la bataille du Pont du Diloube.

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Tous trois étaient autour du feu de camp, bientôt ils seraient en sûreté, le limes Dominiens n’était plus très loin, encore deux jours de chevauchée tout au plus.

Ugly avait fait une infusion d’aiguilles de sapin qui accompagnerait le fromage, Nicéphore faisait cuire les truites qu’ils avaient pêchées à la nuit tombée dans un torrent tout proche. Avec des amandes, des noisettes, des baies sauvages et quelques racines, ce serait un repas princier.

Yahnick : Duc d'Orange s’en revenait à peine de sa tournée de mise en place des collets et ce n’était pas une petite besogne. Car il avait dû se frayer un chemin entre les rochers acérés, les arbres torturés et les inextricables buissons qui hérissaient le flanc de la montagne.

Durant des semaines, après avoir passé Hérate-La-Rouge, ils avaient progressé prudemment, évitant les villes prenant garde aux hordes. Le jeune Duc se sentait dévoré d’impatience, et si ce n’eut été la crainte d’échouer si près du but, il aurait galopé par la vallée. Mais s’était sans compter les dangers mortels qu’il aurait infailliblement rencontrés.

Le soir venu, comme tous les soirs, les trois cavaliers faisaient halte pour prendre le repos dont ils avaient grand besoin. Comme à chaque fois ils attendirent presque la nuit avant d'allumer leur feu afin que la fumée ne les trahisse pas.

En attendant, ils montaient avec la rapidité de l’habitude la petite yourte qu'ils avaient achetée à la station. Elle disposait d'un foyer central bien pratique par ces nuits glaciales. Après cela ils firent à l’extérieur un autre feu plus grand celui-là.

Yahnick qui était une fine lame profitait de la lumière des flammes pour enseigner à Ugly et Nicéphore le noble art de l’escrime. Plus tard encore, après avoir pansé les chevaux et les mules, alors qu’ils mangeaient leurs truites aux amandes farcies de baies sauvages, Nicéphore prit la parole.

  • La nuit va être longue. Parle-nous encore de cet Honorius, cet empereur que tu dis connaître.
  • Si vous voulez. Où en étions-nous ? Ah oui... Ser s’en revenait lentement de la guerre qu’il faisait dans le Nord, pour soulager les Salamandrins. Ils s’étaient donné rendez-vous sur les bords du Tibre devant Aquilata. Lors d'une entrevue avec son demi-frère Honorius, ils avaient régler le partage des provinces et des légions, puisqu’à l’origine l’Empire devait être coupé en deux. c'était les termes de leur accord avant la bataille du Plateau de la Lune. Mais après son séjour dans les steppes, Ser en était revenu différent, se désintéressant du pouvoir et des honneurs. Il semblait qu’un danger, ou une mystérieuse révélation, réunissaient une fois de plus les deux frères. Quoiqu’il en soit, Ser ne revendiqua pas sa part et il fit même allégeance à Honorius. Par le jeu des traités, les Dominiens vinrent nous prêter main forte pour la reconquête d’une partie du Royaume Salamandrin. C’est là que je fis la connaissance des deux frères. Avec mes Cimmériens, nous avions fait une irruption hardie dans les montagnes du Caurasie à l’est de la chaîne du Kouff. Les Caurasiens qui tenaient la passe prirent la fuite à notre approche, mais ils se regroupèrent avec quatre escadrons de cataphractes de la Horde d’Or de Subarnipal dans le but de harceler notre arrière garde. Mon intrépide compagnon Aymeris, dit tranche têtes, ayant appris qu’ils nous attaquaient ainsi, baissa sa lance et courut, sus à l’ennemi, sans daigner se faire accompagner. La suite de ses exploits n’est point connue de la postérité car on peut dire que ce brave est tout sauf vantard. Après moult combats, il rejoignit notre troupe. Il prit le commandement de l’arrière garde pour tenir la passe ainsi que le seul pont qui enjambe le Diloube, cela devait nous permettre de contre-attaquer avec le bénéfice du terrain. Ce qui avait commencé comme une banale escarmouche ressemblait maintenant à une véritable bataille rangée. La tête de pont était tenue par Aymeris, Thibaut le Teigneux et Arnulf le Rapide, deux autres braves. Pour comprendre le contexte, il faut savoir que le pont s'ouvre sur la vallée de Caurate où s’était rassemblée maintenant toute une armée des Caurasiens appuyée par les escadrons de cataphractaires. Alors, de ces lignes ennemies qui avançaient lentement, l’on vit sortir des rangs vingt-cinq chevaliers de Subarnipal qui se mirent en marche pour monter vers Aymeris, Thibaut, et Arnulf. Leur ambition était de s’emparer de notre position. Ils s'avançaient avec toute la confiance et la morgue que peuvent avoir vingt-cinq hommes allant en attaquer trois seuls. Chacun d'eux se hâtait donc pour devancer les autres afin d'enlever seul les dépouilles. Aymeris, voyant qu’il ne disposait que d’une trentaine de soldats en état de combattre, s’adressa à Arnulf.
  •  Monseigneur, mon ami, allez prestement quérir de nos gens pour garder ce pont ci, prévenez le Duc d'Orange qu’il est ardemment attendu comme un sauveur ou nous sommes perdus, en attendant votre prompt retour je les mettrai à la peine. Mais par Dieu hâtez- vous !

