For Honor

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  L’odeur humide de la forêt emplissait mon nez. L’air frais du matin me rappelait mon pays. J’avais prié les dieux toute la nuit, pour qu’ils puissent me donner force et courage. L’aurore éveillait la forêt encore silencieuse. Et moi, je marchais vers un ennemi que je ne connaissais pas. Une brume légère couvrait le sol, le chant des oiseaux commençait à se faire entendre.

  À genoux au pied d'un chêne, une longue épée plantée dans le sol face à lui, mon adversaire priait-il, lui aussi ? La brume semblait l’embrasser de son étreinte glacée. Une armure de plates couvrait son buste, ses bras et ses jambes. Sa cotte d’arme tombait jusqu’à ses genoux. Un heaume protégeait son visage. Lourdement cuirassé, je connaissais maintenant sa faille : il serait lent. Ma barbe tressée rejoignait ma tunique tachée par le sang. Mes bottes de cuir usées remontaient jusqu’à mon pantalon en toile. Une hache dans la main droite, un bouclier en bois rond dans la main gauche, j’observais cette lame figée dans la terre. Plus d'un mètre de long... Mon arme faisait pâle figure...

  Le bruissement des feuilles sous mes pieds lui fit lever la tête. Son regard perça son heaume pour me fixer. Il se leva et arracha la lame du sol. L’acier fendit l’air, se dressant entre lui et moi. Une menace ? Une invitation ? Peu importe. Cela me convenait. Je lui lançai mon plus grand sourire provocateur. Mon sang bouillonnait dans mes veines. L’excitation du combat montait, crispant mes doigts autour du manche lissé de ma hache. Je lui prendrais sa vie, le regarderais agoniser avant que ses yeux s’éteignent. L’appel du combat grondait dans mon corps et mon esprit. La victoire ou la mort. L’échec ? Inconcevable.

  Du plus profond de mon être jaillit un cri. De peur ? Non, de guerre. Je m’élançai, la terre se soulevant sous mes pas. Bouclier levé, hache au-dessus de la tête, le sol tremblait sous l’impact de ma course tandis qu’il marchait lentement vers moi, son fer placé à mi-hauteur devant lui. Le premier coup fut le mien, mais rien ne rencontra l’acier de ma hache. Il esquiva et contre-attaqua dans une parfaite position. Le coup était prévu, j’avais déjà placé mon bouclier entre lui et moi. L’épée rebondit lourdement sur le bois. Emporté par ma course, je repris mes distances. Pareil à un loup, je lui tournais autour, cherchant la moindre faille. Mais ma proie se contentait de me suivre, traînant les pieds sur le sol. Ce combattant semblait aguerri. Une joie sauvage m’envahit : j’allais affronter un adversaire à la hauteur de mes espoirs. Je contenais avec difficulté mon envie de lui bondir dessus pour abréger sa misérable vie.

  En quelques pas rapides, il combla la distance qui nous séparait. Avait-il compris que j’allais attendre qu’il se fatigue ? Sa lame remonta au-dessus de sa tête et l’acier siffla. Je parvins difficilement à parer le coup. En réponse, un puissant coup de pied s’écrasa contre mon ventre. Dans ma gorge remonta un goût acide. Il frappa avec la pointe de sa lame. Je reculai et trébuchai. Totalement désorienté, je saisis une poignée de terre que je lui jetai au visage. Il recula et toussa. Je bondis sur lui. Mon bouclier frappa avec force son heaume qui émit un son grave. Il jura derrière la plaque métallique. Sa lame effectua un demi-cercle dans ma direction. Je ne pus l’esquiver. L’épée entailla mon flanc et ma tunique sur plusieurs centimètres. La douleur fut immédiate, un gémissement m’échappa. Une colère sourde gronda en moi, mêlée à l’appétit du sang. Mon adversaire recula de quelques pas et arracha le casque de sa tête.

  Je découvris un homme blanc aux cheveux noirs. Une large cicatrice parcourait sa joue. Du sang perlait de sa tempe et de la terre était collée à son visage. Tous deux essoufflés, nos regards se croisèrent, ils disaient la même chose : l’un de nous devait mourir. Il serra les dents et fonça vers moi. Je fis une feinte sur le côté lorsqu’il passa. Son fer tournait déjà vers moi lorsque je lui mis un coup de hache dans le genou. Il grogna de douleur. Son épée s’écrasa sur mon bouclier qui éclata sous le choc. Il n’en restait que des morceaux de bois brisés. Mon bras me faisait souffrir, la douleur ne cessait de croitre. Mais je ne me plaignais pas : mon ennemi boitait. C’était ma chance.

  Je m’approchai de mon adversaire, désormais mal en point. Une fébrilité démente montait inexorablement en moi. Cette soif de sang aliénante m’ôta mon restant d’humanité. Un prédateur sur le point d’achever sa proie. Ses yeux noirs ne me quittaient pas une seule seconde. Nouveau cri, le coup le manqua de peu. Ma hache ricocha lourdement sur l’acier de son épée. Mon poing partit, ravageant son visage et mes phalanges. Je fis tourner mon arme avant de l’abaisser de nouveau. Il contre-attaqua maladroitement, l’acier de son armure avait encaissé l'entièreté du choc. Je coinçai sa lame grâce au long talon de ma hache.

