Par une belle nuit d'automne

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Aux confins des terres septentrionales de Melrik le généreux, l’on raconte que lorsque les cloches de Sainte Croix s’entendent jusqu’à Malporte, l’arrière-saison promet d’être douce et sèche. Hélas, cette nuit-là, Malporte fut sourde aux carillons du petit village voisin. Par un curieux hasard, alors que toute la journée avait été chaude et lumineuse, à la tombée de la nuit, un épais brouillard s’était installé insidieusement sur toute la vallée et la température avait chutée d’au moins dix degrés en quelques instants. Si une ou deux personnes s’en était inquiétées, les autres habitants n’y voyaient que les premiers frimas de l’automne et avaient rapidement rejoint leur demeures, ignorants du danger qui les guettait.

Ce brusque revirement si inattendu des conditions météo n’était peut-être pas tout à fait dû au hasard. La vallée se trouvait ainsi isolée du reste de la contrée et les cris de frayeur furent vite étouffés par de grandes mains hostiles, les sanglots des enfants et les hurlements des parents courroucés furent tus par les lames tranchantes de l’ennemi rendu presque invisible par l’obscurité. En quelques minutes, les loups avaient exterminé tous les habitants sans plus d’égards pour leur vie qu’à celles des moutons qu’ils égorgeaient par dizaine pour leur repas de fête.

La meute, guidée par Kordan, attendait patiemment les prochains ordres près de l’église ou’ gisait le corps sans vie du Père Simon. Il avait vainement tenté d’alarmer Malporte de l’invasion ennemi en actionnant les cloches. Tentative qui lui avait valu d’être projeté violemment dans le vide, et ce avant même qu’il n’ait le temps de réaliser que quelqu’un se trouvait derrière lui. Sa tête, quelques vingt mètres plus bas, avait éclaté sous la violence de l’impact. La petite mare de sang qui auréolait à présent son corps n’avait pas l’air d’indisposer la petite troupe silencieuse. Du haut du clocher, Kordan inspectait longuement les environs pour s’assurer que personne n’avait eu le temps de s’enfuir. Ils avaient pris toutes les précautions possibles pour s’en assurer mais mieux valait être prudent et vérifier une fois encore. Dans ce genre d’opération la moindre erreur pouvait être fatale. Cette leçon Il l’avait apprise à ses dépens. Il avait dû prouver maintes fois son sens tactique à son père avant qu’il ne lui refasse tout à fait confiance et ne lui confiât à nouveau des opérations de cette importance. Une erreur de jeunesse qui ne risquait pas de se reproduire il en faisait un point d’honneur. Il devait entrer dans Malporte la nuit prochaine en utilisant le même stratagème que celui au point cette nuit et perdre l’effet de surprise aurait rendu l’opération beaucoup plus compliquée, voire impossible. Dans les deux autres petits villages proches de la ville, la même opération devait avoir lieu et rien ne le laissait croire que ses lieutenants n’avaient pas remporté le même succès. La journée qui allait bientôt commencer était décisive. Ses hommes avaient pour mission d’intercepter toutes personnes qui cherchaient à entrer ou à sortir des villages assiégés afin d’isoler complétement la ville. Son père avait été clair aucune communication ne devait parvenir à Malporte avant son signal. L’épais brouillard rendait la visibilité à plus d’un mètre pratiquement impossible ce qui limiterait, en tout cas il l’espérait, les déplacements. Si personne ne se présentait aux portes de la ville une journée, les gardes ne soupçonneraient rien de plus qu’une volonté de ne pas se hasarder sur la route. La chute de température pour le moins inhabituelle le chagrinait un peu mais on lui avait garanti que c’était le seul moyen d’obtenir un brouillard de cette qualité.

Kordan avait choisi méticuleusement la date de l’opération, ni la veille ni le jour même du marché, ni le jour de la grand-messe. Il avait exclu aussi le jour ou' le représentant du duc venait écouter les doléances de chacun. Enfin son plan ne pouvait pas non plus avoir lieu à proximité d’une fête qui risquait de mettre sur la route tout un tas d’itinérants du spectacle et autres artisans ambulants qui n’habitaient pas dans les villages. Avoir un espion dans la place, qui connaissait bien à l’avance toutes les dates importantes, l’avait bien aidé dans sa planification. Devoir l’éliminer discrètement sans éveiller les soupçons avait été plus compliqué. Le bras droit du prélat était rarement seul et bien trop jeune pour mourir d’une crise cardiaque comme son prédécesseur. Kordan avait toutefois fini par trouver sa faille. Le jeune homme allait régulièrement ramasser des champignons dans les bois avoisinants et, même s’il était reconnu comme l’expert en la matière, personne ne s’était vraiment étonné qu’un petit cortinaire si joli se soit glissé malencontreusement dans sa cueillette pour finir dans son assiette. Qu’une autre personne ait malheureusement succombé à l’omelette prévu pour lui seul n’était qu’un imprévu, somme toute prix négligeable à payer pour avoir la paix de l’esprit.

