1.14 - Travaux pratiques

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Dites-mois encore jeune dame, ce gent damoiseau ne vous sied point ?

Je n’ai que faire de ce fat. Mon cœur a été dérobé par cette gente demoiselle, et je compte bien m’emparer du sien.”


Le livre l’obnubilait. Imaginer parcourir ses pages en compagnie de Manon, lui procurait une excitation au-delà de l’imaginable. Haletante, elle frappa à la porte de communication entre leurs appartements, mais lorsqu’elle ouvrit elle trouva une Manon toute chafouine. Elle tenta quelques mots gentils mais rien n’adoucit l’amertume de sa mie. Aussi, son excitation tomba.

— Allez viens, suis-moi aux cuisines, j’ai envie d’un repas particulier, pour deux.

Manon se leva et suivit placidement Isabelle, le regard éteint.

Lorsqu’elles arrivèrent à destination Adèle préparait la nourriture pour le soir. S’occuper de tout le château, même s’il n’était pas immense relevait d’une organisation bien orchestrée, gérant ses deux commis, goûtant tous les plats, ajoutant ci et là un assaisonnement. Les demoiselles durent attendre. Manon restait en retrait et ne disait rien.

— Bonsoir Adèle, j’aurais une demande un peu spéciale pour ce soir. Je voudrais être servie plus tard que d’habitude. Nous serons deux. J’aimerais un bon repas, pour partager avec une invitée de marque.

À ces mots, la brunette tourna les talons et s’enfuit. Isabelle, prise au dépourvu, rentra dans sa chambre un peu déboussolée. Il n’était pas dans les habitudes de sa dame de compagnie de se comporter ainsi.

Elle prit son courage à deux mains et toqua à la porte mitoyenne. Pas de réponse. Elle insista.

— Manon… Manon ? Manon !

Elle ouvrit. Personne, mais où a-t-elle bien pu passer ? Peut-être chez sa mère ? Elle va bien finir par revenir, je vais attendre.

Quelques minutes s’écoulèrent avant qu’un léger bruit ne se fasse entendre dans la chambre contiguë à la sienne.

— Manon ?

— … Laisse-moi tranquille !

— Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Aucune réponse.

Effectuant les cent pas dans sa chambre, elle ne pouvait se résoudre à attendre éternellement. Elle colla son oreille contre le ventail et perçut des pleurs.

— Ma jolie Manon ? Que se passe-t-il ? J’ai fait quelque chose de mal ?

Toujours pas de réponse.

— Je peux entrer ?

— Snif… Si tu veux.

Isabelle poussa alors la porte intermédiaire et trouva sa douce amie couchée sur son lit, la tête dans les oreillers et des sanglots s’échappaient de sa gorge. Ne sachant comment s’y prendre devant cette situation inédite, elle s’assit à côté de sa belle et lui passa sa main dans les cheveux.

— Pourquoi viens-tu me narguer ? la défia Manon.

Elle se redressa et s’assit. Isabelle tendit la main pour essuyer une larme sur la joue adorée, ne comprenant pas.

— Va la retrouver ton invitée spéciale ! Hier, tu me faisais la cour, après tu passes la matinée avec cette Saint-Eustache, en balade romantique ! Et maintenant, tu l’invites à dîner. Je n’y comprends plus rien moi ! Que suis-je pour toi ? Renvoie-moi à ma place de servante ! Comme ça, je saurai quel est mon rôle !

Les pensées d’Isabelle s’éclaircirent alors.

— Mais… Il y a un malentendu ! Mon invitée de marque, c’est toi ! Je comptais nous faire un repas romantique pour te déclarer mon amour !

La surprise cloua Manon sur place, les inepties imaginées s’écroulaient comme un château de carte. Elle contemplait l’étendue de son erreur.

Isabelle venait de lui révéler son amour. La veille, elle l’avait embrassée, mais sans lui dévoiler le fond de sa pensée. Aussi se jeta-t-elle dans ses bras et la serra de toutes ses forces.

— Oh ! Pardonne-moi ! Pardonne-moi ! ne cessait-elle de répéter.

Isabelle, lui caressa les cheveux, qui s’étalaient désormais joliment sur ses épaules depuis qu’elle n’effectuait plus le métier de servante.

Quittant la tendre étreinte, elle finit par avouer.

— J’ai voulu te jouer un mauvais tour. Comme je pensais que tu voulais passer la soirée avec la vicomtesse, qui te regardait d’un air que je n’aimais pas trop, je suis allée décommander en disant que finalement les plats habituels te conviendraient parfaitement.

Manon secoua la tête pour bien signifier son erreur.

