3.15 Mouchoirs et représailles

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L’odeur subtile d’un parfum peut parfois trahir celle qui le porte.”

Le lendemain matin, Théodora regardait ses trophées du jour, repassait en revue les noms brodés sur chacun. Déjà au soir, elle les avait longuement examinés, humé leur fragrance à l’eau de rose. Serrer toutes ces jeunes filles lui avait procuré de folles sensations. Ses pensées s’étaient perdues et les émotions avaient pris le dessus. S’en étaient ensuivi des rêves inavouables. Elle ne représentait probablement pour elles qu’un idéal.

Dans la froideur de son lit, elle réalisa que ces filles n’avaient jamais manifesté aucun intérêt à son égard. Il était regrettable que seules ses prouesses lui valaient l’attention des autres. Théodora pouvait comprendre que l’ambiance malsaine qu’avait instauré Fabiola les ait bridées dans leur relation, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’une véritable amoureuse aurait bravé l’interdit.

Alors que faire avec ceci ? En profiter ? La possibilité était là, si facile à saisir, si tentante… Il lui suffirait d’écouter son instinct, elle vivrait de volupté, butinant de fleur en fleur. Mais ce n’était pas son genre. Elle pourrait aussi les repousser, considérant leur manque de courage lorsqu’elle était seule face à leur mutisme à son égard. Non. Il fallait pardonner, aller de l’avant. Cette soudaine popularité pourrait au moins servir de tremplin pour découvrir des amies. Si l’une d’entre elles lui correspondait, elle aviserait plus tard.

Restait l’inconnue au mouchoir. Qui pouvait-elle être ? Quand elle était arrivée à la table du Bouton de Rose, toutes celles qui avaient assisté à la rixe étaient présentes. Soit elle avait rejoint le rez-de-chaussée à toute vitesse, soit elle avait observé l’échauffourée par la fenêtre. Une chose étonnante, l’encre étalée sur le mouchoir était sèche, le mot avait donc été préparé. Lorsqu’elle porta l’accessoire à son nez, elle perçut un parfum légèrement différent : du lilas mélangé à l’eau de rose.

Était-ce une mauvaise blague fomentée par Fabiola ? Il aurait fallu qu’elle connaisse sa défaite à l’avance.

§

Une fois levée, Théodora pénétra dans la salle de restauration. Elle distingua, à la droite de son siège, sa bande d’admiratrices venue se coller à côté de son siège. Elles n’avaient pas eu l’outrecuidance de déplacer les places d’Isabelle et Manon pour s’y substituer, c’était déjà ça. Juste à côté d’elle, Viviane rayonnait comme une lanterne au milieu des ténèbres, attendant que la belle vînt s’asseoir près d’elle.

Quand elle parvint à son siège, le groupe se leva afin de lui donner l’accolade. Les bisous donnés, l’héroïne put enfin s’asseoir sous les regards amusés de ses deux amies.

— Quelle prestance Dame Théodora ! se moqua Isabelle.

— Quelle séductrice ! continua Manon amusée.

L’intéressée ne put que rougir et plongea son nez dans son repas.

— Si je fais ton ménage, tu voudras bien t’entraîner avec moi ?

Viviane la regardait de ses yeux énamourés. Théodora dut prendre sur elle. Ses paupières se fermèrent afin de chercher la concentration. Viviane avec ses petits cheveux frisés et sa bouille ronde était mignonne comme un petit chou, mais…

— Je ne suis pas Fabiola !

La remarque avait jailli, claire et puissante. La bande des cinq qui s’était mise à jacasser se tut dans l’instant.

— Non, je ne suis pas Fabiola, répéta-t-elle plus doucement, nous ne l’avons pas mise hors de nuire pour reproduire la même chose avec. Manon, Isabelle et moi sommes des filles honnêtes et nous ne marcherons pas vers un nouveau système de domination avec des passe-droits.

Viviane fut estomaquée.

— Mais… je…

Théodora désemparée posa la main sur l’épaule de la pauvre jeune fille et lui dit doucement :

— Je sais que tu ne pensais pas à mal, mais c’est comme ça que les ennuis commencent. C’est d’accord pour l’entraînement. Mais parce que j’ai envie de savoir qui tu es, pas pour que tu fasses mon ménage ou une histoire d’idolâtrie malsaine, c’est d’accord ?

