Chapitre 2

5 minutes de lecture

Par Rowani

Lucas n’avait pas dit un mot depuis un moment, il marchait sans vraiment savoir où il allait, le regard dans le vide, pensant à cet étrange rêve qu’il avait fait la nuit dernière. Les détails avaient été étrangement précis, il avait l’impression de se souvenir de la sensation exacte que lui avait procuré cette peau douce et chaude, que tout cela avait bien été réel.


— Ça va aller ? lança une voix juste à côté de lui.
Il sursauta, brutalement interrompu dans ses pensées. Livia s’était tournée vers lui, visiblement inquiète de son état.
— Ouais, t’inquiète, j’ai mal dormi cette nuit, j’suis un peu fatigué.

Cette excuse sembla convenir à son amie, qui n’en demanda pas plus. Il regarda son portable : on était dimanche, il n’y avait pas cours… Alors qu’est-ce qu’il pouvait bien foutre avec Livia dehors ?

« Ah oui, c’est vrai : Paul », se souvint-il soudain. Il tourna la tête en direction de Livia, qui était en train d’agoniser sous le poids de son sac.
— Tu veux que je t’aide à le porter ? proposa Lucas, qui ne sembla le remarquer qu’à ce moment-là.
— Nan merci, j’peux le faire toute seule ! répliqua Livia froidement.
— T’es sûre ? Il est gigantesque, il doit te briser le dos, là !


Livia lui jeta un regard noir, lui lançant des éclairs et serrant la mâchoire ; le genre de geste pour dire « J’ai envie de t’égorger ». Lucas, lui, se mit à sourire doucement. Quand elle avait une idée en tête, elle voyait le monde entier comme un ennemi essayant de l’empêcher d’atteindre son but.
—J’ai dû supporter une relation toxique pendant plusieurs mois, c’est pas un gros sac qui va m’faire peur.
— J’ai de la place dans le mien, tu veux pas me donner juste quelques sweats ?
— Hors de question ! J’veux sentir le poids de tout ce qu’il a laissé chez moi, et surtout la libération que ça sera quand j’lui jetterai toutes ses affaires en pleine face !


Lucas soupira, à la fois exaspéré et amusé. Il redoutait un peu le moment à venir, il savait que ça serait électrique, qu’elle n’allait pas mâcher ses mots et qu’il allait devoir la calmer, et il détestait faire ça.


Livia marchait rapidement malgré le poids du sac, il avait un peu de mal à suivre le rythme, et il la regardait avec une inquiétude grandissante. Plus ils s’approchaient de leur destination, plus elle semblait préoccupée. Elle se mit alors à ralentir, puis leva les yeux au ciel, un peu pensive. Lucas savait qu’elle avait caché toute sa douleur.


— C’est là que j’comprends vraiment qu’il m’étouffait, soupira-t-elle. Quand j’ai fini de rassembler toutes ses affaires, j’me suis rendu compte qu’il y avait presque autant de choses à lui qu’à moi dans ma chambre, et je pense que ça doit être la même chose dans la sienne…
— T’inquiète pas, dis-toi qu’après ça, il te fera plus jamais souffrir, et tu pourras repartir sur de bonnes bases et profiter de ta liberté !


En voyant qu’un léger sourire naissait au coin des lèvres de son amie, Lucas ne cacha pas sa satisfaction d’avoir pu remonter un peu son moral.
— D’ailleurs, lança-t-elle. En parlant de ça, j’ai prévu d’organiser une soirée. J’ai vraiment besoin de me libérer l’esprit. Ça te dirait de venir ?
— Bien sûr ! C’est pour quand ?
— Vendredi prochain. Mes parents seront pas là.
— Ça marche !

Quelques minutes plus tard, au bout de la rue, les regards des deux amis se dirigèrent vers une maison. Les volets étaient fermés, elle semblait inhabitée. Ils marchaient de plus en plus lentement, redoutant le moment qui allait arriver. Livia semblait de plus en plus craintive, elle qui avait pourtant l’air de vouloir en découdre quelques minutes plus tôt. Elle était raide et son visage était crispé, serrant les mâchoires et regardant droit devant elle.


