Trois couteaux plantés dans la poitrine

4 minutes de lecture

Le réveil de Harry avait sonné à sept heures, mais fatigué de se longue nuit perturbée par ses cauchemars habituels, il s'était rendormi. C'est lorsqu'il décrocha le téléphone à huit heures quarente-cinq qu'il se mit en route pour une nouvelle affaire, dans le quartier de Brooklyn. Comme d'habitude, il s'arrêta momentanément au Phillies pour commander un café crème à emporter, et se rendit dans le vieil appartement qui surplombait le grand parc vidé par le froid de l'automne. Sur place, il salua rapidement ses collègues et avant d'inspecter les différents indices. Il termine toujours son exploration des lieux par l'observation du corps, et ne fut pas déçu lorsqu'il découvrit celui de Jane, la belle rousse du café, étendu sur la table de sa cuisine, trois couteaux plantés dans la poitrine. Intrigué par ce face à face macabre, il mit quelques minutes à se ressaisir et se repassa les différents éléments de l'enquête. Âgée de trente-quatre ans à peine, elle était dans son appartement lorsqu'elle fut à priori attachée par les poignets, sans se débattre, puis placée avec son consentement sur la table. L'absence de trace de lutte était évidente ; si le cadavre était absent, on aurait été face à une cuisine banale, bien qu'assez riche et équipée pour ne pas appartenir à n'importe qui. Nue, elle avait sur le corps plusieurs traces de coups dessinés sous la forme de bleus, mais selon les équipes scientifiques ils dataient de plusieurs jours avant son décès. Ses cheveux, reposés le long du meuble, n'étaient plus aussi bien coiffés que la veille et supposaient un effort physique, confirmé par la rigidité de ses muscles post-mortem. Les yeux fermés, la bouche ouverte, elle semblait dormir paisiblement d'un sommeil tendre et gracieux, de ceux que Harry ne pouvaient que lui envier. Le criminel n'était pas entré par effraction et connaissait probablement la victime. Mais pas assez pour savoir où étaient rangés les couteaux ayant servis comme arme du crime, puisque, sûrement pressé par la situation, il avait ouvert tous les placards et tiroirs de la cuisine. Les voisins, déjà interrogés en grande partie, n'avaient témoigné d'aucun bruit suspect. Avait-on empêché Jane de crier, ou bien était-elle assez rassurée par son meurtrier pour ne pas se rendre compte de l'insécurité des circonstances ? La sang rouge vif avait coulé des plaies le long de la table, des blessures jusqu'au sol carrelé en roulant le long des pieds. Il avait constitué de fines rigoles le long des joints de carrelage, mais la pièce était assez grande pour qu'il n'atteigne pas les murs. Harry relisait ses notes en scrutant la scène, pour ne pas en oublier le moindre détail. Il savait que cette enquête ferait la une de plusieurs journaux, il ne devait pas rater son coup. Il partit à la recherche d'indices, déterminé à en apprendre plus sur cette femme, aussi belle et mystérieuse que morte. L'appartement n'était pas particulièrement décoré, hormis un cadre accroché au dessus du canapé en cuir. Dans le couloir jonchaient des vêtements féminins, dont la robe rouge qu'elle portait au café la veille. Harry tenta de se remémorer l'homme qui lui tenait compagnie avant son départ, mais ses souvenirs étaient flous, déformés par le manque de sommeil et l'inattention qu'il lui avait porté. S'il relatait en effet le port d'un chapeau, il lui semblait qu'il portait un costume plutôt commun. Il n'avait rien de particulier, comme s'il avait voulu ressembler à tout le monde et à personne à la fois. Evidemment, il constituait pour Harry un suspect majeur dans cet homicide. Cependant, il devait rester sur ses gardes et n'omettre aucun élément qui aurait pu suggérer d'autre piste. L'habitat semblait refait à neuf, et tout juste aménagé. La femme vivait seule, célibataire, et avait pris cet appartement le lendemain de sa visite, six mois et quatre jours auparavant. Originaire du Canada, elle avait apparemment peu d'amis, et était serveuse dans un café du quartier. Si ses collègues n'avaient pas encore été interrogés, Harry se doutait déjà des réponses, tant elle lui ressemblait ; ils la décriraient comme discrète, polie, se fondant dans la masse, et personne n'aurait d'anecdote particulière à raconter sur elle. Sa famille avait été prévenue mais n'avait laissé paraître aucun signe de tristesse ou de quelque autre émotion, et n'avait pas commenté l'acte affreux. Le loyer de Brooklyn était cher par ces temps là et un salaire de serveuse n'aurait jamais suffit à louer un tel appartement. Aussi, elle n'avait certainement pas hérité de l'argent compte tenu de la distance frappante entre elle et ses proches, et on ne lui connaissait aucun autre métier. Si celui de travailleuse du sexe était apparu dans l'esprit de l'enquêteur, il ne pouvait cependant le prouver, puisqu'aucun argent liquide ou autre trace de cette activité n'avait été retrouvé chez elle. Elle possédait un grand nombre de livres, demandant une certaine présence d'esprit. Certains traitaient de sujets scientifiques, d'autres philosophiques, mais tous traitaient de sujets précis. Elle appréciait également la poésie, ayant un goût particulier pour Brontë, Caroll et Shakespeare. En quittant l'appartement, Harry regarda une dernière fois le visage pâle de la femme, ses cheveux perdus dans sa courte existence, et franchit le pallier. Il rentra chez lui, s'assit sur son canapé inconfortable, repensa brièvement à son enfance atypique et poursuivit sa journée comme il aurait traversé n'importe quelle autre.

Pourtant, Jane hantait maintenant son esprit. Il était obsédé par sa disparition, par sa personnalité brillante et sauvage, et les secrets que renfermaient sa mort. Il voyait son visage inanimé dans chacune des actions qu'il entreprenait, envahi par le besoin de résoudre l'énigme.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Ubrumes ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0