chapitre 8

7 minutes de lecture

Rivière s’était agité comme jamais et il semblait vraiment furieux, mais Tili serrait les mâchoires et tentaient d’encaisser cette décharge d’émotion clairement visible. Ce n’était pas évident pour lui mais c’était assurément le mieux à faire. Rivière s’arrêta soudain pour tracer « Ʌ » au sol et Tili refusa immédiatement d’une dénégation de tête qui ne le calma pas du tout. C’était étrange de voir Rivière bouger ainsi et cela provoquait une certaine agitation dans toute la communauté.

A chaque affrontement, des aliens bougeaient, mais ils le faisaient rarement tous en même temps comme à ce moment-là. Tili tendit la main et attendit que Rivière accepte la communication pour écrire quelques mots.

« Pourquoi pas ? »

Le nouveau « non » fut encore plus impressionnant que le premier. Pourtant, il avait seulement demandé à rencontrer d’autres Laeïas. Le vaisseau en était rempli, ce n’était même pas compliqué ! Enfin, peut-être que convaincre Epine serait affreusement dur, mais tout de même. Ces individus arrivaient à vivre à proximité les uns des autres. Le tenir ainsi isolé semblait avoir bien peu de sens. Tôt ou tard, il allait bien les fréquenter ? Enfin, il espérait ne pas vivre toute sa vie en communiquant uniquement avec Rivière et en passant des appels à ses amis qu’il ne pourrait plus jamais revoir en vrai !

Voir Rivière aussi agité était très stressant, mais s’il voulait des réponses, Tili devait apprendre à affronter cela. Alors il fit de son mieux pour écrire.

« Explique-moi »

Et Rivière s’agita encore plus au sol il traça son nom et les deux symboles qu’il entoura d’un rond et plus loin, il traça une multitude d’autres symboles inconnus qu’il entoura par lot de trois. Puis dans un second temps il réécrivit Tili, mima de la pointe de son doigt un corps étrange qui ne ressemblait ni vraiment à Epine, ni tout à fait à Rivière. Et ce corps vient s’abattre sur son nom avec une férocité qui le fit sursauter.

- Mais pourquoi ? Explique-moi pourquoi !?

Rivière ne répondit pas, parce que Rivière ne l’entendait pas. Tili hurla de rage ! Et s’arrêta haletant, avant de porter ses mains à sa bouche, choqué. Sa gorge lui faisait mal. Il n’avait jamais éprouvé un sentiment aussi violent. D’où venait-il ? C’était né dans l’impuissance et l’immobilité. Il avait besoin d’action, de mouvement, de véritable communication. En dents de scies, ses émotions lui échappaient totalement.

- Excuses-moi… Je n’aurais pas dû crier… Ni insister. Même si je ne comprends pas ce qui motive tes choix, tu as sans doute tes raisons. Cet endroit… Il est entrain de me changer.

Cela faisait déjà deux fois qu’il demandait à rappeler l’un de ses amis et deux fois que Rivière refusait. La réponse qu’il avait donnée lorsqu’il avait demandé « pourquoi », était faites d’un ensemble de gestes et de symboles qu’il n’avait pas compris. Ça avait au moins eu le mérite de lui donner l’impression qu’il y avait réellement une bonne réponse à cette question.

Presque instantanément, Rivière sembla se calmer à son tour et il lui ouvrit les bras dans un geste étrangement humain. Sans aucune hésitation, Tili se glissa entre eux pour recevoir une douce étreinte. Il était de plus en plus à l’aise avec Rivière et ce type de contact, qui dérivait souvent vers quelque chose de plus sexuel, lui faisait véritablement du bien. En posant l’oreille contre le torse de Rivière, il n’entendait rien. Il n’y avait pas de cœur battait dans sa poitrine et même en tendant l’oreille, en dehors d’hallucination auditive, rien d’autres n’étaient perçu.

- J’aimerais tellement ne pas changer…

Rivière lui caressait doucement le dos, parvenant à le détendre en un temps record. Doucement, Tili le caressa à son tour, même si ça ne voulait rien dire et que ça ne provoquait rien chez son partenaire. Il aurait aimé connaître ses zones érogènes, mais en avait-il seulement ? Il aurait aimé savoir faire naître le plaisir dans sa chair, mais était-ce une chose qu’il pouvait ressentir ? Il aurait aimé savoir comment lui faire plaisir… Même le plus simplement du monde.

Du bout du doigt, il demanda l’autorisation puis traça : « Que puis-je fais pour toi ? ». Il se passa un long moment avant que Rivière n’écrive, le long de son dos. « Opérer. » Mais il ne comprit pas. Tili hésita avant de demander comment en s’écartant un peu de Rivière, pour qu’il puisse lui répondre à l’aide d’une série de geste, mais une nouvelle fois, les mouvements de Rivière ne lui parlèrent absolument pas. Ce n’était peut-être pas la bonne question. Il tenta de demander que faire, mais ce ne fut pas mieux. Et puis, il écrivit juste « Opérer ? ».

Rivière eut un long moment où il sembla juste étrange puis très lentement il écrivit sur la peau de l’humain. « Je ». Puis il prit la main de Tili et le fit retracer ces mêmes lettres sur sa propre chaire. Tili le fit, hésitant avant de comprendre l’intérêt de la manœuvre lorsque Rivière fit « oui » de la tête. Autant Rivière semblait parfaitement lire ce qu’il écrivait, autant les mots sur son corps lui paraissait flou, même s’il observait la pointe du doigt de l’alien. Ses gestes n’étaient que rarement ceux qu’il attendait. Lentement, le message se révéla.