— Bon. On y est, fit Lucas d’un ton grave.


Ils s’arrêtèrent devant la maison, et Lucas dirigea son doigt tremblant vers la sonnette, puis appuya… Livia prit une grande inspiration, elle semblait à la fois déterminée et terrifiée par ce qui l’attendait.

— Je sais même pas s’il est là, ça a l’air mort ici.
Au moment où elle prononça cette phrase, la porte s’entrouvrit légèrement, laissant apercevoir la moitié du visage d’un garçon brun, plutôt grand, avec de grands cernes sous ses yeux bleus et un regard méfiant.


Quand il remarqua Livia, son expression changea, tout son corps se raidit et ses traits se tendirent. Ses lèvres s’entrouvrirent timidement :
— Ah, c’est toi.
— Faisons ça vite, s’te plaît, répondit-elle froidement.


Elle prit son sac, l’ouvrit, puis le vida entièrement sur le palier de sa porte. Il y avait de tout : des vêtements, des capotes, des bracelets, des lettres et toutes sortes d’autres cadeaux. Une bouteille de parfum explosa en tombant, répandant son contenu sur le seuil. Elle remua bien son sac pour faire un maximum de bruit et que tout soit le plus en désordre possible. Le garçon la regarda faire sans broncher, comme s’il était habitué à ça.


— À toi maintenant, poursuivit-elle.
— Attends-moi deux secondes. Lucas, tu peux venir m’aider à porter les affaires ?

Lucas ne se fit pas attendre et le suivit à l’intérieur. Il savait très bien que c’était un prétexte pour qu’ils aient une discussion tous les deux.


Le garçon ferma la porte derrière lui, pendant que Livia faisait semblant d’être occupée à envoyer un message sur son téléphone, et ils se retrouvèrent tous les deux dans le salon. Il faisait sombre, les lumières étaient éteintes, seuls quelques rayons de soleil filtraient à travers les volets fermés. Une odeur de renfermé et de transpiration régnait, faisant grimacer Lucas.
— Ça va aller, Paul ? demanda-t-il.
— Bof, je fous rien de mes journées, ça fait trois jours que j’suis pas sorti, j’ai dit au lycée que j’étais malade.

Lucas haussa les épaules.
— C’est pas tellement faux, en soi, vu ton état.
— J’ai pas besoin de tes réflexions.

Lucas se mit à soupirer, son pote semblait vraiment au fond du trou. Il avait envie de l’aider, mais il ne savait pas comment s’y prendre. Paul devait être rongé par la culpabilité, et il n’y avait pas vraiment de remède à cela, mis à part le temps.

— Bon, débarrasse-toi de tous ces trucs, on a pas trop le temps pour parler. Je dois raccompagner Livia chez elle.

— D’accord… Prends ce tas de vêtements, je m’occupe du reste.

Lucas s’exécuta et prit la pile que Paul pointait du doigt. Tout était plié avec soin, sans la moindre froissure ; l’odeur fraîche de lessive contrastait avec celle qui régnait dans la maison, et aussi avec la manière dont Livia lui avait rendu ses affaires. Lucas posa sa main sur la poignée, mais au moment où il s’apprêta à ouvrir, son ami l’arrêta :

— Attends !

Lucas se retourna, intrigué.

— Quoi ?

— J’ai juste une question.

Il fronça les sourcils. La voix de Paul était différente de d’habitude, il avait la gorge nouée et profitait de l’obscurité du salon pour masquer son visage.

— Vas-y ?

— Pourquoi tu fais tout ça pour moi ? J’comprends pas, j’ai trompé ta meilleure amie, j’l’ai rendue malheureuse, t’as perdu des soirées entières à supporter ses larmes, ses crises et toute sa colère à cause de moi. Alors pourquoi tu m’aides ?

Lucas se mit à sourire doucement, comme si la question qui venait de lui être posée était stupide.

— Ben t’es mon pote, j’vais pas te lâcher, quoi qu’il arrive. Et puis, si je t’aide pas, qui le fera ?

Sans attendre de réponse, il ouvrit la porte et apporta les vêtements à Livia, pendant que Paul restait figé dans son coin, sans un mot.

J-99

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