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Agenouillée dans le potager, Arganthaëlle retirait les mauvaises herbes qui s’étaient installées. Les rayons du soleil réchauffaient la peau nue de ses bras, son gilet resté dans la maison. Le printemps arrivait.

Planifiant ses semis, elle sursauta quand quelqu'un la héla :

— Excusez-moi, mademoiselle !

Arganthaëlle se redressa rapidement et se retourna. Un homme aux cheveux blonds, un peu plus âgé qu'elle, s'était approché. On l'aurait cru sorti d'une de ces couvertures de magazine qu'on voyait chez le libraire. Elle plissa les yeux avec suspicion.

— Qu'est-ce que vous fichez là ? demanda-t-elle de son ton le plus revêche.

Peu de promeneurs venaient jusqu'à sa maison. L’avantage quand on habite un trou perdu en Bretagne. Seuls les korrigans profitaient de son isolement en lui jouant des tours.

— Je suis perdu. Je me suis blessé en trébuchant dans un trou du sentier.

Penaud, il désigna sa cheville qui avait doublé de volume en grimaçant. Arganthaëlle fronça les sourcils et posa sa binette au sol.

— Par les korrigans, vous êtes bien maladroit ! Allez, venez là ! ordonna-t-elle.

Elle lui tendit le bras. L'homme hésita un instant puis s'appuya sur elle.

— Merci, bredouilla-t-il.

Elle hocha la tête brusquement. La chaleur de l'homme se propagea dans son bras. Les joues d'Arganthaëlle s’empourprèrent. Elle était peu habituée à une telle proximité.

Elle ouvrit la porte de sa petite maison en pierre. Celle qu’elle avait hérité de ses parents. Elle montra une chaise en bois.

— Assoyez-vous ! Comment vous vous appelez ?

— Pardon, je ne me suis pas présenté. Je suis confus. Je me nomme Serge. Et vous ?

— Arganthaëlle.

Aucune remarque sur son prénom. Un bon point pour lui !

— Vous vivez seule ici ?

Il jetait des regards sur le poêle qui chauffait, les poutres du plafond garnies d'aromates séchés, la table rustique… Arganthaëlle se releva et chercha une arme des yeux. Sur la table reposait son couteau d’office. Après tout, cet homme était peut-être un tueur en série. On retrouverait son corps sans vie et elle ferait la une des journaux.

Elle acquiesça, le corps raide, puis attendit. Prête à se saisir du couteau.

— Oh… répondit simplement Serge.

Elle fut ravie qu’il ne fasse pas de commentaire et lâcha son arme du regard. Depuis qu'elle avait dépassé l'âge fatidique des 25 ans, les villageois allaient bon train sur la pauvre vieille fille qu'elle deviendrait. Déjà qu'elle avait une réputation de douce folie auparavant.

— Vous avez un téléphone ?

— Oui.

Elle eut une grimace agacée. Il n'avait pas pu louper le gros combiné noir à cadrans sur le buffet. Devant la mine interloquée de l'homme, elle se calma.

— Vous voulez appeler quelqu'un ?

— Mon frère... Pour qu'il vienne me chercher en voiture. Je ne vais pas pouvoir rentrer à pied.

— Fort possible. Je peux regarder ?

— Vous êtes infirmière ? J'ai vraiment du bol si c'est le cas.

Un sourire traversa son visage et ses yeux s’allumèrent avec espoir. Il ne ressemblait vraiment pas à un serial killer. Arganthaëlle secoua la tête. Elle allait vite savoir s’il était ouvert d’esprit.

— Pas vraiment… Plutôt une guérisseuse, admit-elle.

Elle se crispa, prête à essuyer un cri d'effroi.

— Une vates ?

— Exactement !

Comment connaissait-il ? Devant les yeux écarquillés d'Arganthaëlle, il se justifia :

— Mon frère est druide.

Elle mordilla sa lèvre. En général, quand un homme de la famille était druide, les autres l’étaient.

Arganthaëlle se concentra sur la cheville nue devant elle. La malléole était enflée. Un bleu apparaissait sur la peau blanche.

— Je peux ? demanda-t-elle, les doigts juste au-dessus de la blessure.

Serge hocha la tête, le visage crispé, ses yeux bleus concentrés.

La jeune femme esquissa un sourire. Pour avoir soigné de nombreux hommes, elle savait qu'en général leur apparence forte leur tenait à cœur alors même qu'ils piaffaient comme des fillettes lorsqu'on frôlait leur blessure.

La main sur la cheville, une vive chaleur s'en dégageait. Arganthaëlle l'ignora. Elle se concentra plutôt sur celle qu'elle ressentait au creux de son ventre. Son noyau magique pulsait calmement. Elle fit circuler sa magie jusqu'à ses doigts. Son véritable travail débuta alors : aspirer la chaleur de la blessure afin de l'intégrer à sa magie. La douleur se répartissait dans le corps d'Arganthaëlle. Elle aurait des courbatures, mais rien de plus. Immédiatement, la cheville de Serge dégonfla.

— C'est mieux ?

— Nettement, merci beaucoup !

Serge la scrutait avec un éclat dans les yeux. De la gratitude ou du soulagement ? Arganthaëlle farfouilla dans ses herbes suspendues aux poutres du plafond. Où étaient ces fichues immortelles ? Désespérée, elle se tourna vers le vaisselier. Enfin ! Perdu parmi les assiettes héritées de ses parents, un flacon d'une décoction d'immortelles ! Elle le brandit fièrement puis le tendit à Serge.

— Ça finira de dégonfler avec ça !

— Merci. Bien mieux qu'une infirmière ! Je ne savais pas que les vates avaient autant de pouvoirs...

Arganthaëlle camoufla son rougissement derrière ses longs cheveux ondulés. Se concentrant sur son ignorance à propos des vates, elle renifla puis rétorqua :

— Les druides pensent que les vates ne sont que des magiciens de seconde zone ! Et comme en plus, nous sommes des femmes, impossible pour nous d'intégrer les rangs de l'Ordre !

Serge grimaça :

— Je ne voulais pas vous vexer. C'était plutôt un compliment. Je suis moi-même un magicien de seconde zone comme vous dites. L'Ordre m'a rejeté après mon apprentissage : pas assez doué, pas assez fort. Ils ne se rendent pas compte des talents qu'ils perdent avec leurs règles à la noix.

Arganthaëlle sourit. Enfin quelqu'un qui partageait son point de vue sur ce groupe de vieux schnoks !

— Contente de rencontrer quelqu'un qui se pâme pas devant l'Ordre. Si vous voulez appeler votre frère, allez-y.

Serge parvint à se lever en boitillant légèrement jusqu'au combiné.

— Pierre, c'est moi, Serge. Je me suis blessé en allant... Non, rien de grave, une entorse… Je suis tombée sur une vates qui m'a soigné... Tu parles, j'ai eu de la chance, oui ! Est-ce que tu pourrais venir me chercher en voiture ? Je ne vais pas pouvoir rentrer.

Serge demanda à Arganthaëlle où ils se situaient exactement et répéta ses indications dans le combiné. Lorsqu’il raccrocha, il s'assit de nouveau sur sa chaise avec une légère grimace. Arganthaëlle se trémoussa, peu habituée à recevoir des visiteurs.

— Vous voulez du thé ? J'ai pas de café.

Il acquiesça avec un doux sourire qui éclaira son visage.

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