Rendez-vous

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La sonnerie vint interrompre ses prières. Il se releva et regagna son bureau pour l’attendre. Elisabeth ne tarda pas à frapper à la porte. Il alla lui ouvrir et referma soigneusement la porte derrière elle. Il fut même tenté, par un pas si incompréhensible sentiment de propriété, de donner un tour de clé afin d’éviter d’être dérangé. Elle se tenait là, souriante, et la pièce si sombre d’ordinaire, ne lui avait jamais paru plus lumineuse…

« Bien, mon père, je vous écoute en quoi puis-je vous aider ?

- Asseyez-vous… Je n’ai pas demandé à vous parler pour une quelconque aide… je sais que vous vous proposez volontiers… mais non. Je voulais vous parler de vos absences en cours : nous n’avons plus entendu le son de votre voix depuis plusieurs semaines.

- C’est que je n’ai rien à dire.

- Comme c’est curieux… les sujets dont nous traitons n’ont pas l’heur de vous plaire ?

- Oh mais non, ce n’est pas ça ; j’ai juste… autre chose en tête.

- Quelque chose de grave ? Ou de très léger peut-être ?

- Pardonnez ma distraction, j’en suis confuse, j’essaierai d’être plus attentive.

- Oh mais vous êtes très attentive, au contraire ! Hélas, pas de manière… appropriée.

- Je ne vous suis plus, mon Père... répliqua-t-elle en baissant les yeux

- Je crois qui si. Soit, sous imaginez quelqu’un d’autre à ma place, et je vous demanderai de rêver ailleurs ; soit, vos regards appuyés me sont bien destinés auquel cas... il vous faut cesser sans délai.

- ...

- Enfin, Elisabeth, oubliez-vous donc ma position ? Ce que je suis ?

- Je ne peux pas m’en empêcher… » répondit-elle en relevant les yeux et en plongeant son regard dans le sien « vous êtes extrêmement désirable ».

Une telle franchise lui ôta pour un cours instant la parole. Il en oublia le vouvoiement.

« Qu’est-ce que tu dis ?

- Que je vous désire. Que chaque fois que je vous vois parler, ce ne sont pas vos paroles que j’entends mais vos lèvres que je contemple : j’en imagine la douceur sous mes doigts, le goût sur mes lèvres… et je ne m’en excuse pas car je n’en suis nullement responsable.

- Tu vas dire que c’est ma faute… que je te séduis peut-être… as-tu perdu l’esprit ?

- Non, vous n’êtes pas plus coupable que moi, c’est arrivé, c’est tout. Je ne vous reproche rien.

- Ça ne peut pas durer !

- Je ne demande rien, n’en parle à personne. Laissez-moi donc.

- Mais moi, je le sais ! Et il faut que cela s’arrête, m’entendez-vous ? C’est proprement scandaleux que vous soyez là à…

- A vous dévorer du regard ? Ou à m’inventer d’autres choses encore ? J’ai à ce propos une imagination débordante !

- Tu te fous… »

Déjà, elle avait réalisé la trivialité de ses paroles.

« Pardonnez la teneur de mes paroles. Je ne suis pas coutumière d’un tel langage. Je vous prie de m’en excuser.

- Vous avez donc encore un semblant d’éducation et de retenue, je commençais à en douter ».

C’est elle qui cette fois rougit sous l’insulte.

« Me prendriez-vous pour Marie Madeleine ? Qui pour certains théologiens, je vous le rappelle, serait l’épouse du Christ ?

- Laisse-Le en dehors de ça…

- Vous m’aviez posé une question et j’y ai répondu, bien trop crûment mais avec franchise. Restons-en là.

- Vous vous engagez donc…

- A rien du tout. Changez-moi donc de groupe si vous ne pouvez le supporter. Je ne peux rien y faire. Je ne suis pas maîtresse de mon… de mes désirs se dit-elle pour elle-même.

- Alors cette discussion n’est pas terminée. J’exige…

- Vous exigez…

- Une attitude irréprochable afin que tout ceci s’arrête et que… »

Elle ne l’écoutait plus. Ces mots ne voulaient rien dire. Elle se sentit rougir de plus belle en contemplant de nouveau ses yeux, ses lèvres, et ses mains qui s’agitaient tentant de la convaincre. Son cœur battait de plus en plus fort, il devait l’entendre, non ? Ses mains devenaient moites et elle déglutit doucement, toute chavirée de désir. Sa bouche s’entrouvrit et elle mordilla inconsciemment sa lèvre inférieure.

Brusquement, il la saisit par l’épaule.

« Vous n’avez pas écouté un traitre mot, pas vrai ?

- Non. Je n’en ai pas envie.

- On tourne en rond là. Que voulez-vous enfin ?

- Embrassez-moi, s’il vous plait

- Pardon ? Il la lâcha en s’éloignant d’elle.

- C’est vous qui avez demandé.

- Ce n’est pas possible, vous le savez parfaitement !

- Rien qu’un tout petit baiser, et j’essaierai d’être sage.

- C’est du chantage

- Non. Le chantage est une menace. Je peux m’en aller, là, tout de suite. Ne rien promettre. Et continuer de rêver en paix sans rien dire à qui que ce soit, je le jure.

- C’est impossible. Vous allez arrêter ce jeu stupide et redevenir la jeune fille…

- J’aimerai que ce soit un jeu ! réplica-t-elle acerbe.Par le ciel, croyez-vous que ça me plaise, à moi, d’être obnubilée par quelqu’un de totalement inaccessible ? De ne pas arriver à m’intéresser à un autre garçon, de mon âge ? De les trouver tous si sots, si incroyablement immatures ? Tellement… Si peu… elle murmurait maintenant.

- Elisabeth… reprit-il plus doucement : vous vous êtes forgée une... image de moi, mais on ne se connait pas, pas vraiment. Je suis plus âgé que ces ados, c’est tout. Vous vous êtes juste imaginé un homme idéal et vous lui avez donné mes traits. Réfléchissez-y... vous verrez que j’ai raison... S’il vous plait !

- Et que me donnez-vous en échange ?

- Ma gratitude.

- Qui se manifeste ?

- Par une place dans mon groupe.

- Gardez-la. J’irai voir le père Mathieu, il fera le nécessaire pour le changement, comme ça, vous serez tranquille. J’espère que vous êtes satisfait ».

Elle se retourna blessée dans son orgueil. « Je ne suis pas une stupide groupie devant le leadeur d’un groupe de rock » songeait-elle rageuse, elle se sentait rabaissée. Du regard elle chercha sa besace et, l’ayant aperçue le long du bureau, elle s’y dirigea pour s’en emparer avec un geste rageur. Mais avant qu’elle ne l’attrape, il la prit par l’épaule. Elle se tourna vers lui, et ils se regardèrent un moment, face à face, sans un mot. Elle était en colère, et lui, paraissait si calme, si maître de lui. Puis, la regardant dans les yeux, il dit à regret :

« Ne soyez pas fâchée, on s’entendait bien, non ? Vous ne croyez pas que c‘est un peu exagéré ?

- Lâchez-moi ; vous avez ce que vous vouliez, pas vrai, alors je m’en vais. Bonne... journée je suppose ».

Elle se dégagea d’un mouvement d’épaules et sortit en claquant la porte.

« Voilà, » pensa-t-il soulagé : « ferme et détaché ». Alors pourquoi cette envie folle de lui courir après et de lui donner ce baiser ?

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