CHAPITRE XIX - PARTIE II

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Un tonnerre d'applaudissements retentit, même des sifflements se glissent dans cet accueil plutôt enthousiaste. Il me faut très peu de temps pour reconnaître cette voix qui m'est familière: Greg Dorne le présentateur télévisé du journal national de Koram. C'est une surprise, je ne m'attendais pas à devoir le rencontrer dans de telles circonstances surtout que c'est un personnage iconique dans notre communauté. Je dois avouer que sa présence m'impressionne, essayant de ne pas perdre pied sur l'estrade, je m'immobilise.

  • Approchez-vous, approchez-vous ! Que nous puissions mieux vous voir, ma chère et ose-je dire ma tendre Andorra, que nos invités puissent convenablement vous parcourir de leurs yeux, me dit-il d'une voix suave tout en capturant ma main. Quelques mots à partager avec nous ?

Cela fait si longtemps que je ne suis pas monté sur scène, que l'absence de traque est surprenante. S'exprimer devant un public est une histoire dont la trame est bien différente à la danse. J'ai naturellement toujours laissé mes mouvements parler pour moi. Je déglutis et cesse de trop réfléchir, mon estomac noué, je me jette dans le bassin aux profondeurs inconnues:

  • Bonsoir, où pourrai-je être mieux que parmi vous, ce soir ? L'honneur est sans conteste intégral. Vous ne regretterez sûrement pas de m'avoir connu, car je vous promets une merveilleuse soirée, en ma délicate compagnie, mesdames et monsieur, émis-je, de manière la plus douce et agréable.

Malgré mon vulgaire statut d'animal de foire et les raisons malsaines de ma présence, je ne peux paraître ni froide ni méchante. La première partie de la soirée se déroule sans désagrément. Mon entraîneuse toute frivole au dessein de cette occasion me traîne un peu partout avec elle, dans cette cascade trépignant de monde, déferlant sans arrêt sur nous. Il ne survient peu ou presque pas de répit, je n'ai jamais eu autant de discussions, en une période aussi restreinte. Lolita prend un plaisir fou à me présenter à de soi-disant amies ou connaissances.

Elle me reproche, toutefois, de ne pas être assez souriante ou pimpante devant nos convives. Je fais abstraction de ma réticence, de peur de paraître trop distante. C'est un effort considérable pour moi d'avoir l'air aimable. Je prends presque exemple sur la RAD qui nous suit, sans un mot, depuis le début de notre aventure, exécutant les ordres de sa maîtresse, parfois affolés par les demandes farfelues de nos intervenants.

Je suis rassurée de remarquer que la plupart des gens semblent être ravis de discuter avec moi, tous n'abordent pas des sujets stimulant l'intérêt, étonnement, cela ne me dérange pas . Une sorte d'échappatoire aux vues de mes prochains jours hautement hargneux. Aucune question ne porte sur The Tower...

Lors de la soirée, je n'ai pas eu la chance d'apercevoir l'once de la peau d'un autre joueur. Le repas se déroule dans un immense bâtiment, à plusieurs étages, et tout est calculé pour qu'aucun de nous ne puisse se fréquenter avant le plat principal. Je ne comprends pas totalement le but de cette manoeuvre, mais peu importe.

L'architecture est spectaculaire, je n'ai jamais vu pareille composition, particulièrement éblouissante à mon sens. Les teints et les tons varient selon les pièces m'étourdissant sans frontière, la réalité ne tient que sur bout de l'un de mes doigts. Les illusions optiques se succèdent, un monde parallèle s'étend devant nous, décrivant un univers magique, absurde et concrètement indéfinissable. Les nuages et traînées de paillettes galopent au-dessus de nous, le ciel s'applique à conserver l'éclat pétillant de ses étoiles lorsque je lève les yeux. Un couple prend un portrait sur des chevaux blancs et quand je tourne la tête de l'autre côté, une troupe sirote un cocktail dans une coupe infinie. Rien ne se ressemble ou ne s'assemble. Des oiseaux exotiques volent autour de nous, propageant un parfum divin, mon entraineuse m'invite à danser entre eux.

« Mes chers amis je vous demande toute votre attention, appelle une voix amplifiée.

Tout le monde se rend vers les balcons pour apercevoir Greg sur l'estrade, une nouvelle tenue de couleur émeraude sur le dos.

