69. Le chant du cap bleu

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Hors d’haleine, le corps secoué de spasmes, Hyuna tomba à genoux. Elle avait couru longtemps après l’avoir perdu de vue. Mais, à présent, le décor tournait autour d’elle. Son environnement lui-même semblait s’écrouler. Les murs des immeubles ployaient ; les escaliers de secours vrillaient ; les devantures des boutiques se dépliaient comme des accordéons, pleurant encore les vestiges de la pluie ; les câbles électriques s’entrecroisaient, comme des fils de soie tissés par une araignée.

Les pavés s’approchèrent en un instant et son visage heurta le sol.

Hyuna reprit connaissance quelques minutes plus tard. Elle entrouvrit ses paupières et découvrit des oiseaux qui martelaient le sol de leurs tout petits becs. L’impasse dans laquelle sa cavale l’avait conduite était déserte. Les premiers magasins ouvriraient dans plusieurs heures, il n’y avait personne, sinon un rassemblement de pigeons qui se goinfraient. Les restaurateurs avaient abandonné là, pendant la nuit, des restes de repas. Les volatiles n’étaient nullement gênés par la présence de la jeune femme, quasi inerte, couchée sur le sol.

Une douleur insoutenable lui troua la poitrine. Ces pigeons n’avaient aucune beauté, aucune allure. Ils claudiquaient plus qu’ils ne marchaient, sur leurs courtes pattes. Bien qu’ils soient des oiseaux, ils n’avaient pas la légèreté et la grâce de celui qu’elle avait laissé fuir. Lui, c’était un petit oiseau, un canari ou un moineau. Précieux, fragile, définitivement libre. La douleur s’accrocha, tenace. Il ne s’agissait que d’affreux pigeons, mais ils lui faisaient penser à Jayu. S’ils picoraient là, à cet instant où tout était perdu pour elle, c’était bien pour la narguer.

La douleur lui fit pousser un geignement pitoyable, lorsqu’il y eut, soudain, un battement d’ailes, puis plusieurs. En deux clignements de paupières, les oiseaux s’en étaient allés. Ils avaient fui en sentant l’arrivée d’une autre personne.

Hyuna entendit des pas approcher. Contrairement aux oiseaux, elle ne tenta ni de fuir, ni de se relever. Elle resta inerte sur la chaussée couverte de pluie. Là où se trouvaient les pigeons un instant auparavant, les pavés reflétèrent une silhouette floue.

— Mademoiselle ! Vous allez bien ? s’inquiéta une voix inconnue.

Bien ? Il en avait de ces questions celui-là ! Hyuna se recroquevilla, ferma les yeux. La douleur était insoutenable. Il ne pouvait pas partir, il ne pouvait pas… Elle n’avait pas dit son dernier mot.

Elle fit un effort considérable pour se relever, soutenue par l’inconnu. Une quarantaine d’années, des épaules larges. Elle le repoussa sans délicatesse :

— Dégagez ! Dégagez !

— Je…

— Me touchez pas ! hurla-t-elle.

L’homme poussa un soupir et la lâcha. Il prit ses distances. La jeune brune parvint à se mettre sur les jambes. Malgré sa faiblesse, elle devait tenter de rejoindre Jayu à l’aéroport. Elle n’avait pas pu le rattraper, mais elle connaissait sa destination. N’ayant pas vu les billets que Mme Omoni leur avait pris, elle ignorait l’heure du décollage. Néanmoins, peut-être qu’une fois là-bas, en espionnant toutes les files d’attentes qui embarqueraient pour le Japon, elle le retrouverait. Il lui restait encore ce maigre espoir.

Fuyant l’impasse commerçante, Hyuna se rendit dans les consignes automatiques de la station de Joseon. Le cap bleu avait été déposé sur la même ligne, mais dans une gare différente.

Dans cette station, les consignes automatiques n’étaient pas disposées directement dans un couloir. Une pièce spéciale, d’une trentaine de mètres carrés, servait à accueillir les rangées de casiers. On aurait juré un vestiaire. En raison de l’horaire très matinal - la station venait d’ouvrir quelques minutes plus tôt - il n’y avait personne.

