Chapitre 6

10 minutes de lecture

La main de Rivière lui tendit à nouveau à manger et ça le soulagea car Tili avait effectivement faim. A présent, il était certain qu’on lui fournirait tout ce dont il avait besoin pour survivre, ce n’était plus une inquiétude. Par contre, Rivière attendait toujours qu’il ait réellement faim pour lui proposer à manger. Un petit détail qu’il serait intéressant de régler un jour ou l’autre… afin d’éviter une sensation désagréable presque constante.

Comme à chaque fois qu’il acceptait de manger, autour de lui, le chaos naissait. Epine était toujours aussi violent et réactif. Quant à lui, il observait. C’était difficile de comprendre exactement ce qu’il se produisait mais il avait une théorie à éprouver. Alors, pour tester, il posa la nourriture au sol et s’éloigna, provoquant une certaine agitation chez Rivière mais un grand calme dans les environs.

Epine était immobile, toujours aussi visuellement furieux, mais sans produire le moindre geste. Au loin, il pouvait voir les nombreux autres troncs et les divers corps des aliens qui s’y trouvaient nichés. Au sol, tout autant de corps immobiles. Pas un seul ne remuait.

Lentement, il tendit la main vers la nourriture et au même rythme, certains commencèrent à bouger. Epine se dressa un peu plus, menaçant, les faisant ralentir. Tili avala une bouchée du plat, un espèce de cake délicieux aussi bon que tout ce qu’on lui avait fourni jusqu’à présent. Aussitôt, les autres bougèrent. Tili arrêta. Ils s’immobilisèrent. Il recommença pour le même effet. Pourquoi ?

Il tendit la main vers Rivière et tapota sa peau jusqu’à ce que l’alien accepte de changer de texture. Là, il nota du bout du doigt. « Vous êtes curieux ? » Rivière sembla hésiter mais il ne répondit pas. Tili soupira. Ce mode de communication était laborieux et pénible.

- Les autres aliens parlaient… et carrément notre langue ! Ca aurait été tellement bien.

Ne pas avoir une forme humaine en face de lui, c’était déjà bien assez difficile. Cette barrière supplémentaire était si dure à accepter.

- Vous ne vous touchez presque jamais… Et vous ne bougez pas la majorité du temps ! Comment est-ce que vous communiquez ensemble alors ? Enfin… Je suppose que tu as testé avec moi et que je n’ai pas répondu. Est-ce que c’est quelque chose que je ne perçois même pas ?

Il ne s’agissait sans doute pas de mouvement, se disait-il. Ni de bruits, la majorité du temps, ils étaient silencieux et cette espèce avait tout de même réussi la prouesse de faire des vaisseaux, de naviguer dans l’espace, de communiquer assez avec d’autres espèces pour pouvoir ne serait-ce qu’organiser sa venue… Enfin il avait fallu trouver un trio incomplet, cela demandait bien un peu de communication et de coordination ! Pire encore, on les lui avait décrits comme une espèce intelligente. Ils n’avaient sans doute pas gagné cette réputation juste avec leurs charmes fous ! ragea mentalement le jeune homme.

Du bout du doigt, Tili, qui était un peu frustré, chercha à repousser la limite de cette zone douce où il écrivait. Rivière accepta, gentiment, de l’étendre. S’il parvenait à ce qu’elle soit assez grande, alors même avec ses doigts bien plus gros que la pointe d’un stylo, il devrait arriver à écrire des phrases complètes. Ce serait déjà une avancée ! Après il faudrait trouver comment obtenir des réponses autres que majoritairement « oui »… et parfois « non ». Il continua de repousser les bords de la zone, espérant que Rivière comprendrait et lui offrirait directement une grande surface de contact.

Tout concentré à sa tâche, il ne vit qu’un halo noir bougeant à grande vitesse, mais soudain, Epine l’avait saisi et fait voler pour le plaquer contre l’arbre avec une force qui lui coupa la respiration. Plusieurs pointes menaçaient son corps qu’il tenait toujours, suspendu plusieurs mètres au-dessus du sol. Tili toussa, cherchant à reprendre sa respiration, tout en pleurant sous le choc et la terreur. Il tremblait comme une feuille et Epine continuait de bouger avec une forme de nervosité qui finit de l’horrifier. Dès qu’il parvient à reprendre son souffle il cria d’une voix brisée :

- Rivière ! Rivière ! Au secours !