  • Il est temps de passer à mon second moment préféré de la soirée ! Le plat principal ! Je vous prierai donc de chacun vous asseoir, là ou nos assistants vous mèneront. Je vous souhaite un excellent repas mes chers amis. »

Ma place attribuée, je m'assieds sans que mes voisins ne soient déjà arrivés. Peu de temps après, un jeune homme, plutôt élégant, mais détonnant une austérité écrasante, en chemise et pantalon crème, prend la chaise à ma gauche. Sa carrure imposante ne lui permet de passer inaperçu. Je prête véritablement attention à lui que lorsqu'il entame une dispute avec un serveur lui informant cette chaise comme n'étant pas la sienne. La voix hautaine et emplit de colère, ce dernier l'insulte sans détour le malheureux, il lui demande, je reporte « de se mêler de son troue du cul », assez poétique. Vexée et visiblement gênée le serveur déguerpit avec son invité le plus vite possible sans se battre davantage pour son du. Les yeux rivés sur cet échange, sans omettre la moindre remarque, il arrive tout de même à entamer une altercation improbable avec moi.

« Un problème mademoiselle ? questionne-t-il avec agressivité en me fixant.

L'oeil gauche du jeune homme ébène est entièrement blanc alors que le droit est de teinte noisette, très claire. Je n'avais point remarqué ce détail, du moins plutôt charmant, avant. Aucun besoin de répliquer, je ne veux nullement attirer les mauvais regards sur ma personne, autant ne pas donner une image erronée à ce genre d'événement. Je décide de me taire, à contrecœur, et fixe mon assiette.

  • Je ne m'attendais pas à mieux de votre part, rétorque-t-il. »

J'inspire profondément pour ne pas perdre mon calme contre cette hostilité étonnante, mes mains se crispent inexorablement. Heureusement, celui-ci ne rajoute rien de plus et gratte sa faible chevelure crépue blanche. Il sort ensuite de sa poche une paire de fils noir, rattaché à un arc avec au bout deux grands ronds, les portant à ses oreilles. À quoi peut bien servir cette machine ?

Le reste des assiettes s'enchaine dans l'accalmie. Les mets sont divins, je n'ai jamais goûté ce genre de saveurs. Il ne manque de rien, je juge presque cela de surabondance. Comment pourrait-on manger autant en une soirée ? Esquivant, les innombrables questions qui me viennent à l'esprit, lors du repas, je perçois les dandinement de la tête et chantonnement de mon voisin. Cet air ne me dit rien.

Le jeune homme n'a nullement l'air d'être dérangé par la présence des autres invités, car il commence carrément à chanter à tue-tête ne considérant le poids des critiques. Sa voix me surprend, en se distinguant parmi les autres. Je ne sais pas si ce n'est que moi, mais son timbre est plutôt agréable à écouter, le temps d'un court instant, je m'attarde sur sa prestation. Il ne remarque pas l'intérêt que je lui porte et ferme les paupières, focalisé sur sa mélodie. Rien ne semble perturber la bulle de ce particulier personnage. La fin de sa musique déclarée, le jeune rouvre les yeux me découvrant à nouveau rivés sur lui.

  • Je suis aussi intéressant que ça ou c'est juste que je te pose vraiment un problème ? demande-t-il cette fois de manière plus courtoise, si on veut.

Mal à l'aise, je me redresse sur mon siège et détourne le regard avant de répondre quoi que se soit. Tout d'un coup, la timidité m'interpelle, qu'est-ce cette réaction inappropriée à mon caractère ?

  • J'apprécie juste votre voix. Est-ce un crime ? J'avoue.
  • Si aimer est un crime alors nous en sommes tous les témoins ainsi que les plus grands coupables.

Sa réponse m'engorge de perplexité, cet individu m'intrigue.

  • Vous êtes ?
  • Konnor, ravie de vous rencontrer Andorra.

Bien sûr, il connaît mon nom. Ce n'est pas étonnant. En revanche, son regard lui l'est. Son agressivité a disparu pour faire place à une sorte de charme indéniable. Ses yeux sont impressionnants, je n'ai jamais confronté une intensité aussi captivante. Ne diffusant cette profonde déstabilisation, je lui tends la main en guise de salutation. Il me fixe sans perdre la malice qui anime le battement de ses cils.

