3.20 – Adoubement

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Après la pluie, le beau temps”

Le printemps arriva, les prairies et les arbres fleurissaient. Dans leurs branches, les oiseaux construisaient leurs nids. Malgré tout, la peine n’avait pas quitté les chevaleresses. Jamais dans leur histoire une bataille n’avait coûté autant en vies humaines. Heureusement, la douleur des pertes amies s’atténuait peu à peu, les rires, les chants et les danses reprenaient doucement une place dans leurs vies.

S’il faut chercher du bon dans les catastrophes, une véritable unité entre les écuyères voyait enfin le jour. Elle s’était construite pendant la bataille et jour après jour, elle se renforçait. Fabiola et ses deux comparses avaient prouvé leur valeur et, faisant preuve d’humilité, avaient joué la carte de la camaraderie. Les autres finirent par pardonner leurs méfaits et l’on accepta leur bonne foi..

À la mi-mars, la comtesse annonça sa décision d’adouber Manon, Isabelle et Théodora en récompense de leur comportement exceptionnel. L’événement aurait lieu début mai. La plupart des autres le seraient à l’automne. Pour leur punition, Fabiola, Bérangère et Cæsarée, devraient recommencer leur première année. Reconnaissant leur tord, elles ne s’en plaignirent pas. À la première incartade, elles devraient choisir une autre carrière.

Le grand jour arrivait. Artisanes et artisans avaient donnés le meilleur d’eux-mêmes pour préparer la cérémonie. Crispin, en tant que tailleur en chef de la citadelle, avait fait mettre les bouchées doubles à ses équipes afin d’apprêter toutes ces dames.

L’intendante ne savait plus où donner de la tête, les cuisiniers et cuisinières discutaient âprement sur les choix à faire en vue du banquet. Mais c’est la comtesse de Montbrumeux qui finit par décider de la composition du repas.

Des membres de l’Ordre, chevaleresses ou non, affluaient de tout le pays. Tout le monde ne tiendrait pas dans la grande salle, et pour le logement, la citadelle ne suffirait pas. Certaines devraient loger chez l’habitant. Dans celles que l’on était heureux de revoir, se tenait Marie-Sophie. En effet, elle avait obtenu de pouvoir rester à l’Auberge des Quatre Chemins, en tant que chevaleresse affectée à la place forte. Opale lui avait assigné la mission officielle de défendre les lieux, mais officieusement, c’était la permission de rester auprès de Berthilde, avec laquelle elle vivait désormais le grand amour.

Dans la chapelle, en se serrant les uns contre les autres, tout le monde rentrait. La comtesse Opale de Montbrumeux siégeait sur un trône, mis en place pour l’occasion, et un prieur de l’Ordre de Sainte-Brigitte présiderait la messe. Les trois écuyères, épées au côté, entrèrent fièrement, revêtues d’une armure d’apparat et prirent les sièges qui leur étaient réservées.

Au bas du trône de la commandeuse de l’ordre, trois boucliers, aux armoiries choisies par chacune, reposaient sur des présentoirs.

Celui de droite était de gueules à la grappe de raisin sinople, en souvenir du métier des parents de Théodora.

Au centre trônait un écu d’azur au goupil rampant de gueules lampassé et armuré de sable. Manon l’avait choisi pour la ruse qui l’habitait. Elle s’était découverte, proposant des plans adroits, et se révélait douée pour la stratégie.

Le dernier était d’azur au taureau passant de gueules armuré de sable. Isabelle l’avait choisi pour sa propension à foncer sans réfléchir. Autant quand il s’agissait de joutes verbales lorsqu’elle lançait des piques acerbes, qu’au combat.

Chaque écu était bastillé au chef des chevaleresses de l’Ordre.

Leur trois chevaleresses, marraines d’adoubement, se tenaient sur les sièges placés juste derrière elles : Adélaïde pour Isabelle, Ellanore pour Manon et Marie-Sophie pour Théodora.

— Fais gaffe, j’te surveille ! glissa Adélaïde à Isabelle en pouffant de rire.

Ellanore lui bourra un coup de coude dans les côtes et Marie-Sophie lui lança un regard de reproche mêlé d’une certaine malice.