Romain avait décidé d’attendre que le soleil se couche pour emmener Fureur faire sa promenade quotidienne. La fraicheur du soir naissant et le calme sur les chemins de traverse étaient bien plus propices aux longues foulées de son cheval que n’importe quel autre moment de la journée. Alors qu’il venait de s’arrêter quelques minutes sur une colline pour admirer le coucher de soleil, il sentit la nervosité de Fureur monter. La bête n’avait clairement pas encore dépensé toute son énergie mais ce n’était pas son envie de repartir au galop qui lui faisait agiter les oreilles et tressaillir au moindre bruit. Quelque chose préoccupait l’animal. à sa connaissance seul deux choses pouvaient le mettre dans cet état : le feu ou un prédateur. Les loups avaient disparu des années auparavant et les quelques ours qui vivaient dans la forêt de Grantombre ne se hasardaient jamais si loin hors de leur territoire, en tout cas pas si tôt dans l’année. Se fiant davantage à sa vue qu’à son odorat, Romain, d’un petit coup de talon, fit faire volteface à son cheval pour s’assurer qu’il n’y avait ni fumée ni feux suspects qui menaçait le village ou les environs. Ce fut alors qu’il la vit. Une langue de ce qui semblait être une fumée blanche qui avançait lentement et, comme une avalanche, engloutissait le paysage sur son passage. Elle arriva à l’orée du village et s’insinua subrepticement entre les maisons ne laissant au début poindre que les toits puis recouvrant tout d’une cape immaculée. Foudre secoua la tête violemment et tira sur son mords comme pour demander à son cavalier de s’enfuir. Romain sentit lui aussi son inquiétude se muer en frayeur incontrôlable. Les poils de sa nuque s’étaient redressés et il réalisa qu’il avait froid tout à coup. Retourner au village et pénétrer dans cette espèce d’ouate humide ne le tentait absolument pas. Avant de céder à Fureur et de se mettre en mouvement, il fallait qu’il comprenne quelles étaient ces options. Le soleil avait disparu de l’horizon laissant place à une nuit faiblement éclairée par une lune blafarde. Il aurait dû apercevoir les lumières des chaumières mais il ne distinguait presque rien ce qui accrut encore son malaise et sa conviction qu’il ne voulait pas rentrer chez lui ce soir. Pour avoir grandi dans la région, se déplacer de nuit ne lui faisait pas peur mais pour aller où ? Ou’ trouverait-il un refuge pour son cheval et lui pas trop loin de là ? Malheureusement peu d’alternatives s’offraient à lui. Il pouvait essayer de rejoindre Malporte et se rendre chez son ami d’enfance Dorien, mais il aurait dû faire un très grand détour s’il voulait à tout prix rester éloigné de la brume, ou il pouvait aller à la bergerie abandonnée qui se trouvait sur la propriété du vieux Tarban. Si ce dernier venait à découvrir qu’il y avait trouvé refuge, au mieux il lui botterait les fesses, au pire il lancerait son chien à sa poursuite et il se ferait méchamment mordre comme quelques années auparavant. Instinctivement, il se frotta le bras ou’ la morsure la plus profonde que le molosse lui avait infligées le lançait encore par moments. Il soupira à cette perspective mais l’idée d’infliger à Fureur la route vers Malporte en pleine nuit ne lui laissa pas le choix. L’animal commençait à piaffer. Il tapota son encolure pour tenter de le calmer.

- Tout doux mon brave, on y va, affirma-t-il en lui pressant doucement les flancs.

Ils se dirigèrent vers la forêt en contre bas, s’éloignant ainsi de ce qui énervait Fureur et lui laissait un encore un profond malaise sans qu’il ne réussisse à s’expliquer pourquoi. Il intima à sa monture de rester au pas en tirant légèrement sur les rênes. Inutile de risquer de marcher dans une ornière et d’endommager une jambe à son cheval par une chute malencontreuse. Une fois rejoint Grantombre, ils leur suffiraient de la contourner par la droite pour rejoindre sans encombre le chemin qui menait à la bergerie.

