Je sursaute. Ma main resserre sa prise sur le club de golf. Il est là, il rôde dans le coin. Ses pas de velours sur le parquet, son odeur de fauve flottant dans la pièce, ce plaisir malsain vibrant dans l'air. Mon corps tremble dans la terrible attente. Il va se montrer... tôt ou tard. Pourtant, il n'est pas dans la pièce. Je jette encore un regard craintif autour de moi. Toujours rien. Le cœur battant à mille à l'heure, j'allume mon ordinateur. Je commence à taper mon code. Mes doigts frôlent le plus silencieusement possible les touches. Malgré cette précaution, je m'arrête. J'ai cru l'entendre. La maison est silencieuse, pourtant je ne m'y fie pas. Depuis le temps, j'ai appris à me méfier de ces faux calmes. Surtout les nuits de pluie comme celle-ci.

Ploc ! Ploc ! Crac !

Une goutte de sueur dévale ma tempe. Je reprends en main le club de golf, les mains tremblantes, prête à me défendre si besoin est. Mes yeux scrutent la sombre pièce. Je ne l'appelle plus ma chambre ; toutes mes affaires sont dans le grenier. Le but : me débarrasser de tout ce qui aurait pu devenir une cachette pour lui. Il ne reste plus qu'un bureau, un lit et un miroir trop imposant pour être déplacé. Un terrain à demi-miné vaut toujours mieux qu'un autre sans aucun piège. J'avale difficilement ma salive. Une, puis deux et trois longues minutes passent. Il ne montre toujours pas le bout de son museau.

Ploc ! Ploc ! Ploc !

Presque au ralenti, je me remets à effleurer les touches de mon ordi. Ma session est enfin déverrouillée. Le bureau s'ouvre et je manque de défaillir une nouvelle fois en voyant le fond d'écran. Une photo de classe prise l'année dernière. Mon regard se bloque sur un visage en particulier. Cette fille au milieu, le nez un peu retroussé et avec de longs cheveux roux encadrant son visage, elle sourit. C'était la vraie Lisandrin, celle d'il y a trois mois, six jours et onze heures. Mon ombre a fini par écraser cette fragile image sous ses puissantes griffes. Pauvre petite chose, elle n'avait même pas eu le temps d'expérimenter les péripéties d'une vie d'ado normale. Juste, peut-être, un léger intérêt pour un brun aux yeux verts intenses de sa classe. Malheureusement, rien de très concret.

Ploc !

Je chasse cette pensée de ma tête et ouvre une boîte de discussion. INDRIK43. Un pseudo étrange... pour un gars étrange... qui a des manières étranges. Notre rencontre sur la toile d'internet est sans doute un hasard. On fait avec. Un forum, un message désespéré, une rencontre. Traquenard ou pas, nos discussions me font du bien.

Un souffle d'air caresse ma joue. Mon cœur rate un battement. Une sombre masse me cloue contre le mur. J'étouffe un cri de douleur. Ma respiration se coupe. Il n'a pas de corps... Il n'a pas d'yeux... Il n'a pas de crocs... Et il m'écrase contre une paroi de plâtre. La pression augmente.

Ploc ! Ploc !

Mes côtes craquent. Je me débats du mieux que je peux. Rien ne bouge. Des griffes déchiquettent mes poumons, cette sensation de brûlure me monte les larmes aux yeux. Je suffoque. Soudain, un éclair illumine ma chambre.

Ploc !

Ma main rencontre une surface froide. Je l'empoigne et l'envoie heurter mon agresseur. Ma ridicule tentative de renversement atteint son but. Le club rencontre une masse invisible et la pousse en dehors du lit. J'avale une grande goulée d'air qui me brûle les poumons. Mon corps tremble, mes os sont liquéfiés.

Ploc ! Ploc ! Ploc !

J'attrape maladroitement la gourde sur ma table de nuit et bois son contenu. Peu à peu, ma respiration reprend un rythme normal. Mon cœur se remet de ses émotions comme si rien ne s'était passé. Pourtant... Pourtant jamais... jamais mon esprit n'oubliera cette image fugace qu'a dessinée l'éclair sur le mur de ma chambre... Celle d'un lion dont les griffes encerclaient ma gorge. Le tonnerre rugit une nouvelle fois, ébranlant les fondations de ma maison et de mon esprit.

Il faut que je me détende. L'attaque est passée. Il ne va pas retenté sa chance. Un court répit. Je le suis des yeux. Il sort de ma chambre, traversant la porte. Mon ombre n'a d'emprise que sur moi. Me pousser, me griffer, me faire mal... ça il sait faire. Malgré ça, son état de faiblesse est palpable.

Ça ne va pas durer. Demain, on remet les compteurs à zéro. Et je resterai sa seule et unique victime puisqu'il ne peut s'en prendre à d'autres humains.

Je souffle un bon coup et jette un œil à mon ordinateur. Il n'est pas cassé. Première bonne nouvelle du jour. La boîte de discussion est toujours ouverte. Je jette encore un coup d'œil en direction de la porte. Il n'est plus là. Je m'enfonce dans ma couette, me blottis à l'intérieur d'un cocon de chaleur. Lentement, le calme se fait dans mon esprit. Je tape un message à la seule personne qui me fait sentir normale.

MANTICORE13

Tu es là ?

INDRIK43

Toujours là pour toi ma princesse.

Je grimace un peu en voyant mon surnom. Une autre chose à ajouter à la longue liste de mes malheurs.