Mais en-dessous d’eux Rivière était parfaitement immobile. Epine le souleva un peu plus et l’abattit sur le tronc, deux fois. A chaque choc, la respiration de l’humain se coupa et après un tel traitement, sa tête se mit à tourner tant il était étourdi. Sans savoir quoi faire, il attrapa l’un des gros tubes de chairs qui le tenaient avec tant de violences et le caressa doucement, en espérant attirer sa clémence. Il allait mourir s’il ne trouvait pas de solution, c’était une évidence pour lui. Tout son corps lui faisait mal et Epine avait l’air d’être pleinement capable de le broyer. Sa tête tournait de plus en plus. S’il tombait dans l’inconscience, il ne se réveillerait peut-être jamais se disait-il, complètement affolé. Alors, n’ayant plus rien à perdre, il tapota sur la peau épaisse d’Epine, et failli pleurer de soulagement en la sentant se modifier lentement. Il acceptait d’ouvrir une voix de communication. En soit, ça voulait tout dire, mais il fallait encore qu’il trace quelque chose. A bout de souffle, il nota la première chose qui lui vient à l’esprit en espérant seulement que l’alien comprendrait. C’était un très vieux code après tout. Un code que l’on trouvait plus dans des romans qu’ailleurs.

« S.O.S »

Il attendit un instant. Sa tête tournait de plus en plus. Il renota « S.O.S » deux fois avant qu’Epine ne consente à le lâcher. Malheureusement, il était très haut et la chute fut brutale. Il hurla sur les quelques mètres de chutes et se réceptionna de son mieux sur le sol trop dur, poussant un nouveau cri de pure détresse alors que l’une de ses chevilles se brisait. Son genou se tordit et quelque part, un peu plus haut, un autre os se fendit.

Il bascula et finit de tomber. Sa main heurta le sol avec violence, sa peau s’ouvrit mais il parvint à ne pas se cogner trop fort la tête. En geignant comme l’animal blessé qu’il était, il se recroquevilla sur lui-même, horriblement choqué. Lorsque quelque chose le toucha, il cria encore en tentant de s’éloigner, mais chaque mouvement lui offrait de grands éclats de douleurs qui illuminaient son monde de blanc, le rendant aveugle. Il n’avait jamais expérimenté une telle souffrance. Son corps se figea sous l’appréhension d’une nouvelle douleur, mais rien ne vient. Même le contact léger évita de se poser à nouveau sur lui.

Il mit un long moment pour tourner la tête et observer l’extérieur. Epine était en train de se battre férocement pour éviter qu’on ne l’approche. Enfin, il n’était pas sûr de souhaiter cette protection. Après tout, les autres étaient-ils réellement plus dangereux que lui ? Le corps littéralement brisé, il avait du mal à y croire. Tili pleurait sans discontinuer, mais à travers les larmes, il vit clairement Rivière s’approcher et se baisser jusqu’à lui en douceur. Pourquoi n’était-il pas intervenu ? Pourquoi n’avait-il pas essayé de l’aider ? Il aurait sans doute pu… A moins qu’il ait peur d’Epine, lui aussi ?

Rivière posa son semblant de main sur son dos et avant qu’il n’ait pu comprendre quoique ce soit, il le piqua, comme le premier jour, sauf que cette fois-ci, il ne récolta pas une marque noire. Non, à la place, il sentit son corps s’engourdir lentement et sombrer dans l’inconscience. Au dernier moment, le souvenir des paroles de cet alien mal à l’aise avec sa langue lui revint. Pas gentil. Il pleura un peu plus fort sous la détresse et il réentendit sa voix très nettement. Bon… médecin. Il n’eut pas le temps d’en éprouver le moindre espoir, il avait perdu connaissance.

Lorsqu’il revint à lui, il mit un long moment avant de comprendre exactement ce qui l’entourait. Il posa les yeux sur son propre corps et se vit, totalement noir. Ça devait être un rêve. Quelque chose le pinça à l’intérieur de lui-même et il fronça des sourcils. Il poussa sur sa chair intime, il se sentait envahi. Oui, quelque chose coulissait en lui. Quel rêve étrange se dit-il avant de sombrer à nouveau.

Au réveil suivant, il n’était plus noir ce qui était une excellente chose, mais ses habits étaient étranges. Ils bougeaient. En faites quelque chose glissait sur sa peau. Quoi ? Il tenta de soulever son haut mais avant d’avoir fini son geste, il remarqua Epine, penché sur lui, il le touchait avec une très grande délicatesse. Malgré tout, il paniqua tant et si fort qu’il s’évanouit.

Entre les courtes phases de réveil et de cauchemar, il avait bien du mal à reprendre pied. Mais lorsqu’il s’éveilla totalement, ce fut dans les bras de Rivière qui très patiemment poussait de l’eau dans sa gorge. Il s’étouffa un peu et se blottit contre lui avant que les larmes ne se mettent à couler toute seule. Il avait eu tellement peur. La moindre forme de réconfort était bonne à prendre et Rivière du haut de son immobilité parvenait à avoir cet effet apaisant dont il avait tant besoin. Il pleura sa peur et sa douleur durant de très longues minutes, pourtant, il n’avait plus mal. Sa cheville semblait mobile et sa main qui s’était ouverte ne saignait plus du tout. En faites, il n’avait même pas une cicatrice. Peut-être n’avait-il fait que rêver ? Mais la peur viscérale qu’il ressentit en voyant Epine, dressé un peu plus loin, était authentique.