« Je voudrais mieux communiquer avec toi. »

Tili aurait pu éclater de joie sous le simple fait de lire une phrase complète. Et il traça en toute hâte : « Comment ? ».

Le message suivant fut aussi long que laborieux. C’était particulièrement rageant de passer par une méthode mot à mot avec une confirmation. Ce fut d’autant plus rageant lorsqu’il finit par comprendre qu’il ne comprendrait pas réellement, malgré tout.

« En opérant ton O pour pouvoir établir des échanges. »

Se faire opérer. S’il comprenait un minimum, Rivière parlait de changer son corps. Il ne supportait plus le silence mais il n’avait pas la moindre idée de ce qu’impliquer une telle opération. On lui avait dit qu’ils étaient de bons médecins et il avait même pu le vérifier lorsque Epine l’avait si violemment attaqué, mais ça… Ça, c’était tout de même autre chose.

Il recula, mal à l’aise. Si Rivière demandait, alors il ne le lui imposerait sans doute pas. Ou en tout cas, pas tout de suite. Il s’impatienterait sans doute tôt ou tard. Le cœur battant la chamade, Tili fit « non » du visage et attendit la réaction de Rivière qui ne bougea pas d’un iota. Etrangement froid à son refus. Puis l’humain s’approcha de nouveau en espérant avoir d’autres réponses. Rivière s’énervait parfois, il s’énervait parfois horriblement même, comme lorsqu’il demandait à voir d’autres Laeïas, mais il avait aussi cette forme de patience magnifique qui permettait de lui poser milles questions.

Tili le caressa en douceur, admirant sa peau changer, puis il retraça doucement sa question précédente. « Explique-moi » et immédiatement Rivière sembla comprendre de quoi il parlait. Il mua légèrement de forme sous l’agacement.

« C’est dangereux. Tu dois prendre Ʌ. »

Le mot prendre le fit tiquer et doucement Rivière reforma le rond sur sa peau comme pour lui rappeler qu’ils étaient censés être un trio. Mais prendre Epine ? Parlait-il de le recevoir en lui, chose qu’il avait toujours refusé ? Ou de le prendre dans son cœur en l’acceptant comme il le faisait avec Rivière ? Ou même simplement de le prendre en considération ?

Il jeta un coup d’œil sur le côté. Plusieurs longues tiges nerveuses partaient d’Epine et s’abattaient sur ses adversaires sans la moindre forme d’hésitation. Il suffisait que Laeïa fasse un geste vers lui pour qu’il intervienne très violement. C’était une boule de nerf et d’agressivité. Prendre Epine ? Il aurait aimé qu’Epine n’existe pas. Comme s’il avait entendu sa pensée, Rivière se révulsa à son contact et s’éloigna.

- Attends ! Attends…

Mais c’était trop tard, Rivière était parti auprès de leur compagnon, siégeant à ses côtés comme si c’était la bonne chose à faire. Il ne pouvait pas l’entendre penser pourtant, sinon, il l’aurait entendu le supplier mentalement de ne pas le laisser tout seul, de ne pas partir comme ça, de ne pas rompre la communication toute aussi laborieuse soit-elle. Mais il ne l’entendait pas, sinon il n’aurait pas eu besoin de sa confirmation à chaque mot pour être sûr de former une phrase qui ait du sens.

Baissant la tête lamentablement, Tili marmonna juste pour lui-même.

- Il m’a attaqué… Il m’a cassé… Il m’a fait mal… Comment est-ce que tu peux espérer que je prenne Epine ? Peu importe ce que ça veut dire d’ailleurs. A moins que ce soit ça, ce dont vous avez besoin ? Quelqu’un qu’il puisse blesser pour qu’il arrête d’attaquer absolument tout le monde ? C’est ça votre besoin que je gère un fou furieux ?

Un pauvre rire lui échappa… Rivière lui-même savait se faire agressif. Rien ne disait qu’Epine soit si différents que ça des autres. C’était sans doute une pensée tristement injuste, mais il ne pouvait pas se la sortir de la tête.

Rivière ne revint vers lui que longtemps après pour lui proposer à manger, avec la même délicatesse qu’il déployait en temps normal comme s’il n’y avait rien de différents. Pourtant il repartit. C’était peut-être une manière de lui montrer qu’il soutenait Epine et qu’il ne pouvait pas rester avec lui sans rester avec l’autre.

Il ne s’était pas aperçu de toute l’aide que Rivière lui apportait par sa simple présence avant. C’était son soutien moral, sa seule occupation, sa seule raison de croire qu’il pouvait être important également. A présent, il était seul et abandonné dans un coin et il se sentait totalement désœuvré.

Au bout d’un très long moment, il fut fatigué et pour la première fois, il ne se coucha pas contre Rivière mais contre l’arbre. Roulé en boule sur lui-même il finit par s’endormir, sombrant dans un sommeil agité, rempli de cauchemar. Il se vit, perdu, au milieu des Laeïas inconnus. Il n’arrivait pas à communiquer avec qui que ce soit. Il courait entre eux, en vain. Au réveil, Tili observa autour de lui et fut vraiment rassuré en voyant Rivière à côté d’Epine. C’était sans doute ridicule, mais c’était son monde à présent et ses seuls repères.

Quelques jours de ce traitement suffirent à ce qu’il demande par lui-même :

« Opère-moi… ».

Rivière se figea totalement puis, sans même prendre la peine de répondre, il le piqua.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hendysen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0