Chapitre 7 : L'Homme qui valait un million, Partie 1

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Forlwey ne pouvait le cacher ; il était anxieux.

Depuis leur dernière communication une semaine auparavant, interrompue par l’arrivée inopinée de Sheamon Wave (qu’il n’avait pu voir que de dos avant que ce dernier ne mît fin à la transmission), le nosferatu n’avait pas réussi à contacter le Harakaï. Les rumeurs disaient que la trente deuxième flotte avait été écrasée. Était-ce le fait de l’ange déchu ? Forlwey n’aurait jamais imaginé que le renégat traqué attaquerait ses poursuivants avant que ces derniers eussent le temps de le retrouver. C’était à la fois audacieux et inattendu… et le nosferatu devait reconnaitre qu’il avait sous-estimé Sheamon Wave.

Puisqu’il n’avait plus d’information concernant la situation à Nice, Forlwey avait envoyé des émissaires directement sur place pour comprendre ce qu’il s’y était passé. Ses serviteurs lui avaient rapporté les informations diffusées par les journalistes humains. Quelle ironie… Lui, Forlwey le Comte Sanglant, l’un des nosferatus les plus puissants et considéré comme le plus proche serviteur de Sa Majesté, en était réduit à s’informer auprès des humains…

Comme la police locale avait investi les lieux, il n’y avait que peu d’images sur les dégâts causés par la bataille qui avait secoué Nice. Les autorités avaient déclaré à la presse qu’il s’agissait de l’explosion d’une conduite de gaz qui avait entrainé une réaction en chaine à travers toute la ville. Forlwey n’avait pas pu s’empêcher de sourire en lisant la nouvelle… C’était pour cela qu’il aimait autant les humains. Toute les excuses étaient bonne pour se voiler la face. Leur faculté à fermer les yeux alors que la vérité leur était servie sur un plateau d’argent était absolument stupéfiante.

Les niçois n’étaient cependant pas dupes. Beaucoup exigeaient de véritables explications que les autorités locales ne pourraient jamais leur fournir. Certains affirmaient avoir vu des créatures ailées s’affronter dans le ciel, mais aussi un géant de pierre et un immense vaisseau survoler la ville. Ils faisaient certainement partie de ces humains ayant l’œil sensible au surnaturel. Leurs vidéos et photos à l’appui, ils essayaient d’alerter les gens sur un immense complot fomenté par des extra-terrestres. En vain. Une personne n’ayant pas la capacité de voir à travers la Poussière serait bien incapable de remarquer le surnaturel, même sur une photo où une vidéo. Son esprit déformerait lui-même l’image pour que son contenu s’intègre dans le « réel » acceptable par l’humain. De toute manière la Tétrarchie ferait tout pour étouffer l’affaire. L’humanité tournerait donc très vite la page.

Néanmoins, la situation s’était compliquée… car les Seigneurs Primordiaux eux-mêmes risquaient d’intervenir. La destruction d’Umbrella avait déjà dû les intriguer, mais cette catastrophe à Nice et l’implication du Harakaï les mettrait sur leurs gardes. Ils allaient enquêter, et si l’existence de la fille était révélée au monde entier comme le craignait Némésis… Récupérer la princesse allait être impossible sans provoquer une guerre ouverte. D’ailleurs, à en croire les informations de ses serviteurs, les anges avaient déjà commencé à agir.

Et par-dessus tout, il y avait le renégat.

Sheamon Wave, le fameux mercenaire engagé par Sirius Aleyran pour protéger la fille… Forlwey pensait n’avoir négligé aucun détail en engageant la trente-deuxième flotte pour retrouver et éliminer ce gêneur. Le nosferatu pensait même avoir dépensé plus d’argent que nécessaire dans cette entreprise (après tout, son adversaire n’était qu’un ange déchu). Et pourtant, tout portait à croire que Wave avait réussi à se débarrasser d’Ace et de ses hommes. L’ancien exorciste était bien plus fort que ce qu’il pensait. Et il risquait de devenir un problème de taille. Forlwey devrait peut-être se charger de lui personnellement…

Il observa depuis l’immense fenêtre de sa suite le grand jardin à la française bordant l’allée menant jusqu’à son manoir. Forlwey appréciait le luxe, et ce vestige de la Renaissance (l’une des meilleures époques humaines selon le nosferatu qui aimait se mêler aux mortels) était l’une de ses propriétés préférées. Il était bien loin de son palais sous-marin, mais ce manoir était parfait comme résidence secondaire quand il devait remonter à la Surface pour exécuter les ordres de la reine. Entouré d’une épaisse forêt, il était à la fois discret et pratique. La ville humaine la plus proche se situait à vingt kilomètres seulement, il était donc facile de se procurer de la nourriture. Quelques mortels en moins passaient relativement inaperçus…

Forlwey se rappela d’ailleurs que ses serviteurs lui avaient déniché une jeune fille qui ne devait pas dépasser la vingtaine… Elle devait en ce moment même se trouver dans les geôles, terrifiée et en pleurs, priant pour des secours qui ne viendraient jamais. En s’imaginant plantant ses canines dans la chair tendre pour faire jaillir un flot de sang mielleux, Forlwey se pourlécha les lèvres. Le repas de ce soir serait excellent.

