Un grand frère c’est costaud ! C’est toujours lui qui gagne à la course, c’est lui qui gagne au Cluedo, c’est aussi lui qui t’apprend le vice. Alors quand il m’a dit viens, on va voir les hommes, ni une ni deux j’ai répondu oui!

Maman, là-haut, faisait dodo. Papa, en bas, discutait avec la chauve-souris. On s’est caché derrière la haie jusqu’au bout de l’allée. Mon acide nucléique battait à tout rompre.

Je me souvenais des conseils de tonton Ebola, il nous répétait sans cesse qu’il fallait mûrir un peu avant de s’exposer, que les humains avaient évolué et qu’ils ne feraient qu’une bouchée de jeunes pathogènes comme nous si nous sortions sans nous répliquer un tant soit peu.

Pendant que nous courrions, ma couronne s’emmêlait de milles particules de liberté. Sortir de cette grotte où nous dormions depuis tant de temps fût l’expérience la plus extraordinaire de ma vie. Je n’aurais jamais pensé pouvoir un jour voir le grand jour, celui des hommes, celui des mammifères, la lumière était si forte !

J’étais ébloui, je ne vis pas mon frère se faire embarquer par la brigade virologie (des bruits affreux courraient sur les traitements qu’ils nous faisaient subir). J’eu à peine le temps de sauter sur le dos d’un pangolin qui passait. Je me refugiai dans ses écailles et, blotti contre sa peau, je me laissai emporter loin de chez moi, loin de ma famille…

Le voyage dura plusieurs cycles. Pour tuer l’ennui je m’amusais à me dupliquer, histoire d’avoir de la compagnie. Nous étions un bon million de moi-même lorsque notre hôte se fit capturer.

Dans mes rêves les plus audacieux je n’aurai jamais imaginé vivre ça : voir un humain, un vrai, de l’extérieur en plus ! Lorsqu’il approcha son appendice préhenseur je fus fasciné par la beauté de ses spores. J’avais lu plusieurs articles sur Entropies.com relatant les défenses immunitaires de leur peau, certains relataient les combats épiques avec les lymphocytes une fois la couche épidermique passée mais je me sentais prêt, fort de mes millions de clones.

Lorsque je sonnai la charge, uni comme un seul brin d’ADN, nous nous élançâmes à la conquête de la membrane de ses cellules : je vis mes semblables décimés par l’acidité de sa sueur, les plus forts nageant jusqu’à fondre, des morceaux de protéine flottant çà et là. Nous n’étions plus qu’une poignée lorsque j’aperçu la première cellule sans défense, je me préparais à ôter mon enveloppe lorsque les monocytes apparurent, gros, d’un blanc immaculé, armés jusqu’aux dents. Ils nous prirent sur le flanc gauche, mes fidèles moi-mêmes se regroupèrent autour de moi pour que je puisse éjecter ma capside et, enfin, infecter cette cellule.

Elle s’offrit à moi, la bataille faisait rage et personne ne remarqua mon intrusion. Une fois à l’intérieur ce fut comme si le temps s’était figé, les sons ne me parvenaient plus que de très loin, c’était si reposant. Je passai en un instant du champ de bataille à l’osmose embryonnaire parfaite. Cette sensation de flotter en apesanteur était magique.

------------------------------------

Je fus quelques temps plus tard, l’heureux papa d’une progéniture virale nombreuse et soudée. Notre propagation chez l’humain se fit avec tant de joie ! Chaque nouvelle cellule saine nous ouvrait ses bras, les défenses immunitaires nous connaissaient à présent et nous acceptaient.

Je suis persuadé qu’un de nos enfants, un jour, connaitra lui aussi cette merveilleuse aventure.

Si je vous relate mon histoire aujourd’hui, c’est dans l’espoir qu’elle puisse servir à d’autres, mes cousins, mes frères, mes semblables, envolez-vous ! Les humains ne sont qu’amour pour nous !