Chapitre 3

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Tili était seul dans une pièce destinée aux rencontres. Cela faisait déjà deux heures que l’autre vaisseau s’était arrimé à eux et il avait été emmené ici en toute hâte. La pièce était magnifique, recouverte de peintures telles qu’il n’en avait jamais vu, mais le stress de la rencontre ne lui laissait pas vraiment l’espace mental nécessaire pour l’exploration. Comment s’émerveiller devant la multitude de plantes et de couleurs représentaient quand il attendait de rencontrer ce qui serait sa nouvelle vie.

La porte s’ouvrit soudain, le figeant tout à fait. Pas humanoïde. Très différent de tout ce qu’il avait pu voir, se rappela-t-il avant de poser ses yeux sur la créature et il fut presque déçu. Le premier à entrer était un individu assez grand, clairement humanoïde malgré sa peau étrange. Il y avait bien un visage mais au plus il s’approchait au plus Tili comprit à quel point il était lisse. Il n’y avait ni yeux, ni bouche, ni oreille, ni nez. L’individu semblait nu également mais tout son corps était constitué de cette même matière, noir d’encre et lisse. Au niveau du sol, il semblait se répandre en flaque. Tili fit de son mieux pour ne pas reculer.

Durant plusieurs minutes, l’alien resta relativement immobile devant lui et Tili put le scruter. Il ne savait pas comment réagir. Devait-il établir le dialogue ? Commencer à parler ? Qu’est-ce qui se faisait chez cette espèce ? Il avait peur de commettre un impair et en même temps, il devait admettre qu’il était totalement et profondément terrorisé.

Ce fut encore pire quand l’alien se mit à bouger, se retournant sans que ses jambes et ses pieds ne remuent, pliant son corps en deux dans un sens impossible. C’était comme s’il n’y avait pas le moindre os à l’intérieur de lui. Tili haleta, retint un cri et fit de son mieux pour ne pas reculer. Presque aussitôt, la créature se figea, puis très lentement, bougea ses jambes pour les mettre dans le sens logique. Il tendit ensuite son bras d’une manière qui n’avait rien d’humaine vers la porte derrière lui et un filament fin qui semblait être fait de la même matière s’enroula autour de son poignet. Il resta un long moment comme ça avant que la seconde créature ne rentre à son tour. S’ils étaient de la même espèce, ils n’avaient strictement rien de commun. On aurait dit une araignée démoniaque. Cette fois-ci Tili recula sans pouvoir s’en empêcher, tant l’être dégageait une impression de danger. Il semblait être fait d’arrêtes et de pics, la majorité était d’ailleurs tournée vers lui comme pour le menacer. Il restait perpétuellement en mouvement, sans pour autant lâcher son partenaire, s’accrochant de partout dans la pièce sans aucune difficulté et sans faire le moindre bruit.

Tili s’était rapproché du mur le plus éloigné des créatures et il hyperventilait sans être capable de se maîtriser. A bout de souffle, terrorisé, il tenta néanmoins d’établir le contact car c’était ce qui était attendu de lui et les deux autres semblaient être prêt à faire au moins preuve de patience puisqu’ils ne marchaient pas jusqu’à lui.

- Bon-bonjour. Murmura-t-il sans parvenir à les regarder.

Seul le silence lui répondit, le mettant un peu plus mal à l’aise encore. Il reprit, en bégayant.

- Je… Je m’appelle Tili. Je viens… Je viens d’un dôme secondaire, sur la planète Terre. Et… Et vous ?

Le silence à nouveau pendant un long moment avant que celui qui avait pris forme humaine n’avance d’un pas lent vers lui. Tili se recroquevilla un peu plus contre le mur, horrifié. Ils étaient à mi-chemin, l’un de l’autre, lorsque le troisième s’interposa violemment. Tili poussa un cri, il ne s’attendait pas à ce qu’il puisse être aussi rapide. Ses différents pics arrivaient à sauter comme des élastiques et à s’étendre tout aussi vite si ce n’était pas plus. Il s’était glissé entre eux, tournant des dizaines de pics menaçant vers le jeune humain.

Les deux aliens semblaient comme figé dans le temps, dans cette posture étrange. Ils communiquaient sans doute, mais ils n’émettaient pas le moindre son et ne faisaient pas le moindre geste. Pourtant, à l’issu de la discussion qui avait sans doute eut lieu, les pics se rétractèrent et l’alien se poussa, permettant à l’autre de venir à son contact.

- Que faites-vous ? S’il-vous-plait. Expliquez-moi.