Un fois sur le sentier, Romain se hasarda à lancer Fureur au petit galop. La bête ne rechigna pas et avala les kilomètres sans s’écarter du chemin qu’elle avait mainte fois parcouru auparavant. Romain n’avait plus à se préoccuper de la route et ses pensées retournèrent inéluctablement vers le spectacle qu’il avait observé un peu plus tôt. Un garçon de ferme comme lui connaissait bien peu le reste du monde mais cette vallée était sienne depuis toujours et en seize ans il n’avait jamais rien vu de tel. La brume dans la vallée n’était certes pas rare mais jamais d’une telle densité et jamais en cette saison et certainement pas après une période de sécheresse comme celle qu’ils avaient à peine connue. De plus, il n’avait pas souvenir que Fureur en fût préoccupé auparavant, ni lui-même du reste. Il secoua la tête, rien de tout ceci ne lui plaisait mais que pouvait-il bien y faire ? A’ bien y réfléchir il se mit à douter de son jugement. Demain tout serait surement revenu en ordre et ,quand il raconterait sa mésaventure à ses compagnons, ils ne manqueront pas de se moquer de lui en le prenant pour un lâche. Peu importe, son instinct lui disait qu’il fallait le faire et en attendant il passerait une nuit tranquille à l’abri et c’était tout ce qui comptait. S’il arrivait à déguerpir avant le poindre du nouveau jour, le risque que le vieux grincheux le surprenne était quasiment nul.

La bergerie était déserte depuis au moins deux décennies, depuis la mort du petit Torban d’après ce que disait les anciens. Ils pénètrent tous deux à l’intérieur. Il parcourut des yeux rapidement la pièce. Mise à part la disparition du buffet près de l’ouverture qui servait de fenêtre, pas grand-chose n’avait changé depuis sa dernière venue. Si la structure, faite de pierres et de belles poutres, était encore intacte, le toit avait souffert des intempéries et des oiseaux qui avaient pris le chaume pour construire leurs nids. La cheminée pleine de suie était probablement bouchée et de toute façon faire un feu risquait de le faire repérer, il y renonça donc de suite. Il ôta la selle et le mord de son cheval et le bouchonna avec un peu de la paille tomber du toit. Il partagea ce qui restait par terre pour servir de repas à Fureur et se confectionner une sorte de maigre paillasse. Une fois son travail accompli, il savait qu’il avait une dernière tâche qui l’attendait. Pour se faire il espérait que le seau qui se trouvait dans la sous pente s’y trouverait encore. S’il pouvait se passer de boire une journée ou deux, il savait qu’il n’en était pas de même pour son cheval. Par chance il le trouva là ou’ il l’avait laissé. Il se dirigea avec difficulté vers le puit au fond du jardin. Les herbes hautes avaient envahi la parcelle qui autrefois avait dû servir de potager. Le puit était pratiquement à sec mais Romain réussit tout de même à remplir le seau presque à raz bord. Il but quelques gorgées et se retint de tout recracher en découvrant son affreux gout saumâtre. Il ramena le seau à l’intérieur et, content de le voir revenir, Fureur l’accueillit de quelques coups de museau. Peut-être aussi pour se faire pardonner d’avoir mangé la paillasse.

Avec son habituel philosophie, Romain prit son mal en patience et, épuisé par sa journée de travail, s’allongea à même le sol, son bras gauche replié sous sa tête en guise d’oreiller.

De l’autre côté de la colline, Kordan avait demandé à ses hommes d’aller se cacher dans les maisons jusqu’au soir. La meute devait se reformer devant l’église pour partir à la conquête de Malporte à la tombée de la nuit. Ils s’étaient éparpillés rapidement après avoir désigné qui ferait les différents tours de garde et remplacerait les hommes en poste à l’extérieur du village chargés d’intercepter d’improbables voyageurs nocturnes.

Kordan était à la tête de milliers d’hommes, mais ce groupe là c’était un peu comme ses enfants. On les surnommer les loups car du carnassier du même nom ils avaient adopté tous ces codes. Obéissant aveuglement à l’Alpha, ils voyageaient toujours en meute. Silencieux, on ne les apercevait qu’au dernier moment. Ils se mouvaient de concert, anticipant les mouvements des autres, sans qu’aucune communication visible ne fusse nécessaire. En mission, ils se grimaient et portaient des peaux de bêtes pour qu’il fût presque impossible de les distinguer. Kordan les avaient sélectionnés parmi les meilleurs et les avait lui-même formé au combat rapproché. Il savait qu’ils auraient tous donnaient leur vie sans hésiter pour lui. En échange, Kordan leur garantissait une vie aisée et la tranquillité de savoir que leur famille vivrait une vie confortable même par de la leur mort. Dans leur pays, c’était un grand honneur que de faire part de la garde rapprochée de Kordan, le plus jeunes des sept Prince du royaume d’outretombe, et la plupart des fils ainés des hommes qui en avait fait parti étaient entré à leur tour à son service.

Assuré que tout son petit monde avait compris les consignes, il retourna à l’église et arracha du mur quelques tentures pour lui servir de couche. La vierge sur son piédestal placé juste en face de lui semblait vouloir lui parler. Quelque soit les reproches qu’elle ait à lui faire il s’en moquait bien. Personne n’était assez puissant pour s’opposer à sa volonté ou à celle de son père. Il se mit à ricaner et lui tourna le dos avant de fermer les yeux afin de profiter au mieux

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