Hyuna se dirigea résolument en direction de l’une des portes bleues, scellée par un cadenas. Elle composa le code : la date de la veille. Le casier s’ouvrit sur un sac de sport. Donc, Jayu n’était pas encore passé par là. La jeune femme jugea qu’il ne le ferait pas plus tard non plus. Il était bien trop malin pour se rendre ici, sachant qu’il risquait probablement de l’y croiser. Elle tira sur le sac, le déposa sur son épaule. Se changer. À quoi bon ? Elle n’y avait pas de taches de sang sur ses vêtements. En réalité, elle avait surtout prévu ces changes pour lui, pour qu’il puisse revêtir une tenue plus adaptée à son genre.

Dans son plan initial, Hyuna avait prévu que le Jusawi ne puisse voir que Jayu, dans son déguisement de femme. Le gang se douterait, sans doute, qu’il avait reçu l’aide d’un ou plusieurs complices. Malgré cela, il aurait donné le signalement d’une gamine brune, aux cheveux longs, en robe de gala, accompagnée ou non.

L’inquiétude lui serra le cœur. Et si l’un de leurs ennemis réussissait à remettre la main sur son protégé ? Il s’était pas changé. Il avait été tâché de sang, lui. Une menace pesait sur lui et elle n’était même pas là pour le protéger. Ne pouvait-il pas la disputer plus tard ? Attendre qu’ils soient tous les deux sains et saufs, en sécurité, au Japon, pour la plaquer ?

Hyuna claqua la porte de la consigne avec colère, lorsqu’elle entendit un son qui lui donna instantanément la chair de poule. Elle venait de percevoir le chant d’un oiseau tout proche. Elle reconnut ce refrain, pour l’avoir déjà entendu par le passé, dans une serre aménagée, au cœur de Nasukju. Podium ! Le cap bleu de Mme Omoni.

Hyuna glissa une main sous sa veste, attrapa son Canik Shark. À deux mains, elle le tendit devant elle. Sur sa gauche et sur sa droite, deux rangées de consignes la protégeaient ; face à elle, la gérante du Taejogung hôtel apparut, dans un costume de soirée. Elle tenait Podium en cage, au bout de son bras. Hyuna la mit en joue :

— Partez ! Mettez les mains en l’air et laissez-moi passer ! Je vous jure que si vous ne le faites pas… je vous abats !

L’ajumma n’esquissa aucun geste de peur ou d’obéissance. Elle resta debout, la fixant droit dans les yeux. Hyuna frissonna, si son arme avait été chargée, elle aurait déjà tiré. Après tout, c’était cette vieille folle qui avait donné son tremblement à Jayu. Mais à cause de ce Canik Shark qui ne tirerait plus, elle se contenta de réitérer son bluff :

— Levez les mains, putain !

Deux autres personnes rejoignirent Mme Omoni : un garde du corps et Narae. Aussitôt que la prostituée à tête cordiforme vit l’arme pointée sur sa patronne, elle se positionna entre elle et la menace, puis, commença à s’avancer vers elle. Sans peur, tranquillement. Pensait-elle que Hyuna n’oserait pas tirer ?

— Va-t’en, Narae ! Va-t’en ou je tire !

Ses mains tremblaient sur l’arme. L’ancienne collègue de Jayu s’avança encore, toujours plus prés. Lorsqu’elle saisit le canon du Canik Shark, Hyuna appuya sur la gâchette. Comme prévu, un cliquetis inoffensif avertit toute l’assistance que Hyuna ne représentait aucun danger.

Vaincue, Hyuna lâcha l’arme. Narae la conserva et jeta un regard dur à Hyuna, avant de s’écarter pour laisser la place à sa patronne.

— Comment m’avez-vous retrouvée ? demanda la fugitive.

— J’ai glissé un traceur dans l’enveloppe, tout simplement.

Hyuna jura intérieurement de ne pas avoir envisagé cette stratégie. L’enveloppe en question se trouvait toujours au même endroit, dans le sac à sequins de Jayu ; la pochette que Hyuna avait ramassée avant de se lancer à la poursuite du petit. À présent, elle était coincée dans sa ceinture de pantalon. Mécaniquement, elle la récupéra et la dévoila au petit groupe.

Des yeux se froncèrent, passèrent avec incrédulité de la pochette ensanglantée par le sang de Baehyun et à son visage à elle. Son maquillage balafrait ses joues. Hyuna comprit de quoi cette scène avait l’air. Mme Omoni et Narae la détestaient. En revanche, elles appréciaient sincèrement le gamin. En ce moment, elles devaient supposer qu’il y était resté.