Se tournant vers les autres, elle poursuivit :

— Je veux bien apprendre à vous connaître toutes, à devenir votre amie, alors que vous m’aviez ignorée, mise de côté. Mais par pitié ! Je ne suis ni votre cheffe ni votre idole.

Viviane reprit son teint de rose, sa bouche en cœur et ses yeux pétillants battant des cils.

— Merci Théo… dit-elle en se tortillant.

Elle est vraiment jolie, mais je ne suis pas certaine que l’on soit faites pour être ensemble. Je ne vais pas la ménager sur le terrain, on verra sa réaction.

§

À l’entraînement, tout se passait pour le mieux, les cinq filles purent à leur tour travailler avec Théodora qui ne faiblissait pas devant les minois attendris. Elle ne retenait pas ses coups d’épées et y allait de toute sa force. Au début de leurs échanges, Viviane, une des tire-au-flanc les plus expérimentées de la promotion, tenta la carte de la séduction. Comme le plan ne marchait pas, pour briller aux yeux de son héroïne, elle s’entraîna enfin sérieusement, y prenant même plaisir. Finalement, travailler n’est pas si désagréable ! Et si ça pouvait plaire à Théo…

— Eh ! Je te félicite ! Ne relâche pas ton effort, je suis certaine que ton labeur finira par payer !

— Merci…

Et les yeux papillonnèrent à nouveau.

— Bon, à la suivante de ces demoiselles !

Adélaïde passait dans les rangs.

— Bizarre ! Jusqu’aujourd’hui, j’voyais des chiffes molles qui faisaient semblant de s’battre, et là j’vois de vraies écuyères… J’me demande bien s’qui s’est passé ! Bravo les filles, continuez comme ça et on f’ra què’qu’chose de vous, même si y a encore du boulot !

Sans le vouloir, Isabelle, Manon et Théodora étaient devenues des modèles à imiter. L’ambiance de travail changea beaucoup depuis ce jour-là, promettant une promotion de chevaleresses assez nombreuses.

En sortant de l’entraînement, un groupe se forma devant le château. Certaines, toujours subjuguées par Théodora étaient là pour l’admirer, mais les compliments naquirent entre elles. Et des félicitations échangées, vinrent parfois des débuts de sentiments, et l’envie de bien faire pour plaire à l’autre.

Cependant, il manquait quelqu’un, ou du moins quatre d’entre elles. Dans la conversation agréable qui reliait les demoiselles présentes, personne ne l’aurait remarqué si des cris ne s’étaient fait entendre derrière un bâtiment d’artisane. La troupe s’élança pleine d’un nouvel entrain en direction des appels au secours.

Derrière le bâtiment, Fabiola, Bérangère et Cæsarée donnaient à Arsinoé une raclée qu’elle n’oublierait pas de sitôt. Les écuyères se précipitèrent et rouèrent de coups les trois agresseuses.

— Arrêtez ça tout de suite ! cria une voix plus forte que les autres.

Adélaïde, Ellanore et Marie-Sophie s’interposèrent pour avant qu’un drame ne se produise.

Arsinoé était au sol, Isabelle se précipita vers elle, Manon s’accroupit pour s’assurer de son état et Théodora lui demanda où elle avait mal.

— Ma jambe !

— On va te porter t’en fais pas.

Les trois filles firent mine de la prendre pour la porter, mais Marie-Sophie les en dissuada :

— Non, laissez-la ici, Manon, va chercher la soigneuse ! Dis-lui bien qu’il y a probablement besoin d’une attelle. Les autres, dispersez-vous il n’y a rien à voir.

— Moi j’surveille les trois autres, Isabelle va chercher la comtesse. Non mais qu’est-ce qui vous est encore passé par la tête, vous n’avez pas encore compris qu’ici c’est pas comme ça que ça marche ?

— Je reste près de vers toi, Arsinoé, lui dit Théodora. C’est un peu de notre faute si tout ça est arrivé, je suis désolée.

§

Opale, Layinah et la soigneuse arrivèrent quasiment en même temps.

— Elle a mal à la jambe, indiqua Théodora.

La soigneuse toucha la blessure, Arsinoé ne put retenir un rictus de douleur.

— Pas de doute, c’est cassé.

La soigneuse se mit à confectionner une attelle de la bonne taille.

La comtesse s’enquit

— Que s’est-il passé ici ?

— C’est Fabiola. Elle a voulu me casser la figure parce que je ne voulais plus écouter ses ordres. J’en avais réellement marre de sa tyrannie !