  J’étais en position de force. Mais il fit un mouvement que je n’avais encore jamais vu : il poussa la poignée de son épée dans ma direction. La garde me frappa au sternum et me coupa la respiration. Surpris par le coup et la manœuvre, il m’assena un puissant coup de tête. Étourdi, je reculai. Il s’approcha en boîtant mais grogna en posant un genou à terre. Mon visage me brûlait. Par reflexe, je chassai la sueur qui coulait de mon front. Mais en regardant ma main, je vis que le liquide salé était pourpre. Ah ! Cet adversaire me donnait plus de difficultés que prévu… La victoire était-elle possible ?...

  J’observais le chevalier. Il me regardait, son visage ne laissait paraître aucune émotion. Ni haine, ni souffrance, ni pitié. Rien. Il s’était levé et évitait de s’appuyer sur sa jambe invalidée. Même blessé, il restait un combattant féroce. Je le respectais autant que je le haïssais. Mon bras gauche me faisait de plus en plus souffrir, et j’avais du mal à bouger les doigts. Il avait gonflé et sa couleur violacée m’emplit d’effroi. Il fallait en finir. Le chevalier leva son épée et s’avança.

  La longueur de sa lame lui permit de frapper le premier. L’épée monta très vite, et l’éclat du soleil naissant brilla sur l’acier. Je fis une esquive courte vers l’arrière avant de plonger sur lui. En un bond, je me retrouvai à portée suffisante. Ma rage s’exprima. Les doigts serrés sur le manche, la hache s’enfonça dans une ouverture de l’armure. La sensation de l’acier déchirant la chair au bout de mes doigts me procura un plaisir presque orgasmique. Enfin ! Un cri de douleur s’échappa de ma victime. Du sang perlait lentement sur le fer poli de l’armure. Je pouvais presque sentir l’odeur métallisée de l’hémoglobine. Une apothéose pourpre.

  Je voulus retirer ma hache mais elle resta coincée. Il se tourna et me fit face. Pendant une fraction de secondes, ses yeux noirs percèrent mon âme. Le sang bouillant dans mes veines se glaça instantanément. J’allais mourir. Ces deux prunelles ébènes avaient comme aspiré toute volonté de mon corps. Cet état de torpeur fut interrompu par une douleur sourde. Quinze longs centimètres d’acier s’enfonçaient dans ma chair. Je regardai mon sang s’échapper de mon ventre, impuissant. Sa lame déchira mes entrailles en quittant mon corps. Mes jambes me lâchèrent. Le goût acre du sang emplit ma bouche. Je partais pour le Valhalla… Cette idée m’apporta un peu de réconfort mais ma peur était immense. L’homme s’approcha et me dit : Nobiscum Deus. Que Dieu soit avec nous. Où étaient les miens ? M’avaient-ils abandonné ?

  Il leva son épée. Les paupières closes, des larmes coulèrent sur mes joues. De honte. De tristesse. D’amertume. Ma dernière pensée fut pour ma famille. Mon fils, ma femme, ma fille. Je n’avais pas été à la hauteur… Cet instant s’étira à l’infini. Je reconnus le son de l’acier que l’on range dans un fourreau. Je rouvris les yeux, plein d’incompréhension. Il tourna les talons et décrocha un olifant de sa ceinture. Le cor résonna dans la forêt. En sanglot, je suppliai le chevalier de terminer le combat et de m’achever. Je voulais mourir fier, pour mon jarl, pour ma famille.

  Il se tourna vers moi et me regarda avec pitié. J’eus le sentiment de n’être rien. Mon monde entier s’écroula. Étais-je le plus grand guerrier du clan ? Plus maintenant. La forêt semblait tourner à toute allure et m’avaler. Ma vue se brouilla peu à peu. Un moment plus tard, un cavalier approcha. Il aida le chevalier à grimper sur sa monture et tous les deux quittèrent la forêt, m’abandonnant à mon sort. L’excitation du combat évanouie, mes blessures se manifestaient avec une douleur rageuse et saisissante. Faible, incapable de bouger, le goût de la terre se mélangeait à celui du sang. J’eus envie de vomir. Tout devint noir. Le froid envahissait mon corps peu à peu. J’entendis un bruit et le silence remplaça tout.

  Je me réveillai quelques jours plus tard, allongé sur un matelas de feuilles, sous une tente. Mes pairs m’avaient trouvé et soigné. J’étais en vie. Mais étais-je vivant ? Je me dégoutais. J’avais échoué. Me voilà déshonoré et humilié. J’auraise préféré mourir par l’épée que de vivre misérablement avec le poids d’un tel échec. Les dieux s’étaient-ils détournés de moi ?

  J’ai conservé le heaume. Pour me rappeler ma défaite. Pour me rappeler d’être toujours plus fort. Dans mon clan, je ne suis plus un guerrier. Je ne suis plus rien. Je hais cet homme. Ce jour-là, à l’orée de cette forêt, j’ai perdu beaucoup plus que ma vie.

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