La propriétaire du Taejogung hôtel voyait rouge, elle ouvrit la bouche pour s’exprimer, mais des pas se firent entendre dans la salle des consignes.

Un simple passant ? La police ? Le Jusawi ?

Le garde du corps de Mme Omoni attrapa son arme discrètement, mais l’ajumma plaça une main sur son bras pour lui indiquer que tout allait bien.

— C’pas trop tôt.

Les pas qui s’approchaient boitillaient nettement. Hyuna ressentit encore un frisson parcourir son échine, pire que le précédent. Avec Mme Omoni, elle espérait toujours pouvoir négocier, mais avec lui…

Luka parut à son tour, entre les rangées de consignes. Quelques heures plus tôt, il tuait de sang-froid l’un des employés de l’établissement d’Omoni et, maintenant, ils se parlaient cordialement ? Ça n’avait pas de sens.

— Qu’est-ce qu’il fout là ? cracha Hyuna.

Personne ne lui répondit. Les yeux du monstre reproduisirent le trajet qu’avait déjà entrepris les précédents observateurs : allant des taches de sang recouvrant la pochette aux yeux de Hyuna.

— Où est-il ? interrogea-t-il.

Même si elle l’avait su, son ancien tuteur aurait été la dernière personne à qui elle aurait parlé.

— Il est mort, dit-elle d’une voix vacillante.

Narae mit deux mains devant sa bouche. Elle habituellement si inexpressive. Mme Omoni, visiblement choquée, voulut en savoir plus :

— Qu’est-ce qui s’est passé, bordel ?

— Nous avons tué Baehyun. J’ai tiré sur lui. Les bruits des coups de feu ont alerté ses hommes. Jayu avait bloqué l’entrée de la chambre avec des meubles. Mais ça n’a pas suffi… Ils ont défoncé la porte et elle s’est ouverte suffisamment pour qu’ils puissent passer leurs armes… Jayu l’a vu et il s’est interposé entre moi et les tirs…

Hyuna ménagea une pause. Ce n’était pas difficile de paraitre dévastée par le chagrin. Depuis que Jayu lui avait dit qu’il ne voulait plus jamais la revoir, elle l’était pour de vrai. Pourtant, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient séparés, elle réalisa que c’était une bonne chose. Elle était contente que Jayu soit en cavale, alors qu’elle-même se trouvait au cœur d’un piège que se refermait lentement. Un coup de chance que Jayu lui ait refilé sa pochette.

Malgré ce sentiment ambigu de soulagement, lorsque Hyuna ferma une nouvelle fois les yeux, des larmes lui échappèrent.

— Il est mort sur le coup, murmura-t-elle. Je me suis enfuie… seule.

Narae retenait ses sanglots et Mme Omoni foudroyait la jeune femme de son regard de serpent.

Luka, lui, resta silencieux. Il aurait dû lui poser d’autres questions, pour vérifier ses informations, pourtant, il ne le fit pas. L’authenticité de la tristesse de Hyuna devait donner suffisamment de crédibilité à son mensonge.

— C’est injuste, râla l’ajumma. J’aurai préféré qu’ce soit toi !

Hyuna n’émit aucune défense. Tout d’un coup, elle avait perdu la volonté de se battre. Mme Omoni avait raison, entre son protégé et elle, celui qui méritait de grandir, d’avoir un avenir, c’était lui.

Jamais elle n’avait admis qu’elle puisse être un venin doux-amer pour lui. Pourtant, ce matin, s’il était resté avec elle, il serait retombé dans les mains de l’Entailleur.

— Pourquoi est-il là ? questionna Hyuna, qui ne comprenait toujours pas la présence de son ancien tuteur auprès de la mère maquerelle.

— Lorsque t’as commencé, avec ton plan, expliqua Mme Omoni, j’ai d’abord pensé à t’envoyer chier. J’savais très bien que tu voulais buter le Baehyun, tu vois. Je connais ton obsession pour lui et même ton histoire, petite. Je voulais pas que tu m’entraines dans un plan aussi foireux. Puis… j’me suis dit que c’était peut-être une opportunité. Seulement, il fallait que j’prévoie mes arrières, tu vois ? T’as tué Baehyun et j’pourrais pas l’nier, je faisais partie du coup. Le Jusawi est affaibli, c’est vrai, mais il peut encore foutre le feu à mon établissement s’il veut. J’avais besoin d’une garantie.