— Fabiola, mais je n’aurais jamais cru que… Désolée Opale, je ne t’ai pas écoutée, je ne voulais pas y croire ! Une princesse de sang…

— Tu t’excuseras plus tard Layinah, nous avons plus urgent à traiter, lui signifia sa compagne.

Layinah se mit à pleurer chaudement, la Dame de Montbrumeux lui caressa tendrement la nuque et se pencha à son oreille.

— Désolée ma chérie, je m’occuperai de toi après.

Elle recentra son attention sur la blessée.

— Dis-moi, pourquoi t’es-tu séparée de ce groupe ? C’est parce que tu pensais que vous alliez perdre ?

Arsinoé était assise et commençait à souffler.

— Je… j’en avais marre de tout ce qu’elle nous faisait subir pour être considérée comme ses amies. D’accord, j’en ai bien profité, j’avais des privilèges.

« Elle nous a choisi parce qu’on était les plus fortes, qu’on en imposait. Au début, j’ai accepté pour le confort… Mais il y avait une discipline de diable au sein du groupe. Si l’une de nous n’avait pas été suffisamment méchante avec les autres, elle nous frappait… Ou pire.

La blessée retroussa sa manche, laissant clairement apparaître des marques de scarification, et même, une brûlure, probablement causée par un tison.

— Je regrette ce que j’ai pu faire, je veux plus de ça… Alors quand j’ai su pour le duel, je me suis dit que si je participais pas, elles pourraient enfin perdre. J’aurais enfin la possibilité de me libérer de son emprise.

« Je suis désolée pour toutes celles à qui j’ai pu faire du mal. Vraiment. Isabelle, pour l’autre fois, pardonne-moi.

Isabelle était encore pleine du ressenti causé par l’embuscade à laquelle Arsinoé avait pris part un mois plus tôt. Mais elle la voyait désormais dans un si mauvais état qu’elle lui manifesta sa pitié.

— Oui, souffla-t-elle du bout des lèvres.

La soigneuse commença à fixer l’éclisse enfin prête à la blessée serrait les dents pour ne pas hurler. Théodora, qui la maintenait pour le pas qu’elle bouge réalisa en cet instant : cette douce odeur de lilas…

De ses bras, Opale enveloppa Layinah toujours en pleurs.

§

À part quelques contusions Fabiola, Bérengère et Cæsarée ne déploraient aucune blessure sérieuse.

La Dame de Montbrumeux, l’air sévère, leur intima de les suivre dans son bureau.

— Asseyez-vous.

Le ton était sec. Les trois jeunes femmes s’exécutèrent sans histoire.

— Mais que vous est-il encore passé par la tête ?

— Elle a trahi.

Le ton de Fabiola était catégorique.

— Mais tu ne peux donc pas réfléchir autrement qu’avec tes poings ? Tu souhaites devenir comme ton père ? Rappelle-toi que tu m’as suppliée pour que je t’enlève de son emprise.

Fabiola baissa les yeux. Combien de fois ce salaud l’avait frappée ?

— Je veux bien te donner une nouvelle chance, une dernière. Après, je ne pourrai plus rien faire pour toi. Montre-moi que tu vaux mieux que lui.

Lentement la jeune fille opina du chef. Les larmes qu’elle tentait de refluer lui étaient montées aux yeux.

— Oui madame.

— Avant tout, tu sais qu’il y aura une sanction.

— Oui madame.

— Et à ton sens, que devrais-je te donner comme punition ?

— Mmm… Un mois ?

— Réfléchis, combien de temps crois-tu qu’il faudra à Arsinoé pour se remettre ? Penses-tu que sa peine devrait être plus longue que la tienne ?

— Non madame.

— Alors voici ce que je te propose : vos punitions dureront le temps dont votre camarade aura besoin pour se remettre, augmenté d’une semaine. La nuit, vous dormirez au trou, et dans la journée vous irez chez les sœurs pour votre repentir. Elles vous trouveront bien des travaux à effectuer au monastère et vous aurez du temps pour réfléchir. Quel est votre avis sur cette punition.

— Votre punition est juste Madame.

Les deux autres acquiescèrent.

— Bien, venons-en à vous deux.

Bérangère et Cæsarée évoquèrent le même genre de raisons qu’Arsinoé pour avoir soutenu Fabiola dans sa folie, à ceci près qu’elles lui étaient restées loyales.

— Il va vous falloir apprendre également le libre arbitre, mesdemoiselles, ajouta Opale avant de les confier à ses chevaleresses.

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