Mais il n’y eut pas le moindre signe de compréhension à sa supplique et ce bras étrange bougea jusqu’à ce que cette main qui semblait à peine humaine vienne le toucher. Elle était fraiche mais pas totalement froide. Sa texture était étrange, il n’avait jamais rien touché de similaire et pourtant, son esprit pensa au latex. Solide mais déformable. Lorsque les doigts se déformèrent pour palper le tissu de son vêtement, Tili comprit qu’il n’y avait véritablement pas le moindre os là-dedans et qu’il pourrait sans doute prendre la même forme que l’autre s’il le désirait.

- Qu’est-ce que…

Il tirait sur les vêtements cherchant visiblement à l’enlever, alors Tili leva la main et posa ses doigts sur l’alien le figeant totalement. Le jeune homme fit de son mieux pour se reprendre et demander à voix basse un peu de douceur.

- Doucement. Ne m’arrachez pas mes habits, s’il-vous-plait.

Les palpations reprirent mais en se concentrant sur sa main, puis en glissant le long de son poignet et sous sa manche. Le corps de l’alien était visiblement déformable à souhait. Soudain, il le piqua, faisant crier Tili sous la surprise mais également sous la douleur et presque aussitôt, l’alien recula tout en tentant de conserver cette forme qui n’était très visiblement pas la sienne.

- Qu’est-ce que vous avez fait ? demanda Tili, très angoissé.

En soulevant sa manche il pouvait voir, fichée sous sa peau, une petite aiguille noire. Le geste semblait clairement agressif, mais il n’avait pas le temps de s’y attarder car déjà, l’autre alien s’approchait à son tour avec de grands gestes pénibles à regarder. Tili essaya de le fuir, mais face à lui, il semblait terriblement lent et maladroit. Très rapidement, il l’attrapa, s’enroula autour de son bras, le plaqua au sol sans s’occuper de ses cris et le piqua tout près de l’endroit où l’autre l’avait blessé. Et juste après, il le lâcha et se rétracta violement, comme s’il le fuyait.

Tili resta au sol, blottit dans un angle, choqué. Il avait essayé d’imaginer cette rencontre mais ça ne ressemblait pas du tout à ça. Dans l’autre partie de la pièce, les deux êtres se tenaient l’un contre l’autre et ils restèrent très immobiles à nouveau durant un long moment. Assez longtemps pour que les larmes cessent de couler sur les joues du jeune homme et qu’il cesse également de frotter son bras endoloris. Mais lorsque le plus doux des deux revint, Tili aurait pu hurler pour qu’il ne le touche pas. L’être étrange sembla le comprendre puisqu’il avança de manière à le faire bouger, le conduisant là où il le voulait. Il le poussa vers la sortie, mais Tili ralentit en s’approchant de l’autre. Heureusement, assez vite, ce corps étrange se faufila devant lui ouvrant la voie sans chercher à le toucher.

Dans le grand couloir qui séparait la pièce de rencontre des quais d’arrimages, il vit au loin, l’Ancien de son dôme qui le regardait, peiné. Il avait sans doute entendu ses cris et ses pleurs depuis l’extérieur, impuissant. Tili ralentit mais presque aussitôt, on le toucha, le faisant bondir vers l’avant. Quelques pas suffirent à le faire atteindre l’autre vaisseau et le changement d’ambiance fut des plus édifiants.

Le vaisseau des aliens qui étaient venu les chercher avait l’air chaleureux en comparaison. Tout était en nuance de gris ici. Le sol était étrangement dur comme de la pierre et il n’y avait pas le moindre bruit. Il avait la sensation de rentrer dans un espace mort. L’envie de faire demi-tour en criant le prit, mais il ne pouvait simplement pas. Les deux autres l’entouraient totalement et d’une manière assez étrange. Le plus doux avait conservé des traits globalement humains, mais tout autour de son dos s’élevait maintenant de grands pics agressifs comme s’il interdisait à qui que ce soit d’approcher. Tili mit un long moment avant de voir les autres.

Entre le sol et le plafond, des poutres rondes énormes séparaient l’espace. Ce n’était pas si évident que ça, mais ils finirent par bouger et Tili les vit. Tout le long de l’espace, des corps étaient accrochés. Des corps similaires aux deux aliens qui étaient venus le chercher mais dont la peau n’était pas tout à fait de la même teinte. Ils bougeaient et ils bougeaient vers eux. Allaient-ils tous venir le piquer de la même manière ? L’idée même le fit frémir et se ratatiner sur lui-même, mais il continua de suivre le mouvement jusqu’à ce que l’on lui permette de s’arrêter, tout contre l’une des poutres. Blotti contre elle, il finit par comprendre que c’était tout autre chose. C’était un arbre.