— Je t’en prie ne m’en veux pas pour ma bêtise !

Isabelle s’approcha d’elle et lui glissa à l’oreille en guise de pardon.

— Je t’aime.

L’annonce eut pour effet de déclencher un nouveau jaillissement de larmes, de joie cette fois-ci. Isabelle se releva et la prit par la main.

— Viens, on va aller charger ce plateau nous-même ! On se fera une soirée très romantique, et j’ai une surprise pour la fin, tu vas voir !

Son sourire se fit malicieux.

Elle l’entraîna dans les couloirs en direction des cuisines. Elles avisèrent le plateau prévu pour elles. Comme il n’y avait plus personne, elles pillèrent les mets les plus délicieux qu’elles pourraient trouver, entamant certaines réserves prévues pour le mariage, et s’en retournèrent dans la chambre en pouffant de rire. Isabelle porta le repas pour montrer que la fainéantise ne touchait pas tous les nobles.

Les deux amoureuses purent enfin commencer leur rendez-vous. Elles se régalèrent de tous les plats, surtout Manon qui n’avait pas encore eu l’occasion de goûter à ceux que l’on réservait aux nobles les soirs de banquet. Dans leurs yeux brillaient l’amour, le bonheur et le désir. Jamais un dîner ne fut si agréable. Toute phrase échangée, tout moment sans manger était prétexte à une œillade, un rire ou un baiser. Certains même, appliqués sur les lèvres.

— Tu sais ma Manon, si je n’étais pas une femme, je te demanderais en mariage.

— Et moi je refuserais, rit celle-ci, je n’épouserais pas un homme !

Voyant que son interlocutrice ne savait pas comment prendre cette remarque, elle ajouta d’un ton enjoué :

— Mais puisque ce serait toi je dirais oui, oui, oui et encore oui !

Les deux filles s’embrassèrent encore en riant dans les bras l’une de l’autre.

— J’ai quelque chose à te dire. Je dois te parler de cette fameuse dame de Saint-Eustache.

Pendant un instant, Manon se rembrunit, mais Isabelle enchaîna :

— Elle n’est pas celle qu’elle paraît être, ni la rivale que tu t’imagines. Elle a bien vu comme nous nous regardions. Elle a tout compris. C’est pour ça qu’elle voulait me parler ce matin.

— Elle va nous dénoncer ?

Un sentiment de frayeur l’envahit soudain.

— Rassure-toi, elle est de notre côté. D’ailleurs elle ne s’appelle pas comme elle le prétend. C’est la comtesse Opale de Montbrumeux, et… elle est comme nous. Elle a une compagne elle aussi, et pas de mari. Si on la suit, nous pourrions nous aimer librement. Pour te montrer sa bonne foi, voici un billet qu’elle m’a donné.

Manon en commença la lecture et s’exclama :

— Oh ! Elle parle de moi ici !

La bouche à demi-ouverte lui conféra un air béa.

— Alors, reprit Isabelle, veux-tu qu’on lui fasse confiance ?

— Je suis honorée de l’attention d’une telle Dame, moi qui ne suis personne… Si tu crois qu’elle est sûre, je suis prête à la suivre avec toi. Si un autre avenir que celui qu’on nous promet est possible, je veux bien tenter notre chance.

— Alors, c’est d’accord, on y va ! conclut Isabelle.

Elle se rendit vers son secrétaire où elle avait dissimulé le précieux ouvrage.

— Et j’ai un livre ! Il accompagnait ce mot. Beaucoup de choses y sont expliquées, par exemple comment s’embrasser avec la langue… susurra-t-elle lascivement.

Une chaleur soudaine s’empara d’elle.

— Avec la langue ? Beurk !

Isabelle passa la sienne sur ses lèvres de manière suggestive, tout en fixant sa dame, un éclat fort coquin animait ses pupilles.

— Ah ! Vu comme ça, c’est tout de suite plus appétissant !

Elle se précipita alors dans les bras qui l’accueillirent avec tendresse et passion.

Il ne sera pas dévoilé ici l’intimité des deux jouvencelles, il sera seulement dit qu’elles se rendirent dans le même lit et que les chemises ne résistèrent que peu de temps. Peut-être pourrait-il être mentionné que le manuscrit leur fut d’une grande utilité, et que les pages en furent presque toutes tournées.

Leurs corps s’aimèrent passionnément, mais plus que l’acte physique leurs âmes ardentes suivirent le même chemin et se consumèrent d’amour.

Quand la fatigue finit par les emporter, elles s’endormirent enlacées, sans avoir trouvé ni la force ni l’envie de se séparer ou de se rhabiller.

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