— Vous avez contacté le Pian Kkoch ?

— Exactement. En échange de la tête de Baehyun et de la tienne, j’ai obtenu une protection. Je ne serai plus indépendante, mais bon… J’ai plus tellement le choix et j’ai pu négocier un pourcentage avantageux.

— Mais… se plaignit Hyuna. Mais c’est Luka qui a tué Daewon.

— Elles sont au courant, répliqua le gangster.

— Au courant ? Et ça ne vous fait rien de vous allier à lui ?

— Daewon est mort à cause de toi, cria Mme Omoni. T’as fui le Pian Kkoch, tu le sais ! Luka t’a r’mis la main dessus et vos combats ont tué un d’mes hommes !

— C’est un monstre, hurla Hyuna.

— Tais-toi, ordonna le criminel d’une voix blanche.

— Oh non ! Je vais tout balancer. Je vais leur dire que tu n’es qu’un monstre. Luka est en réalité…

— Ne fais pas ça ! menaça-t-il en se braquant vers l’avant.

— Il est l’Entailleur. L’Entailleur, c’est lui !

À la fin de la phrase, une détonation éclata dans l’air et le garde du corps de Mme Omoni s’effondra. Personne n’avait rien vu venir. Narae poussa un cri strident et Mme Omoni laissa choir la cage à oiseau sur le carrelage.

— Non, réclama-t-elle les deux mains en l’air.

Luka ne lui laissa pas le temps de se défendre, ni de demander son reste. Il tira deux balles dans la cervelle de l’éleveuse d’oiseaux.

Cette fois, Hyuna hurla aussi. Aucune fuite possible, à moins de sauter par-dessus les casiers. Un exploit digne d’un athlète. Elle comprenait - trop tard - qu’elle n’aurait jamais dû révéler le secret du gangster. Il ferait n’importe quoi pour le protéger.

Comme elle, Narae se retrouvait coincée. Ses yeux de poupée fixaient les cadavres de ses compagnons, particulièrement le crâne éclaté de son ancienne patronne. Elle se recroquevilla et appela à l’aide. Impossible que personne n’ait entendu. Ils étaient dans un lieu public. Hyuna n’aurait jamais pensé que Luka oserait passer à l’acte dans un endroit pareil.

Il s’avança et fit taire la prostituée qui rampait aux pieds de Hyuna. La pauvre femme reçut une balle dans le cœur et s’affaissa. La survivante observa le massacre en retenant sa respiration. Son tour ne tarderait pas, jugea-t-elle. Tous les muscles de son corps se crispèrent en attendant la fin. Elle ferma les yeux. Pourvu que ça aille vite.

— Tuez-moi, vite, je vous en prie.

— Tu n’aurais pas dû…

Hyuna regrettait, en effet, d’avoir révélé ce tremblement trop tôt. Qui sait ? Peut-être que le Pian Kkoch aurait accepté qu’elle travaille à leur service encore un peu. Ils auraient besoin de beaucoup de membres, maintenant que le pacte de non-agression entre les clans avait été violé.

— C’était une mauvaise idée de fuir avec ce gamin, compléta-t-il.

Hyuna rouvrit les yeux. Il parlait donc de ça… Malgré son état de panique avancée, la jeune femme repensa à ce moment ; ce jour, quand elle avait vu Jayu pour la première fois. Luka se trompait. Elle ne regrettait pas d’avoir fui avec lui. Elle avait fait quelque chose de bien ce jour-là, en lui sauvant la vie. Depuis, il avait embelli la sienne. Pendant une année, elle avait eu le plaisir de le tenir dans ses bras, de le réchauffer quand il avait froid. Il avait donné un autre sens à son existence que celui de la vengeance.

Luka enfila une cagoule noire. Probablement, pour ne pas être reconnu en s’échappant. Comment allait-il pouvoir se sortir de cette situation sans être rattrapé par la police ? Elle ne le saurait jamais.

— Un gangster ne doit pas s’attacher, poursuivit Luka. Je te l’avais dit. Un gangster puissant ne doit pas avoir de famille. Regarde, il est mort à cause de toi et, surtout, la peine qu’il te cause t’empêche de lutter. Tu vas mourir parce que tu n’as pas suivi mes conseils.