§

Puis ce fut la messe. Le prieur, qui n’était pas mauvais enfant, fut assez rapide dans son homélie ainsi que dans le cérémonial, car il savait bien que tout le monde était là pour l’adoubement. Lorsque l’assemblée eut communié, que le prêtre eut béni la foule, une heure et demie, s’était tout de même écoulée.

Alors, la commandeuse se leva de son siège.

— Mesdames et messieurs, habitants de Montbrumeux. Nous voici réunis dans la chapelle Sainte-Brigitte pour la cérémonie d’adoubement d’Isabelle, Manon et Théodora.

Elle fit une pose et applaudit, imitée par la foule.

— Chères amies, avant de procéder, je voudrais rappeler à tout le monde la dure bataille que nous avons menée pour la survie de nos sœurs de l’Auberge des Quatre Chemins. Dans ce combat acharné, nous avons perdu douze de nos sœurs, et certaines d’entre nous ne se remettront jamais de leurs blessures. J’aimerais évoquer leurs noms.

Opale de Montbrumeux les égrena un à un.

Un moment de silence et de prière suivit l’énumération. Nombreuses furent celles dont les yeux se mirent à pleurer. À l’évocation d’Arsinoé, Théodora et Viviane ainsi que Manon et Isabelle malgré leur moindre proximité, furent profondément touchées.

Lorsque les larmes se tarirent, la comtesse reprit la parole :

— Mais après la tristesse, revient la joie, car la vie est ainsi faite. Personne ne peut vivre éternellement dans le malheur. C’est pourquoi, notre sœur Ellanore, nous a composé une petite chanson, spécialement pour cette occasion. Je vous prie de l’applaudir.

Alors que la chevaleresse musicienne rejoignait un siège non loin du trône de la commandeuse, toute la salle battit derechef des mains, ce qui ne manqua pas de faire rosir les joue de ladite musicienne. Au pied de la chaise, son luth l’attendait.

Elle se saisit de l’instrument et l’accorda rapidement de même qu’elle se chauffait la voix.

— Dame, daame Opale, hum, hum !

L’assemblée qui avait entendu les essais, reprit direct.

— Dame Opale, Daame Opale, forte com’ un ours et rapid’ comm’ un ch’val !

La chevaleresse barde fit un clin d’œil à l’assemblée.

— Excusez-moi, ce n’était pas cette chanson. Je m’échauffais la voix. La chanson s’appelle “ Ah les chevaleresses !”. Elle conte, de manière un peu accélérée il faut l’avouer, les exploits de nos trois amies ici présentes.

Elle fit quelques accords et commença :

Ah les checheche les checheche les cheval’resses

C’est à Montbrumeux qu’elles sont parties n’en parlons plus

(bis)

Lorsqu’Isabelle, pour contenter son père

Devait s’marier, et pour elle qu’elle galère

Alors s’enfuit, avec sa pt’ite Manon-on

Sauvant ainsi, les filles de Montbrumeux

Ah les checheche les checheche les cheval’resses

C’est à Montbrumeux qu’elles sont parties n’en parlons plus

(bis)

Puis elles sauvèrent, Gersande la sorciè-ère,

Avec Adé, Marie et Ellanore

Et la comtesse, chopa le vieil évêque

Pour lui sonner les cloches à ce prélat !

Ah les checheche les checheche les cheval’resses

C’est à Montbrumeux qu’elles sont parties n’en parlons plus

(bis)

Théodora, seule à la citadelle

Trouva amies ces gentes demoiselles

Et toutes trois, soudèrent les écuyè-ères

Gagnant ainsi, leur adoubement ma fois !

Ah les checheche les checheche les cheval’resses

C’est à Montbrumeux qu’elles sont parties n’en parlons plus

(bis)”

Rien qu’au refrain burlesque, l’assemblée rit de bon cœur. La musicienne déposa ensuite religieusement son instrument et alla reprendre sa place.

La commandeuse de l’Ordre Sacré des Chevaleresses du Bouton de Rose se recomposa un air sérieux et appela les trois écuyères, accompagnées de leurs marraines qui leur posèrent une main sur l’épaule, en geste de soutiens.