Ce qu’il fit. Les deux chevaliers, s’étaient préparés au combat, leurs visages reflétaient une mâle assurance et l’envie d’en découdre, leurs cœurs étaient raffermis par des années de luttes, leurs coursiers piaffaient, leurs lances de frêne gainées de fer étaient assurées dans leurs mains fermes. Les premiers de leurs ennemis qu'ils voient arriver du bout du chemin, ne savent pas encore qu’ils ont rendez-vous avec leurs aïeux. Tous deux se font moult politesses. Enfin dans un grand rire, on entend Thibaut charger le premier cataphractaire en tête de la troupe ennemie. Il le force sur le champ à rendre son âme de mécréant au créateur. Son corps est jeté à bas et roule dans les abîmes saumâtres du Diloube, d’où oncques n’en pouvait sortir, tant la rivière était grosse de la fonte des neiges. Un même sort attendait le second, son cheval se cabra, étant tombé, il se sauva par sa chute. Ce cavalier donc, je l'appellerai fortuné dans son malheur, car en même temps que son visage heurtait le sol, sa poitrine ne se présenta point à la lance emmanchée de la longue lame effilée prête à le transpercer de part en part. Sa chute inattendue contraria ainsi une mort trop certaine de son œuvre. En conséquence, cette chute fût utile à tous deux, en délivrant l'un d'un nouveau combat et l'autre d'une mort trop certaine. Le troisième s'avança et celui-là aussi, je l'aurai appelé fortuné... si lui-même, désarçonné, eût pareillement à son compère, l'affligé qui gisait encore à terre d'un malheur semblable, sut rester immobile. Mais c'est bien connu, des fléaux qui feront toujours des ravages parmi les hommes, il en est deux de redoutables, la témérité et la bêtise. Et quand la témérité s'allie à la bêtise pour occuper le premier rang, l'intelligence, en retrait est là pour contempler les conséquences. Mais en obtenant l'accomplissement de ses vœux, en se relevant, il fut sans tarder réduit à la même fin que le premier cavalier. Il fut occis plus rudement et plus misérablement dans ce combat même sans avoir porté la main à l’épée. Vingt-deux restaient encore sains et saufs, mais la Parque retenait pour l’instant le fil ténu de leurs jours pourtant prêt à se rompre, du moment où ils étaient sortis des rangs pour aller jouter avec nos deux chevaliers, ce fil avait malheureusement pour eux commencé à s’effilocher. Incontinents ils reprennent confiance et piquent des deux, ils pensent toujours que le nombre fera la différence. Aymeris n’entend pas que son ami soit le seul à s’amuser ainsi, lui aussi baisse sa lance et galope à leurs rencontre.

 Nous autres, à peine arrivés nous les entendons rire et plaisanter. Et il fallait voir cela, tous deux gaillardement chargeant de front contre plus de vingt cavaliers lourdement armés.

 Ils traversent leurs lignes sous les hourras de nos braves, Aymeris en empale deux sur sa lance qui casse. Thibault fidèle à son surnom, voyant que ses assaillants tournent brides, de rage leur lance son kontos qui en laisse un pour le compte, puis s’approche du moribond et lui retire du dos la lance fichée pour continuer le combat. Aymeris quant à lui, une épée dans chaque main, les rênes entre les dents avec force de moulinets tranchait des têtes. Thibault lui aussi cassa sa lance, alors brandissant sa hache d’arme, il cria à son ami :

  •  De toi ou moi savoir qui sera le plus hardi et courageux je ne sais, mais tant que cette hache me durera en la main, je combattrai et si elle me tombe ou se rompt, j’en trouverai une autre, car moi aussi je sais faire voler les têtes.