Quelqu’un frappa à la porte de sa suite.

  • Entrez, dit le vampire avec un grognement impatient.

Deux shinobis pénétrèrent dans la pièce et posèrent le genou à terre devant lui tout en inclinant la tête avec respect. Cependant leurs yeux ne trahissaient aucune frayeur, envisageant le nosferatu comme s’il s’agissait d’un simple élément du décor. Les servilis tremblaient de peur à proximité des nobles comme Forlwey.

Mais pas les shinobis.

Ces guerriers de l’ombre, élevés dès leur plus jeune âge pour adorer la reine, ne vivaient que dans le seul et unique but de mourir pour elle. La moindre de ses paroles était pour eux absolue. Ils se dévouait corps et âme à Némésis, privés de sentiments ou de pensées propres, devenant ainsi de véritables machines à tuer à son service.

Même ceux sous les ordres de Forlwey en ce moment ne lui obéissait que parce que la reine le leur avait ordonné. Si elle venait un jour à exiger sa mort, ils se jetteraient sur lui sans hésiter, même si cela signifiait aller au-devant d’une fin certaine. Les shinobis ne connaissaient ni la peur ni la douleur.

  • Monseigneur, déclara l’un deux. Nous avons reçu une communication du Royaume Submergé via le miroir de communication. Elle vient du palais…

Forlwey sourit. Ainsi, elle voulait un nouveau rapport. Il se leva aussitôt de son fauteuil et se plaça devant l’immense miroir occupant la majeure partie du mur en face de son lit. Son reflet lui renvoya son propre éclat sinistre. Il se rappela soudain la croyance humaine selon laquelle les vampires n’avaient pas de reflet. Quelle stupidité…Ceci étant, ils étaient inférieurs.

Il n’eut qu’à esquisser un geste de la main et l’enchantement brouillant les transmissions magiques autour du manoir cessa de fonctionner. La surface argentée du miroir ondula alors comme une étendue d’eau avant de devenir aussi noire que la nuit.

Forlwey, bien que surpris, s’inclina aussitôt. Une voix de femme glaciale s’éleva alors du miroir.

  • Relève-toi, Forlwey.

Le nosferatu sentit tout de suite la colère de la reine. Subitement, le fait d’être à des milliers de kilomètres de distance de Némésis le rassura. Il n’allait probablement pas mourir aujourd’hui.

  • Votre Majesté… répondit-il obéissant, mais gardant la tête inclinée. Puis-je savoir pourquoi je n’ai pas l’honneur d’admirer votre beauté éclatante de mes yeux ?
  • Ma beauté est un privilège qu’il faut mériter, Forlwey, répliqua la reine. Et en ce moment, tu n’en es pas digne.

C’était donc cela… Forlwey se retint de sourire. Némésis, par le simple refus de se montrer à lui, signifiait ainsi à son serviteur qu’elle ne lui accordait pas plus d’importance qu’à un simple esclave vampire. Ce qui était déjà insultant en soi. Mais le pire était que Forlwey ne pouvait s’empêcher d’être incroyablement déçu. La reine était la plus belle femme du monde et elle exerçait une attirance surnaturelle pour quiconque posait son regard sur elle. Le nosferatu estimait souvent que Némésis était pour les vampires ce que le soleil était aux humains…

  • Si telle est la sanction de Sa Majesté, je ne peux que l’accepter, répondit Forlwey. Cependant, j’aimerais comme toujours commencer par vous assurer de mon dévouement absolu. J’ai retrouvé il y a peu la trace de la princesse à Nice et…
  • Alors où est ma fille ?
  • Eh bien… Il y a eu des complications. Les mercenaires du Harakaï qui devaient la capturer ont dû affronter des adversaires impromptus et la situation s’est rapidement envenimée. Dans le chaos du combat, la princesse leur a échappé.
  • Quels ennemis ?
  • Une escouade d’anges envoyée par l’Eglise enquêter. Et le fameux exorciste engagé par Sirius Aleyran. C’est vraisemblablement à cause de lui que la capture a échoué.

Un silence pesant s’installa alors, et Forlwey sentit l’irritation croissante de la reine. Il s’empressa de poursuivre :

  • Ce n’est pas comme si nous avions perdu sa trace, Votre Majesté. Mon espionne qui travaillait au sein du Quartier Umbrella m’a affirmé que la colonie où Aleyran voulait envoyer la princesse se situe en Enfer. Il n’a jamais confié à personne la localisation précise, mais cela me permet de deviner où ils se dirigeront. La porte des Enfers la plus proche se situe à Paris. Or ils n’auront aucune échappatoire, une fois…
  • Forlwey, le coupa Némésis, d’une voix aussi tranchante que l’acier. Je ne veux pas d’excuses ni de promesses en l’air !