Gentiment, Rivière lui montra une petite surface aqueuse sur sa peau et il hésita vraiment avant de la toucher. Une partie de lui était certaine que ça recommencerait. Epine se jetterait sur lui, sans doute avec encore plus de force et cette fois-ci, il le laisserait paralysé ou pire. Rivière insista et doucement, finit par prendre sa main pour la poser sur la surface. A nouveau, les points se firent sentir, là-derrière, et il retira son doigt mal à l’aise. Rivière l’amena à recommencer le contact et en tenant sa main, il le fit tracer très lentement et péniblement le mot « parler ».

- Tu… Tu n’es pas intervenu. Tu ne m’as pas protégé.

Rivière resta immobile comme s’il attendait qu’il écrive autre chose mais qu’était-il censé faire ? Les larmes se remirent à couler sur ses joues et presque aussitôt Epine repoussa très violement un autre. Tili s’essuya avec empressement de plus en plus conscient que chacun de ses gestes attiraient sans doute leur curiosité et donc, la violence d’Epine. Il était responsable. C’était sans doute pour ça que ça ne se battait absolument nulle part ailleurs. Après tout, il n’y avait qu’un seul être humain.

Lentement, en tremblant, il traça ce qui n’était pas une question. « J’ai peur. » Il ne savait pas à quoi il s’était attendu, mais presque aussitôt le dos de Rivière s’était chargé de pics et il l’entourait d’une manière clairement protectrice. Pourquoi ? A quoi bon quand il l’abandonnait quand il était véritablement en danger ?

- Je ne peux pas te faire confiance ! lui cria-t-il, en vain.

Tili ne se sentait pas en colère. Il avait juste peur, mais il ne savait pas du tout gérer cette émotion ici. Dans son dôme, on lui avait appris à gérer les choses pour être bien. Il connaissait les protocoles pour réagir aux risques de catastrophes inhérentes au dôme. Et puis, même s’il avait fait une erreur grave avec ses amis, même s’il avait vexé Kimi ou dit quelque chose de vraiment déplacé à Lisi, alors ils le lui auraient dit, tranquillement et il aurait pu s’excuser ou s’expliquer. Au pire, il serait allé voir un Ancien qui aurait servi de médiateur dès la première trace du début d’un conflit. Cette impression de trahison, c’était totalement nouveau pour lui. En hésitant, réellement, il finit par tracer quelques lettres de plus sur le corps de Rivière. Il voulait exprimer qu’il n’avait pas juste peur de tout ce qui l’entourait, mais réellement d’une chose précise. Comment désigner Epine ? Il choisit de ne pas écrire en toute lettre le nom qu’il lui avait donné. Ce n’était pas assez figuratif pour indiquer qu’il s’agissait d’un individu. A la place, il le désigna d’un symbole.

« Peur de Ʌ »

Rivière resta parfaitement immobile un long moment avant de se pencher au sol pour inscrire « Ʌ ? » Tili ferma les yeux, c’était mieux que de la colère, mais il tremblait à l’idée d’arriver à se faire comprendre autant qu’à l’idée de ne pas réussir. Et si jamais Rivière s’en foutait ? Et si jamais, à leurs yeux, ils pouvaient tout les deux s’amuser avec lui comme s’il n’était qu’une poupée ?

« Tu es ~ »

Rivière hésita un long moment puis fit quelque chose de totalement nouveau. Il posa l’un de ses doigts sur sa main et réécrivit : « Tu es » laissant sa phrase en suspens.

Lentement Tili lui répondit en écrivant son propre nom. Puis au sol, il fit un rond et écrivit à l’intérieur « Tili » « ~ » et « Ʌ ». Il n’était pas sûr que Rivière en saisisse la symbolique mais il attendit, espérant que Rivière se fasse rassurant d’une manière ou d’une autre. Au lieu de ça, son dos redevint normal comme s’il n’y avait finalement aucun danger. Tranquillement, Rivière glissa sa main et refit le cercle autour des trois noms dans un geste tellement doux et apaisé qu’il perturba l’humain.

Et puis, Rivière sembla simplement passer à autre chose en lui proposant une nouvelle fois à boire comme si tout ceci n’était rien. C’était mieux qu’affronter sa colère, mais Tili ne s’en sentit que plus démuni.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hendysen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0