MANTICORE13

Je t'ai déjà dit d'arrêter de m'appeler comme ça !

INDRIK43

Qu'y puis-je si je t'imagine comme une de ces majestueuses princesses slaves ?

Un rougissement colore sur mes joues. Je secoue la tête. Et puis quoi encore !?

MANTICORE13

Ce n'est pas une bonne raison !

INDRIK43

Ah bon ? Je n'ai plus le droit de complimenter la fille que j'aime ?

Que... Quoi ?!

MANTICORE13

La fille que tu aimes ?! Tu ne m'as jamais vue je te signale !

INDRIK43

Pas besoin de te voir pour savoir que tu es l'élue de mon cœur.

MANTICORE13

Arrête ça tout de suite !

Je me cache sous ma couette. Je sais qu'il ne peut pas me voir à travers cet écran, mais ma gêne reste tout de même bien vivante.

INDRIK43

Tu es gênée hein ?

MANTICORE13

Je t'ai dit d'arrêter !

Quelques longues secondes passent.

INDRIK43

Désolé... Tu as peut-être déjà un petit ami...

MANTICORE13

Non non ! Je n'en ai pas. Pas besoin de t'excuser.

INDRIK43

Ah bon ? Une fille aussi géniale que toi ne sort avec personne ?

Je mordille ma lèvre avant de taper une réponse maladroite.

MANTICORE13

C'est à dire que les gens en général me trouvent bizarre. Tu sais pourquoi...

INDRIK43

Tu parles de ton ombre ?

MANTICORE13

Dans le mille.

INDRIK43

Tu sais, j'ai une théorie là-dessus.

MANTICORE13

Laquelle ?

INDRIK43

Et bien, si ton ombre se manifeste sous la forme d'un lion, c'est peut-être parce qu'elle représente ton toi profond.

MANTICORE13

Explique ça un peu mieux.

INDRIK43

D'accord, d'accord. En fait, il faut vraiment être très courageux pour ne pas perdre la boule. Je me suis dit, comme le lion est un symbole de courage, que ça expliquerait le pourquoi du comment.

Je relis plusieurs la phrase, croyant rêver.

MANTICORE13

T'es sérieux ? Moi ? Courageuse ? C'est n'importe quoi. Si tu voyais dans quel état je suis, tu aurais certainement plus le même discours.

INDRIK43

C'est vrai. Ça ne doit pas être facile tous les jours. Tu as beaucoup changé depuis son arrivée ?

Je fronce les sourcils. Aucune réponse claire ne me vient à l'esprit. À vrai dire, c'est une question que je ne me suis pas posée.

MANTICORE13

Attends une minute.

Je sors de mon lit, un peu vacillante, et m'appuie contre le mur pour ne pas tomber. Mes yeux s'ouvrent et se ferment comme pour chasser le vertige qui m'assaille. Un... deux... trois... Il repart. Je glisse sans faire de bruit vers mon miroir. Une prouesse vu l'état du parquet dans cette pièce. Il n'a pas remarqué ma manœuvre. Il doit encore dormir dans le couloir. Sans plus de cérémonie, j'observe mon reflet. Maigre, fatigué... pathétique. Sa maigreur, elle fait la course vers les abysses avec ses notes. De lourdes cernes entourent ses yeux, deux poches de fatigue concentrée à laquelle je rajouterai bien un nuage de lait. Tout en lui inspire la pitié. Pathétique.

Toujours d'un pas mal assuré, je retourne me blottir dans les bras de ma couette. Elle au moins ne me jugera jamais.

MANTICORE13

J'ai perdu beaucoup de poids et des cernes sont imprimées sous mes yeux.

INDRIK43

Vraiment ? Tu es en bonne santé au moins ?

MANTICORE13

Pourquoi ? Ça t'intéresse ? Tu n'es pas entré en contact avec moi pour parler de... lui ?

INDRIK43

Si si, bien sûr. C'est juste que je m'inquiète pour toi. Ton entourage t'aide dans cet épreuve ?

Un de mes sourcils se lèvent à cette nouvelle question. J'y réponds tout de même, un peu sceptique.

MANTICORE13

Pas vraiment. Mes parents m'ont collé un psy et mes « amies » m'ont toutes lâchée.

INDRIK43

Désolé. Je n'aurais pas dû demander...

MANTICORE13

C'est pas grave. Ça ne me fait rien d'en parler.

J'essuie une larme au coin de mon œil.

MANTICORE13

Vraiment, faut pas t'inquiéter.

INDRIK43

Si tu le dis...

Mon regard dérive vers mon réveil. 3H32.

MANTICORE13

Bon, faut que je te laisse. Dormir et tout le tralala.

INDRIK43

Ok.

Mon doigt plane au-dessus du bouton pour éteindre l'ordinateur. J'hésite pendant une seconde avant d'écrire un autre message.

MANTICORE13

Je voulais te remercier.

INDRIK43

Pour quoi ?

MANTICORE13

Pour être là pour moi.

INDRIK43

Oh, ce n'est rien ma princesse.

MANTICORE13

Non, vraiment. Ça me touche vraiment. Dommage que cette discussion se fasse à distance. On devrait s'organiser un R.D.V. une fois, histoire de vraiment faire connaissance !

INDRIK43

Très bonne idée !

MANTICORE13

Du coup, bonne nuit !

INDRIK43

Bonne nuit ma princesse. Que ton lion soit mort dans ta jungle cette nuit !

L'ombre d'un sourire se dessine sur mon visage en voyant son dernier message. Vraiment étrange ce garçon.