Là où tout à commencé

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Assis dans le hall, l’attente lui semblait interminable, tout autant que le voyage qu’il avait entrepris pour arriver jusque- là. Sa vie était ponctuée de rendez-vous médicaux et de rendez-vous sociaux. L’administration l’envoyait errer aux quatre coins de la ville. Dans son enveloppe fragile, il se sentait isolé et incompris. Aucune recommandation, juste l’oubli. Dans ce labyrinthe, il cherchait enfin une issue de secours. Dans cette salle d’attente, encore une fois, il ne s’attendait à rien d’autre. Un coup de tampon apposé sur son dossier et un nouvel entretien fixé avec un spécialiste pour le convaincre qu’il n'était pas un fou. Il voulait juste être un homme comme les autres, il méritait attention et considération. Il observait le monde s'agiter autour de lui, des ombres de passage qu’il croisait vite fait bien fait. Mais aujourd’hui , qui sait, peut-être qu’un rêve lui serait offert, qu’il pourrait profiter d’un fantasme aussi léger soit-il, juste une bulle de bonheur dans lequel il pourrait enfin se laisser aller. Derrière la baie vitrée, une silhouette passait de l’obscurité à la lumière, un ange, un fantôme ou son imagination qui lui jouait des tours. Il ferma ses paupières juste quelques secondes.

Assise à son bureau, elle passait ses journées à recevoir des âmes brisées, des vies délaissées, des êtres à la recherche d'un soutien, d'une solution précaire ou passagère. Les dossiers étaient empilés. Les courriers s’accumulaient. Les pochettes avec des numéros s’amassaient sur un coin de table. L'ordinateur affichait ses rendez-vous. Ils s’enchaînaient à la minute près. Devant le désespoir, elle sortait un mouchoir. Devant les regards tendus, elle songeait à tout ce temps perdu. Quelles que soient leurs attentes, elle se montrait patiente. Quels que soient leurs déboires, elle cherchait à ne pas les laisser choir. Ce matin, elle ressentait le besoin de tendre une main. Aussi se promit-elle que le prochain qui viendrait la voir, elle lui accorderait sans le vouloir, un espoir. Dans le couloir, un homme attendait. Ses mains pianotaient sur ses cuisses. Dans son jean bleu et son sweat gris, elle découvrit ses yeux noirs la fixer. Un frisson parcourut son corps. Un rêve ou un fantasme l’attendait dehors. Elle ferma les yeux, prit une grande inspiration et l’invita à se joindre à elle.

Quand il entendit son nom, le jeune homme sursauta. Il observa autour de lui, plus un bruit, plus un chat dans les couloirs. Il scruta l'espace, plus aucune trace d’âmes qui vivent comme si le commun des mortels s'était évanoui dans l’oubli d’un numéro. Une jeune femme s’approcha, dans son tailleur vert pastel. Subjugué par ses formes félines, il se demandait s’il ne rêvait pas les yeux grands ouverts. Sur ses lèvres fines, un gloss léger soulignait son sourire. Ses cils subtilement étirés donnaient à son regard une profondeur dans laquelle il venait de se noyer. Elle lui proposa de la suivre dans son bureau. Ses boucles rousses ondulaient sur ses épaules à chaque mouvement de son visage au teint de porcelaine.

Assise derrière son ordinateur, elle n’en revenait pas. Ce gars, face à elle, lui faisait de l’effet. Des frissons glissèrent le long de ses reins, quand ses doigts vinrent effleurer les siens. Le contact éphémère ne fut pas anodin. Elle lui proposa son stylo pour signer un document, ce geste fusionna leurs deux êtres. Perdue dans son regard brun, elle se sentait fébrile. Il ne l’effrayait pas, sa présence la rassurait. Une grande première pour elle qui vivait en solitaire depuis son arrivée dans le Nord. Elle avait demandé cette mutation parce qu’elle voulait changer d’air. Et si ce transfert n’était pas un simple hasard ?

Enfoncé dans son fauteuil, il écoutait sans rien dire. Dans sa bouche, les mots étaient doux, si différents de ceux qu’il n’avait plus cure. On lui avait tant promis et jamais rien offert de concret, que se déplacer une fois de plus pour un entretien avec les services sociaux le gavait au plus au point. Mais en ce petit matin, tout était différent, plus plaisant, la belle rouquine prenait soin d’étudier son dossier sans le juger, sans le bousculer. Il observait les doigts taquiner le clavier. Devant sa maîtrise, il se mit à fantasmer. Quand elle déposa le stylo au bord de ses lèvres, tous ses sens s’éveillèrent. La jeune femme lui faisait un bien fou, il n’avait qu’une envie, se jeter à son cou.

Elle épluchait en détail son dossier, elle se devait de l’aider. Il lui fallait pour cela trouver la solution adéquate. Derrière son regard triste, elle apercevait une lueur qui l’interpellait. Sa silhouette ne la laissait pas insensible, sa barbe naissante la charmait et dissimulait un sourire coquin. Elle détailla toutes les démarches qu’il devrait entreprendre. Consciente que le chemin serait long, elle lui suggéra d’avancer un pas après l’autre. Une fois le rendez-vous terminé, elle lui proposa sans hésiter de se retrouver en d’autres lieux plus sympathiques pour boire un verre.

Il voulut refuser, au milieu de la foule il se sentait en danger. Aux côtés d’une telle beauté, il craignait de la mettre mal à l’aise et qu’elle le fuit à la moindre occasion. Pourquoi pourrait-elle s’intéresser un seul instant à sa personne ? Lui-même ne voyait que des échecs et des désillusions. L'assistante sociale le retint et glissa dans sa paume un papier sur lequel elle avait pris la peine de noter un jour et un lieu. Il lui sourit et partit.

à suivre ...

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