Là encore, Hyuna n’était pas du même avis. Elle n’allait pas mourir à cause de Jayu. Elle était morte peu de temps après son douzième anniversaire, lorsque Baehyun avait abusé d’elle et assassiné sa mère. Depuis, les seuls sursauts de vie qu’elle avait eus, les seuls instants de joie, elle les devait à cet attachement que Luka lui reprochait.

Un gémissement instinctif franchit ses lèvres lorsque le gangster sortit son couteau. Hyuna recula, jusqu’à être plaquée, totalement plaquée contre le mur et une rangée de consignes automatiques. Dehors, des gens criaient, demandaient ce qu’il se passait. Mais personne n’osait s’approcher.

Hyuna détourna les yeux, les baissa, elle vit le petit oiseau bleu et brun, avec son bec rose minuscule. La cage s’était ouverte en tombant. Podium s’était perché là, sur ses barreaux, comme s’il hésitait à y revenir. Sa maitresse décédée, échouée si près de lui, ne l’empêcha pas de se mettre à chanter.

La gorge de Hyuna se serra et elle fondit en larmes. Elle s’était souvent posé des questions sur la mort, avant. Cela faisait-il mal ? Cela faisait-il peur ? Qu’y avait-il après ? La mort l’avait terrifiée, elle l’avait trop souvent vue et de trop près. Malgré tout, elle devait se l’avouer, parfois, il lui était également arrivé de la désirer.

Lorsque la lame de Luka vint lui trancher la gorge d’un geste bref et définitif, elle n’eut pas le temps de réfléchir à toutes ces questions. Une froideur, suivie d’une douleur vive, lui assaillirent le cou. Elle glissa contre le mur, se retrouva assise, les mains plaquées contre la plaie béante et chaude ; sa bouche grande ouverte dans un cri qu’elle ne pouvait pousser. Le sang, son sang, brulant et épais s’écoulaient entre ses doigts. La panique, la douleur, les jambes qui s’agitaient.

Puis, au bout d’un moment, le sentiment de panique s’en alla, comme s’il s’était échappé, emporté par le flux de sang. Elle ne sentait plus son cœur, plus son souffle. Sa gorge elle-même ne lui faisait plus mal. Il n’y avait plus rien de l’ordre du monde physique : plus d’images devant ses yeux, ni d’air contre sa peau.

Pourtant, sa pensée existait encore, tenue et éphémère. Il s’agissait vraisemblablement de la dernière seconde de sa vie, la dernière avant que son esprit cède à son tour, après ses sens, et qu’elle ne sombre dans le néant. On lui avait toujours dit que le moment venu, lors de cette dernière seconde, elle verrait sa vie défiler devant ses yeux, comme un film muet qu’on lirait en accéléré. Encore des bêtises !

La chose qui lui vint fut le visage de son père. Le premier cadavre qu’elle avait vu. L’enfant qu’elle était, à l’époque, avait longuement regardé le cadavre, sans comprendre.

Elle se demanda à quoi elle ressemblerait une fois morte. Aurait-elle la même expression que celle de son père, sereine ? Elle en doutait. Son cadavre à elle serait bien plus laid. Son père, lui au moins, avait eu le corps criblé de balles, mais son visage avait été épargné. Lui, n’avait pas eu un gouffre sanguinolent à la place du cou. Au moins, elle n’avait pas été rudoyée de coups de poing, comme sa mère. Son visage ne serait peut-être pas si laid en arrivant au Purgatoire ou en Enfer ? Si quelque chose dans ce genre-là existait.

Mais quelle importance, ce à quoi elle ressemblerait ! Hyuna allait mourir et personne n’irait réclamer sa dépouille. La seule personne qui aurait pu se soucier d’elle était parti pour de bon.

Elle l’avait vraiment aimé. Elle le savait à présent. Aimé avec un grand A.

Jayu était tombé amoureux d’elle, malgré tous ses défauts. Ça n’avait pas duré toujours, mais il avait été amoureux. Hyuna avait été aimée par l’être le plus merveilleux qui soit. Même si elle en payait actuellement le prix, elle ne regrettait pas cette rencontre.

Un voile blanc recouvrit sa vision qu’elle croyait perdue et ses oreilles perçurent encore le chant surréaliste du petit cap bleu.

Liberté.

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