2.11 – Marie-Sophie

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Toi qui as tant souffert, auprès d’une orreille attentive viens déverser le flot des paroles qui encombrent ton cœur.”

Toute la journée, Marie-Sophie resta au chevet de Gersande. La malheureuse sorcière dormait d’un sommeil tourmenté. À regarder de près son visage, le bourreau l’avait frappé à maintes reprises. Elle retrouverait une peau lisse lorsque la cicatrisation aurait fait son œuvre. Mais… qu’en était-il du traumatisme laissé à son esprit ?

Lorsqu’enfin la guérisseuse ouvrit les yeux, elle recula vivement, se recroquevillant dans son lit, puis reconnaissant Marie-Sophie, elle se détendit.

— Bonjour Gersande.

— Où… bonjour.

Au moins elle avait retrouvé la parole.

— Vous êtes chez des amies. Personne ne vous fera de mal ici. Vous avez faim ? Vous voulez de l’eau ?

Gersande acquiesça.

— De l’eau, oui. S’il vous plaît…

— Marie-Sophie, mais vous pouvez m’appeler Marie, tout simplement, dit-elle avec un petit sourire en coin. Je vais vous chercher ça.

Elle revint avec une cruche et un verre en terre cuite. Après avoir bu, la sage femme se rendormit. La chevaleresse se décida alors enfin à aller s’allonger et se reposer.

Cependant, tout le monde ne l’entendait pas ainsi, car sa porte s’ouvrit, laissant apparaître Berthilde.

— Pas ce soir, Berth, je ne peux pas. S’il te plaît.

Celle-ci, n’écoutant pas les suppliques de la chevaleresse, s’assit sur le lit de la demoiselle.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Je t’ai dit, je ne m’attache pas, je n’ai aucun compte à te rendre. Ce n’est pas assez clair pour toi ? Ce soir, je ne peux pas, c’est tout.

— Arrête ! Je vois bien que quelque chose cloche. C’est Gersande, hein ? Il y a quelque chose que tu ne dis, pas, et c’est pas juste une histoire de cœur. Raconte.

Haussant les épaules, Marie-Sophie poussa un soupir, puis opina du chef avec gravité.

— T’as raison, il y a quelque chose, mais, je t’assure que ce n’est pas joyeux à entendre. T’es vraiment prête pour ça ?

— Raconte ! Je suis peut-être une fille légère… Mais… Je suis capable d’écouter une amie qui souffre.

La chevaleresse poussa un long soupir.

— C’était mon premier amour, elle s’appelait Orphéa. J’avais quinze ans, j’étais folle !

Berthilde tenta une plaisanterie.

— Ah ! Tu étais folle, au passé, ce n’est plus le cas alors ?

Elle réussit à arracher un sourire à son amie qui put continuer son récit.

— À l’époque, j’étais fille du marquis d’Elambon. Une nuit, alors que je dormais tranquillement dans mon lit de princesse, j’entendis du bruit. Une ombre s’était introduite dans ma chambre et vidait le contenu de ma commode dans un sac, je me suis levée et lui ai sauté dessus. On s’est battues comme des chiffonnières, mais j’ai fini par l’immobiliser sur mon lit.

« — Bon, j’appelle la garde, ai-je dit.

« — Non ! Fait pas ça, je t’en prie ! me répondit-elle d’une voix tremblotante, je veux pas finir enfermée !

« Je fus désarçonnée par le regard de petit chat malheureux qu’elle me tendit. Sans savoir ce que je faisais, tiens-toi bien : je l’ai embrassée sur la bouche.

— Non !

— Si ! Je crois que j’ai été aussi surprise qu’elle, mais qu’est-ce que c’était bon ! C’est là qu’elle m’a dit son prénom. Puis, on s’est roulées dans les draps et embrassées jusqu’à l’épuisement. Elle m’a raconté sa vie : elle volait pour survivre. Tu t’imagines bien que moi, née dans la soie, je ne savais pas que ça existait. Elle m’a rendu mes affaires, mais je lui ai laissé un petit chandelier dont elle récupérerait un bon prix, ainsi qu’une bague. Elle la passa au doigt et me sourit.

« Je pensais ne jamais la revoir, mais le lendemain, un grappin s’est accroché à ma fenêtre et quelques instants plus tard, elle débarquait dans ma chambre. Nous nous sommes couvertes de baisers. De vraies gamines ! Le jour suivant, elle m’entraînait avec elle dans une rapine. C’était drôle, mon cœur battait la chamade à chaque bêtise que nous faisions. Toutes les nuits, nous recommencions nos folies. Elle m’a enseigné l’art de la cambriole, c’est avec elle que j’ai appris à ouvrir les serrures.

« Mais il y eut cette malheureuse nuit. Dramatique nuit. Nous cambriolions la boutique d’un bijoutier quand la milice des lieux nous est tombée dessus. On m’a rendue à mes parents qui m’ont enfermée dans ma chambre. Quant à Orphéa, elle fut jetée dans les geôles et torturée par le bourreau employé par mon père. Je me souviens encore de ces heures où ses hurlements résonnaient dans mes oreilles.

« Le lendemain matin, mon père a décidé de son exécution. Il m’a obligé à y assister afin de me punir et de tuer en moi toute velléité de recommencer mes bêtises, comme il disait. Lorsqu’Orphéa est montée sur l’échafaud, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, un être vidé de son essence de vie. On lui a passé la corde au cou et ils ont tiré dessus afin de la hisser, le nœud s’est resserré, la faisant suffoquer, l’obligeant à se battre pour sa survie. Elle me fit don de son dernier regard. Je le reçus, impuissante, criant mon désespoir et déversant toutes les larmes de mon corps. C’était un regard d’amour.

« Quelques jours plus tard, j’ai trouvé une corde que j’ai cachée dans ma chambre. Une nuit, je me suis glissée en dehors du château, j’ai sauté sur le meilleur cheval du marquis, et ils n’ont plus jamais eu de nouvelles de moi. Ces gens, je te le dis, ne méritent pas que je les appelle parents.

« Voilà ma belle, tu connais toute mon histoire, ou du moins, la partie la plus tragique.

Elle tourna le regard vers son interlocutrice pendue à ses lèvres, attentive à ses tourments.

— Alors Gersande…

— Oui, tu as tout compris. J’aimerais que son destin soit meilleur que celui d’Orphéa. Je voudrais qu’elle aille bien, j’aimerais la sauver, lui redonner l’envie de vivre. Alors comprends-moi, ce soir, c’est non. Je pense trop à elle.

Berthilde se pencha vers Marie-Sophie, et lui donna un baiser sur le front.

— Dors bien ma belle.

— J’essaierai. Bonne nuit à toi aussi.

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