2.5 – Exécution

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Que dit la loi ? Tu ne tueras point ! comment le dit-elle ? En tuant ! ”

Victor Hugo, Les misérables

Le marché de la place principale avait disparu au profit d’une foule compacte. Des miliciens étaient occupés à dresser un bûcher. Le temps, toujours plus noir au-dessus de Champagnole, s’éclaircissait alentour, comme si tous les nuages s’étaient réunis au même endroit.

Les chevaleresses s’étaient installées et attendaient le procès. Le plan était simple, mais très risqué. Ellanore et Opale avec deux arbalètes chacune, se tenaient à la fenêtre de la chambre de l’auberge et attendaient le moment fatidique du verdict. La comtesse tirerait un carreau dans l’épaule de l’évêque, et Ellanore s’occuperait d’un garde, les deux autres arbalètes étaient prêtes pour mettre hors combat un soldat supplémentaire.

Elles sortiraient ensuite rapidement par la fenêtre arrière, dans une chambre que Marie-Sophie avait ouverte grâce à ses talents de crocheteuse. En bas, Isabelle et Manon les attendaient avec les chevaux. L’enchaînement des actions nécessitait d’agir avec célérité : les cavalières devraient être parties avant que l’alerte n’atteigne les portes.

Adélaïde et Marie-Sophie, proches de l’estrade, profiteraient du chaos pour récupérer la sorcière et l’exfiltrer jusqu’à l’église. Elles avaient prévu une cape d’une riche étoffe, achetée au marché pour la dissimuler.

Un géant d’une extrême maigreur monta sur l’estrade. Son visage long et anguleux prolongé par une barbe grise en pointe respirait la sévérité. Coiffé d’une mitre et tenant fermement sa crosse dans une main, l’évêque de Besançon promenait un regard inquisiteur sur la foule.

Ceux qui avaient le malheur de croiser la lueur perçante de ses yeux, se demandaient s’il voyait le fond de leurs pensées. Terrifiés, certains demandaient pardon pour leurs péchés, même ceux qu’ils n’avaient pas commis, ou ceux qui n’en constituaient pas un.

Exalté par son fanatisme et sa haine, il se mit à hurler à l’intention de la foule :

— Que l’on fasse venir l’hérétique !

De nombreuses personnes assistaient au spectacle, les rangs des curieux enflaient à vue d’œil. Un garde ouvrit la porte de la maison forte, traînant une pauvre chose par le bras, la tira pour lui faire monter les escaliers et la jeta aux pieds du prélat.

Devant l’estrade, les huit gardes de l’évêque empêchaient la foule d’avancer. Les gens regardaient, silencieux. Chez certains, on pouvait lire de la colère ou du désespoir, chez d’autres une excitation malsaine.

— Gersande Dutertre, vous êtes ici en procès pour sorcellerie. Savez-vous, messieurs dames, ce que sont les sorcières ?

Il gardait haut son index levé, comme pour attirer la foudre.

— Ce sont des femmes maléfiques ! Prêtes à tout pour répandre le mal autour d’elles. Le mauvais temps ! Les hivers durs et les sècheresses ! Les mauvaises récoltes ! La peste ! Le choléra !

Ellanore, de sa fenêtre, se contenait avec difficulté :

— Je vais me le faire ! Je vais me le faire !

— Elles séduisent les maris, et font des sabbats où le Malin lui-même, invoqué par ces perfides, préside en maître de cérémonie.

Marie-Sophie tremblait de colère, prête à rugir.

— Elles empoisonnent les braves gens venus chercher un remède.

Isabelle et Manon observaient de loin, dépitées par la tournure que prenaient les événements. Le temps n’était pas encore venu pour elles de jouer leur rôle.

— Mais comment peut-on proférer autant d’inepties en si peu de temps ? souffla Isabelle.

— Elle a soigné ma femme ! s’exclama une voix dans l’assemblée.

— Elle a guéri mon fils ! s’exclama une autre.

— Balivernes ! Elle a rongé et pourri ces êtres purs ! Oui, mesdames et messieurs, ces femmes s’acoquinent avec des démons pour voler les âmes de ceux qui vous sont chers. Elle les a transformés en serviteurs du diable, ne vous y trompez pas !

Ellanore n’en pouvait plus, grognant de rage, elle allait exploser.

— Calme-toi, respire, il faut que tu sois en état de tirer. Tout repose là-dessus. Ferme les yeux, n’écoute pas, détends-toi. Là.

— La coupable a avoué son crime ! reprit l’évêque, elle a invoqué les puissances infernales pour faire mourir par la fièvre les cinq enfants d’une même famille.

Marie-Sophie regardait la malheureuse se faire humilier. Au travers de ses pleurs et malgré les blessures infligées, la crasse et la peur, elle n’y aperçut qu’un visage fragile, des yeux doux.

— Malheureuse Gersande, murmura-t-elle pour elle-même. Tiens bon, on arrive…

L’évêque galvanisé par la foule, brandit alors sa crosse comme un trophée de chasse et se mit à hurler.

— Alors quelle sentence pour cette engeance de démon ?

— La mort ! brailla une partie de la foule.

— Libérez cette innocente, clama l’autre.

— Oui ! Vous l’avez dit, LA MORT, La mort par le FEU ! Le BÛCHER ! Seul le feu purificateur peut avoir raison de son âme pécheresse !

Le discours de l’évêque s’enflammait, la foudre choisit cet instant précis pour frapper le bûcher en plein cœur, projetant à plusieurs mètres les trois miliciens de la ville qui le préparaient, embrasant le bois.

Alors, du ciel jaillit une pluie diluvienne éteignant les flammes, comme si Dieu lui-même s’opposait à la mort de Gersande et souhaitait protéger les chevaleresses d’un plan trop dangereux.

— On remet ça à demain, lança le prélat à la foule qui n’avait pas attendu pour disparaître.

Opale, depuis sa fenêtre, lança le signal du repli à ses troupes. Avec cette pluie, elle ne pouvait pas viser. Elles confièrent les chevaux à l’aubergiste, le temps de trouver un meilleur plan.

Les gardes municipaux reconduisirent Gersande dans sa cellule, les chevaleresses se replièrent à l’auberge. Depuis les fenêtres, elles virent le prélat se réfugier dans la maison forte, accueilli chaleureusement par le bourgmestre.

— T’en fais pas, mon amie, dit Opale à Ellanore qui ne décolérait pas, nous nous occuperons d’arranger cette affaire au mieux.

Marie-Sophie, le regard dans le vague, laissait ses pensées dériver.

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