'ai été faible, j'ai cédé face à la pression des maîtres et je suis devenu une créature des Ténèbres, un soldat du Mal. J'ai agi comme ceux habités par le Mal depuis leur naissance. Non. J'ai été pire qu'eux, bien pire.

Une haine irrépressible éclot dans mon cœur et se propage dans mon corps. Alors que les battements de ce qui me semble être mon cœur ralentissent, je me fais le serment de me venger et de tous les venger. De venger tous ces morts, toutes ces vies, toutes ces âmes pures brisées par ma main et par leur faute. Je me jure de les détruire, de raser la Confrérie.

Mes yeux se ferment d'eux-mêmes et ma respiration se fait de plus en plus faible alors que les battements de mon cœur cessent. Je meurs pour renaître et créer un monde meilleur où le Mal n'existera plus.

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