Le nosferatu sentit les deux shinobis derrière lui bouger à la vitesse de l’éclair, puis le bruit métallique reconnaissable entre tous d’épées tirées hors de leurs fourreaux. En quelques secondes, il se retrouva avec deux lames sous la gorge, bloqué de chaque côté par l’un des deux soldats de la reine.

Forlwey n’avait pas bougé d’un pouce. Il aurait pu facilement les tuer avant que ces derniers eussent le temps d’esquisser le moindre mouvement, mais cela aurait été perçu comme un acte de trahison à l’égard de Némésis. Et il n’avait ressenti aucune intention de tuer émanant des deux shinobis… Pour le moment, ils ne l’exécuteraient pas.

Du moins tant que Némésis ne l’ordonnait pas.

  • Votre Majesté ? demanda-t-il d’une voix aussi calme que s’il se contentait de demander l’heure.
  • Tu n’ignores pas combien cette mission est capitale, Forlwey, déclara la reine. Ma fille, que ce traitre de Jorenn m’a enlevé… je n’ai pas besoin de te rappeler tout ce qui est en jeu. Tu sais pourquoi je t’ai choisi, toi plutôt que l’un de mes enfants ?

Forlwey se tut. La reine n’attendait aucune réponse de sa part. Ce n’était qu’une question rhétorique.

  • Parce que de tous, je te considère comme le plus loyal, et le plus apte à me servir, continua Némésis. Jusqu’à présent, tu ne m’as jamais déçue, Forlwey. Et pourtant maintenant, je commence à être… lassée. Je risque de t’oublier, mon cher serviteur. Et si je t’oublie, tu risques de disparaitre…

Les shinobis rapprochèrent leurs lames du cou de Forlwey. Ce dernier se permit un sourire entendu.

  • Vous n’avez pas à vous inquiéter, Votre Majesté. Il est vrai que la princesse m’a échappé à Nice, mais ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’elle ne soit capturée. Le filet est trop vaste pour qu’elle puisse l’éviter, et les mailles trop serrées pour passer au travers. J’ai envoyé une personne de confiance à Lutécia, avec pour mission d’attendre l’arrivée de la princesse : elle ne ratera pas sa cible. Et en dernier recours…

Le sourire de Forlwey s’agrandit :

  • Je suis l’assassin de son oncle. Si je lui dévoile ma position, elle viendra se jeter d’elle-même dans la gueule du loup. Je n’aurais plus qu’à vous l’apporter, Votre Majesté.
  • Et pour l’exorciste ?
  • Ma foi, s’il continue de contrecarrer vos plans, je m’en occuperai personnellement.

Nouveau silence. Forlwey attendit patiemment, puis un rire léger, cristallin, s’éleva du miroir.

  • C’est bien pour ça que tu es le premier de mes fidèles ! le complimenta la reine avec amusement, et les shinobis rengainèrent aussitôt leurs épées en s’inclinant. C’est d’accord, je vais t’accorder davantage de temps. Mais si tu ne retrouves pas ma fille, tu en subiras les conséquences…

Forlwey déglutit, son sourire se figea quelque peu.

  • Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté, répéta-t-il. Je ne faillirai pas à vos attentes. Dès que possible, je vais porter la prime sur Sheamon Wave à cinq-cent-mille inferis.
  • Forlwey, ne viens-tu pas de dire que tu ne trahirais pas mes attentes ?

Le nosferatu eut un instant d’incompréhension. Puis le sourire qu’il affichait s’étira de nouveau. Il inclina plus profondément la tête ;

  • Veuillez me pardonner, Votre Majesté, ma langue a fourché. Je voulais dire que la prime sur Sheamon Wave s’élèvera désormais à un million d’inferis.
  • Bien, Forlwey. Va et continue à servir ma volonté. Montre-toi digne de la confiance que j’ai placé en toi.

Forlwey attendit encore quelques secondes pour se redresser, le temps que la surface du miroir retrouvât son apparence naturelle. Il observa derrière lui les deux shinobis toujours le genou à terre et la tête inclinée. Deux minutes plus tôt, ces deux soldats dénués d’émotions l’avaient attaqué sans hésitation. Pourtant, ils attendaient à présent ses ordres avec la même dévotion qu’ils avaient exécuté la volonté de la reine.

  • Je commence à avoir faim, déclara-t-il. Amenez-moi la prisonnière.

Les shinobis se relevèrent et quittèrent la chambre. Le nosferatu tourna ensuite son regard vers l’extérieur. Quelque part dehors, Sheamon Wave et la princesse continuaient de lui échapper, augmentant la fureur de la reine à son encontre.

Mais plus pour longtemps.

A suivre...

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