***

Rien ne bougeait autour de lui et c’était peut-être le pire. Depuis combien de temps était-il là ? Il ne bougeait pas non plus, mais ses genoux pliés lui faisaient mal et son dos courbé était de plus en plus tendu mais il n’osait pas bouger. Au-dessus de lui, l’alien plein de pic s’était installé, le recouvrant à moitié sans le toucher pour autant. Au sol, à côté de lui, l’autre alien conservait cette forme bizarre qui se voulait humaine. Que faire ? Tili se sentait horriblement mal. Que faire ? Il se prit à penser à ses amis. D’abord à Kimi qui était resté au dôme. Voir autant de personnes partir avait dû être un véritable choc. Rester à l’arrière à devoir simplement encaisser les départs sans ne rien pouvoir faire n’avait rien d’une chance, il en avait conscience et pourtant, il l’enviait. Puis il pensa à ses autres amis, qui étaient montés dans un autre vaisseau. Il espérait qu’ils pourraient rester ensemble le plus longtemps possibles et peut-être même rencontrer de nouveaux humains. C’était toujours un honneur de rencontrer quelqu’un. Il se prit à espérer qu’ils étaient heureux car lui ne l’était absolument pas. Son ventre fit du bruit, le ramenant à la cruauté du moment présent.

Il commençait à avoir faim et il n’y avait visiblement rien de fait pour lui dans cet endroit. Il allait mourir là. Enfin, on lui avait dit que ces créatures étaient intelligentes et c’était bien difficile à croire alors qu’ils étaient aussi immobiles et bizarres, mais toutes intelligente soient-elles, ils étaient juste trop différents pour que cela fonctionne. Peu importait que l’un des deux tente de le grimer… Il soupira doucement et marmonna :

- J’ai faim…

Sans surprise, personne ne lui répondit, pire, ils ne bougèrent pas.

- Alors c’est ça ? Tout ce trajet pour ça ? Je ne tiendrais jamais vous savez.

Tili baissa la tête, vaincu et murmura plus pour lui-même qu’autre chose que c’était bien ironique tout de même. Après tout, n’était-il pas censé résoudre leur problème ? S’ils n’arrivaient ni à communiquer, ni à lui fournir ce dont il allait avoir véritablement besoin, il ne pourrait jamais les aider.

Soudain, celui qui l’imitait se mit à bouger et avança vers lui, le faisant reculer autant que possible. Il effectua une série de gestes bizarres qui le terrorisèrent tant ils n’avaient rien d’humain. Vraiment, personne n’aurait pu plier son coude comme il venait de le faire ! Puis il bougea à nouveau et le toucha tout doucement sans s’occuper de ses grands gestes qui tentaient de le repousser. Finalement il s’arrêta tout aussi soudainement qu’il avait commencé. Tili mit un long, un très long moment avant de comprendre, mais il finit par demander :

- Ce sont des expériences c’est ça ? Tu vérifies si je vois tes gestes ? Et si je perçois quand tu me touches ? T’as pas de yeux toi hein… Pourtant, tu n’as pas l’air aveugle. A quel point est-ce que nous sommes différents ? Tu m’entends seulement ?

Il attendit, à la recherche d’une réponse, exactement comme l’alien l’avait fait quelques instants avant et comprenant la similitude, il en fut des plus perplexes. Il ne s’attendait pas à avoir le moindre point commun avec eux. Il observa celui qui bougeait comme de l’eau, comme une immense flaque étrange et se demanda sincèrement comment communiquer avec lui.

Le ventre noué par la faim, il décida de tenter le tout pour le tout et se pencha vers l’avant jusqu’à pouvoir le toucher et là, il tapota de son doigt une petite surface de peau. Elle était plus dure qu’il ne l’aurait envisagé et à l’instant même où il s’en fit la réflexion, il la sentit s’attendrir, devant presque liquide sans pour autant coller à ses doigts, comme si ce n’était qu’une toute petite surface posée sur de l’eau. Il pouvait voir à l’œil nu, la différence autour de son doigt.

