Anguleux (Inktober jour 16)

4 minutes de lecture

Légèrement cachées sous sa capuche, elles sont devenues sa vitrine. Sa vie est inscrite sur son visage. Ce faciès si grave et si sérieux. La spontanéité des sentiments s'est évanouie car trop douloureuse pour elle, alors son corps l'exprime autrement : par tous ces sillons qui lui creusent la peau, comme un millier de cicatrices qu'elle aurait voulu oublier. Mais la vie semble avoir décidé à sa place. Alors aujourd'hui, elle nourrit des chats errants, des pigeons, et autres damnés de la société car trop différents, trop étranges, trop invisibles et à la fois trop encombrants pour le petit bien-être bourgeois de tout un chacun. Elle trouve dans la spontanéité des animaux cette reconnaissance et cette beauté cachée qui nous empêche de nous révéler, trop formatés que nous sommes à l'absurde du paraître. Toutes ces lignes racontent son histoire comme des cicatrices que le temps n'a que trop enduré lui-même.

Elle l'a aimé, cet homme aux yeux clairs parti du jour au lendemain, sa laisser d'adresse ni aucun signe de vie. Les lignes qui se dessinent aux coins de ses yeux rappellent également leurs transports enflammés, ardents, si romanesques qu'elle s'y était abandonnée sans penser au lendemain. Les bords de sa bouche sont marqués par la solitude qu'il lui a offerte comme un cadeau empoisonné, comme un livre dévoré donnant finalement naissance à une conclusion décevante, nous laissant sur notre faim. Comme si la vie se résumait à la fuite en avant de tous les moments forts d'un individu.

Elle l'a aimé, cet enfant qu'elle s'est toujours imaginé, mais que Dame Nature ne lui a jamais offert. On peut voir la vie de ce bébé sur ce visage qui l'a tant pleuré et qui a fini par admettre sa "non-venue", sans trop savoir comment, ni avec quelle force. Parce que de la force, elle en a eu besoin pour survivre à tous ces coups durs, comme si son cœur était devenu son moteur principal, sa bouée, puis son pire ennemi car trop pur.

Les Autres ne sont peut-être pas faits pour elle. Ou peut-être qu'elle n'est pas faite pour ces Autres ? Elle a trop adoré, trop donné, trop investi, trop ressenti. Elle a été trop elle-même, et son existence l'a marquée comme au fer rouge pour qu'elle se souvienne que sincérité et honnêteté ne paient pas avec tout le monde. Qu'elle n'oublie jamais. Et elle a compris. Alors, son visage s'est transformé, comme un mauvais rêve devenant réalité. Toutes ses cicatrices internes sont ressorties. Tous ses malheurs. Toutes ses déceptions. D'ailleurs, elle ne pleure plus depuis longtemps. Non, ces rides s'en chargent pour elle, écrivant son histoire aux yeux de tous. Tout ce qu'elle voudrait présentement, c'est donner à manger à tous ces parias qui lui ressemblent, dans cette indifférence et cette froideur typique de la foule pressée à cause de la pluie, du vent, de la neige, de Noël... À cause d'eux-mêmes. Elle accepte toutefois ces marques qui la caractérisent car, dans son instabilité actuelle, elles lui permettent de repartir de temps à autre à la reconquête mélancolique de ses bonheurs passés bien réels, comme un pèlerinage intérieur la confortant dans l'idée que la vie peut s'avérer cruelle, certes, mais aussi magnifique des couleurs et des lumières d'autrui.

Elle ressemble à une histoire que nous pourrions découvrir si nous prenions la peine de nous y ouvrir. Son mariage se révèlerait sous un jour heureux, avec celui qui avait cru être capable de panser ses plaies. Ses joues creuses et fripées par tant de tourments et de tempêtes en tous genres nous projetteraient l'image d'une jeune femme battante, volontaire et en quête perpétuelle d'une sérénité, ou, tout du moins, d'un apaisement spirituel nécessaire à sa grande sensibilité.

Elle donne à manger aux pigeons et aux chats errants comme on peut déposer un baiser sur les lèvres de l'être aimé chaque matin, alors que le soleil n'est pas encore levé. Et ils lui en sont reconnaissants, comme si l'Amour de l'Autre devait nous en rendre redevable. Mais nous le voyons ainsi car nous sommes trop formatés à l'universel. Ils ne lui en sont reconnaissants que parce que c'est le sentiment et le geste le plus naturel qui puisse encore exister dans ce monde. Ce devrait d'ailleurs être l'émotion le plus valorisée qui soit aujourd'hui. Mais l'ère du numérique est un ennemi bien trop puissant pour l'instant. Si nous suivions du bout du doigt les rides de son visage, les yeux fermés, nous pourrions la Voir.

Cette vieille dame qui donne à manger aux pigeons et aux chats errants en chantonnant doucement, comme pour les bercer, les rassurer. Comme si elle leur affirmait que la vie pouvait leur être plus douce de temps en temps. Comme une parenthèse de délicatesses malgré toutes ces marques qui la trahissent et la dénudent contre sa volonté.

Oui, ces rides qui se croisent et s'entremêlent sont un chemin par lequel elle nous apparaîtrait dans sa Vraie Lumière, si nous fermions les yeux dans une bonne intention...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Taylor Hide ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0