— Chères futures Chevaleresses, nous aimerions que vous exprimiez ici les raisons qui vous conduisent en ce jour à demander votre incorporation en tant que chevaleresse dans notre Ordre et ce que vous aimeriez y apporter.

Son regard se posa d’abord sur Théodora.

— Les chevaleresses sont une grande famille. J’ai aimé celle dont je viens, mais elle n’a pas su me comprendre. Si j’ai eu du mal à m’intégrer dans celle-ci, elle est aujourd’hui mienne et je m’y sens bien. Pour ce que je voudrais y amener, c’est l’unité, enfin, je ferai tout pour la garder, la renforcer.

Puis vint le tour de Manon.

— Vivre avec Isabelle ce rêve magnifique de liberté, partager de la joie avec mes sœurs de l’Ordre et le goût de l’aventure. J’aimerais apporter avec moi ce que je suis et vous souffler mes plans alambiqués.

Et enfin Isabelle.

— Que Manon soit enfin mon égale, comme vous toutes. Chevaucher au secours de celles ou pourquoi pas ceux qui en ont besoin. Je vous offre mon amitié, ma fougue, mon envie de vivre et de rire, et bien sûr, mes petites piques bien senties.

Ensuite la comtesse sortit son épée de son fourreau. Les jeunes filles s’agenouillèrent.

— Il est temps, écuyères, de prêter serment.

Ensemble, les trois jeunes filles prononcèrent ces paroles qu’elles avaient longuement méditées.

— Moi, Théodora.

— Moi Manon.

— Moi, Isabelle.

Et d’une même voix :

— Fais le serment d’obéir à la commandeuse de l’Ordre, sauf si elle venait à manquer aux autres commandements : secourir mes sœurs chevaleresses, les femmes et les enfants victimes de violences, me dresser devant les injustices, combattre la tyrannie, protéger et être charitable envers les nécessiteux, inconditionnellement, et ce, au péril de ma vie.

Ensuite la Dame passa devant chacune, et prononça les mots qui les lieraient à jamais à l’Ordre, apposant son épée sur leurs deux épaules.

— Théodora, Manon, Isabelle, je reçois votre serment et vous accepte comme chevaleresse au sein de l’Ordre Sacré du Bouton de Rose.

« Chevaleresses ! Vous pouvez vous lever. Votre première mission est de partager, aux places d’honneur, avec vos sœurs ici présentes, le merveilleux repas qu’elles nous ont concocté. Il y aura du poulet et de la compote de pommes pour tout le monde ! Ensuite, on dansera sur la table !

Dans la joie et la bonne humeur, chevaleresses et écuyères coururent rejoindre la salle du banquet. Les trois récipiendaires affichaient des mines réjouies. Isabelle et Manon, souriantes, allaient bras-dessus bras-dessous et la petite main de Viviane vint se glisser dans celle de Théodora. Elle avait trouvé son écuyère !

— En avant vers de nouvelles aventures ! cria Isabelle.

— À nous le grand frisson des missions ! continua Manon.

— Les nuits à la belle étoile ! s’enthousiasma Théodora.

Une plus petite voix se fit entendre :

— Et l’amour !

Les yeux de Viviane pétillaient en regardant sa chevaleresse.

Dans la chapelle, la comtesse Opale de Montbrumeux, tenant Layinah par la main regardait, avec une joie mêlée de fierté et d’un je ne sais quoi nostalgique, toutes ces jeunes filles courir vers le repas de fête. Elle prit une grande bouffée d’oxygène pensant à celles qui n’étaient plus, quelques larmes s’échappèrent de ses yeux. Layinah pleurait aussi, submergée par l’émotion du moment. Opale la prit tendrement par la taille.

Ellanore accompagnée d’Adélaïde et de Crispin, Marie-Sophie main dans la main avec Berthilde vinrent les rejoindre :

— Vous aussi, vous devez venir manger, on ne commencera pas le banquet sans vous !

La comtesse sourit à ses amies.

Quelque part, ces petites sont un peu mes enfants.

FIN. Provisoire ?

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