Doucement, gentiment, il bougea le bout du doigt, s’émerveillant de voir la texture qui suivait ses mouvements en temps réel puis il se passa quelques choses d’étranges. L’alien leva la seconde main et au creux de sa paume, il vit ce qui semblait être une texture similaire. Doucement, il posa le doigt dessus et effectivement, c’était la même chose. La peau palpita, comme si de petites billes venaient la percuter en dessous. Était-ce un signe de joie ? Ou peut-être une menace ? Il retira son doigt, mal à l’aise et recula un peu. Il avait toujours aussi faim. Et que penser de tout ça ? Oh ils avaient déjà eu des interactions, pas seulement quand ils l’avaient piqué, mais leur manière de le rabattre pour le forcer à avancer et le guider jusque-là montrer une forme d’intelligence et une forme de communication. Seulement, là, c’était un peu différent. C’était un contact inutile et pourtant qui supposait une forme d’intelligence.

Il était tellement perdu dans ses pensées, qu’il faillit manquer l’apparition d’un bourgeon tout près de lui et sur cette petite tige fine, une espèce de feuille très large. Il l’observa, incrédule, se dérouler tranquillement jusqu’à devenir solide et plate. Ce qui se passa ensuite relever plus de la magie qu’autre chose tant ça lui sembla impossible, mais sur cette surface, des choses apparurent progressivement. C’était comme des milliers de petites boules grises, qui lentement gagnèrent en couleur et bougèrent pour se réunir avec d’autres et bientôt, cela ressembla à un plat qu’un humain pouvait manger. Pire, ça sentait même comme le dit plat. Une pomme ou tout autre fruit l’aurait surpris, mais voir apparaitre ainsi une part de gratin de riz à la courge, chaude à souhait, c’était tout autre chose. Sa bouche se remplit de salive rien qu’à l’odeur alors que son ventre se noua en se demandant ce qu’il allait réellement avaler s’il mangeait ça et quel goût ça aurait. Il hésita. Il hésita franchement, mais en même temps, quelles étaient ses autres options ? On ne lui donnerait sans doute pas mieux et s’il n’avait pas senti le moindre choc dans l’environnement, ça ne voulait pas dire pour autant qu’ils étaient toujours arrimés. Il n’avait peut-être plus du tout accès à quoique ce soit d’autres. Lentement, il porta sa main à la part, saisit quelques grains de riz chaud, souffla dessus et les porta à sa bouche en fermant les yeux. La texture, le goût, la chaleur, … Tout était strictement similaire à ce qu’il connaissait.

En réouvrant les yeux néanmoins, il poussa un grand cri et chercha à fuir. Dans le petit laps de temps où il avait fermé les yeux, plusieurs dizaines d’aliens s’étaient approchés et contournant le faux-humanoïde malgré les pics qu’il avait tourné vers l’extérieur, plusieurs étaient arrivé quasiment à son contact et tendant des bouts de leurs corps informes vers lui. Ils n’étaient pas comme ceux qui étaient venu le chercher. Il n’avait pas la douceur de l’un et ils n’étaient clairement pas aussi déstructurés et visuellement agressif que l’autre. Pas que visuellement, comprit Tili en voyant « l’autre » s’abattre sur l’appendice indiscrète, la transperçant violement. En un rien de temps, il fut contre lui le plaquant à l’arbre et l’englobant, sans pour autant le toucher, comme un cocon. Un cocon remplit d’épines internes, toujours aussi menaçant.

Le cœur battant la chamade, observant à travers les nombreux trous présents entre les fils de cette chaire étrange, il put observer un véritable combat. Il ne permettait à personne d’approcher et n’hésitez pas à piquer tous les imprudents. Au bout d’un long moment, ils étaient tous tenu en respect et celui qui était habituellement humanoïde se déforma, bougea jusqu’au plat dont il se saisit puis avança en reprenant cette forme qui le rassurait et l’inquiétait en même temps. Il ne fut pas piqué au contraire, les mailles de ce corps étrange s’écartèrent pour le laisser entrer dans la petite zone défendue.

L’alien s’assit rapidement à côté de l’endroit où il s’était recroquevillé et lui tendit de nouveau la nourriture. Presque aussitôt, à l’extérieur, ils s’agitèrent à nouveau. A titre d’essai, il tendit la main vers la nourriture et presque aussitôt, deux individus différents approchèrent et furent cloués au sol par des épines effilées. Il retira sa main et les observa se calmer vaguement. Il recommença, obtenant le même effet.

Le fait qu’il mange allait provoquer des affrontements. Il retira définitivement sa main, espérant calmer les choses. Il ne pouvait pas les laisser se battre comme ça malheureusement il avait vraiment faim. Il ne pourrait pas s’empêcher de manger indéfiniment non plus. Mais être la source d’un conflit, ce n’était pas possible.

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