Chez leurs adversaires c’est la panique, puis la fuite et le fuseau de la parque se relève dans les mains de celle qui le tenait. Bien des fils furent tranchés en moins de temps qu’il n’en faut à une feuille de tomber de l’arbre. Cela fait, comme deux fauves échauffés, ils pourfendirent à l'envi, on vit un cavalier ennemi venir vers nous comme pour se sauver, il est vrai qu'il avait perdu sa tête, et c'était grand miracle qu'il tienne encore dans ses étriers, car leurs coups étaient rudes imparables. Ainsi bien des cavaliers tombèrent et ils virent que sur ce chemin ci ils ne pouvaient que finir dolents ou jetés dans le torrent.

 Bientôt huit ou dix y tombèrent sans en pouvoir remonter car il était comme je l’ai dit profond, limoneux et ses bords étaient si abruptes, si glissants, qu’aucun cheval ne pouvait en remonter.

 Frappés de stupeur par le courage de Thibault et d’Aymeris, plus brillant que ceux de lions furieux de nos montagnes, ils fuyaient, et Thibault et Aymeris les poussèrent d'une course rapide jusqu'à leurs premières lignes, où subjugués, même les archers n’ont pas pensé à décocher une quelconque flèche. Vainqueurs, et s'éloignant alors des rangs ennemis Thibault et Aymeris ne furent pas même arrêtés par les dépouilles que leurs ennemis leurs avaient laissées, ni par les chevaux courant en liberté, ni par leurs beaux caparaçons, ni par les armes répandues de côté et d'autre qui resplendissaient de dorures.

 Ils s’en retournèrent devant le pont comme deux ours prêts à défendre leur tanière.

 Pendant ce temps, il était arrivé beaucoup de monde et une jeunesse ardente de nos Cimmériens qui entreprenaient de fortifier le pont. Nous étions prêts à tenir longtemps, même si nous étions inférieurs en nombre.

 Ce pont était pour nous d’une importance vitale.

 C’est alors que nous entendîmes derrière nous, au loin, six légions, six légions d’Honorius qui venaient nous prêter main forte, nous porter secours.

Honorius n’était point au-dessous de la situation où il se trouvait alors. Durant la bataille du Plateau de la Lune, il avait acquis la réputation d’un vaillant chevalier, d’un habile général, même si ses légionnaires le surnommaient le chétif.

  •  Vaillantes gens que je vois céans, mille mercis pour avoir tenu le pont, je craignais de l’avoir à reprendre, car je suis en retard d’une heure sur mes prévisions. Et qu’un si petit nombre tiennent en échec un si grand nombre tient lieu d’un prodige… si je ne savais que ces braves sont Cimmériens.

 Or tous, mettons-nous sur le champ en bataille, allons les enclouer avant que vos cimmériens, et Salamandrins ne nous laissent qu’os à ronger ! Mais cher Yahnick Duc d'Orange, je vois que je suis votre obligé, aussi dites où voulez que je range mes troupes, mais faites vite, car mon frère marche déjà sur l’arrière garde de nos ennemis.

  •  Votre altesse est trop bonne, et je suis surpris qu’elle connaisse le nom d’un petit Duc tel que moi ?
  •  Je connais les noms de tous les braves, c’est pour cela que je suis Empereur. Mais sans vouloir vous forcer, il est temps de rougir nos armes.
  •  Altesse c’est parler d’or, aussi laissez-nous porter le premier choc, j’aurais trop à rougir si mes hommes n’étaient que spectateurs.

Et c’est ainsi que je rencontrais Honorius et son frère. C’était à la bataille du Pont du Diloube et ce fut une grande victoire qui nous ouvrit la route de l’île sainte de Salam-Al-Hec.

  • Je ne sais pas si je dois te croire Yahnick Duc d'Orange. Dans le cas contraire tu serais le roi des menteurs, répliqua Ugly, mais jusqu'à présent je n’ai eu qu’à me louer de notre rencontre et je t'ai vu faire tant de prodiges, que tu serais le roi des menteurs, doublé de celui des vantards, que je serai toujours ton obligé.
  • C’est parler pour deux. Ajouta Nicéphore. Je prends la première garde, couchez-vous pendant que je remet du bois dans le feu et que je couvre les chevaux, il va faire bien froid cette nuit les étoiles scintillent. Oui on voit bien les étoiles, Astarté nous illumine de tous ses feux et au firmament on peut compter les anneaux de lune Major. Je sens que sous la tente le feu, et les peaux de rennes ne seront pas de trop.

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