  • Je suis ravie d'apprendre que ma voix plaît à une joueuse. On aura d'ailleurs l'occasion de peu-être se revoir après les jeux. Faut-il encore que vous puissiez survivre dans la tour d'ici là. À mon grand regret, vos chances sont quasi inexistantes.

Je ne discerne pas trop dans quelles autres circonstances je pourrai à nouveau rencontrer ce jeune homme ? Et pourquoi, tergiverse-t-il entre sympathies et l'animosité.

  • Vous ne me connaissez pas, je tranche bouillonnante.
  • C'est ce que vous croyez, mais c'est loin d'être la réalité. Sur quoi vous basez-vous pour assurer que ce qui nous entoure n'est pas qu'une illusion ? Rien. Vous n'avez aucune preuve concrète.

Aucune réponse ne m'atteint et je doute que l'envie m'irradie. Une cloche sonne. C'est le changement de place pour le désert. Cela tombe à pique en ce qui me concerne.

On commençait tout juste à s'amuser, c'est fort dommage, conclu-t-il satisfait de l'effet escompté à mon sujet.

Celui-ci se lève et m'adresse un dernier large sourire dédaigneux me laissant baigner dans une multitude de questions.

Le désert se passe de manière beaucoup plus paisible. C'est un couple de la cinquantaine qui me sert de voisins et ils ne s'acharnent sur moi que pour savoir quelle pièce du gâteux me plaît le plus. Cela aurait pu être beaucoup plus pire, heureusement on ne m'a pas imposé un second Konnor.

Tout au long de la soirée, j'ai pu éviter mes adversaires. Seulement, il s'est avéré qu'à la fin du repas, juste avant que l'on nous emmène vers les places pour pouvoir assister au clou du spectacle, une main s'est emparée de moi avec férocité. Avant de pouvoir riposter, je découvre qui me veut et mon rythme cardiaque s'éclipse l'espace d'une seconde au vide. Nous perdant dans la foule, je suis ses pas sans me poser de questions.

Immobile derrière des colonnes, nous faisons de notre mieux pour ne pas être aperçus des regards indiscrets. Et il y en a beaucoup, particulièrement ce soir. Je dois en terminer au plus vite avec cette discussion. Mais je ne peux cacher ma déstabilisation perçante.

  • Je... Je peux savoir ce que tu veux ? je demande d'emblée, sentant la panique m'emballer peu à peu.
  • Tu devrais, au moins, en avoir une petite idée, je présume.

Des sensations étranges se heurtent à moi, cela fait si longtemps que nos yeux ne s'étaient entrelacés, nos corps non loin l'un de l'autre.

  • Je ne pense pas que ce soit le moment de discuter de quoi ce soit... avertis-je.
  • Tu préfères en parler quand on sera dans l'arène en train de s'entretuer ? Crache mon interlocuteur en serrant les poings.

Serait-il prêt à en venir aux mains ?

  • Qu'est-ce que tu veux Jayce ? Je répète.

Suite à ma tentative de meurtre le visant en prison, je n'avais pas du tout prévu de le revoir de si tôt. Son nom prononcé aux sélections ont infiniment alterné les optiques de ce jeu, déjà considérablement difficile. Un poids supplémentaire me poussant à atteindre le fond.

  • Tu sais probablement que je ne laisserai personne toucher à ma soeur. Seulement, il y a toi, et je me sens incapable d'imaginer devoir te faire du mal, avoue le brun.
  • Tu devrais pourtant, j'ai essayé de tuer, ça devrait te faciliter la tâche.
  • Andorra c'est quoi ton problème, sérieusement ? Je savais que le jeu t'obsédait, mais pas au point de vouloir m'ôter la vie, pour atteindre la section deux. Te serais-tu mis à ma place une seconde ? Je pense que ça ne t'a pas traversé la tête, vu ton incroyable égoïsme.
  • Mais que souhaites-tu entendre dorénavant ? Hein ? C'est trop tard, le mal est déjà fait et pour tout te dire je ne regrette rien, je prétends.

Faux, complètement faux.

  • Tu veux que je te promette de ne pas te confronter ? Je reprends pour en conclure rapidement. Tu crois que moi aussi je m'impatiente à l'idée inévitable de devoir vous tuer ? Eh bien non, je pensais que...
  • Laisse-moi deviner. Que les autres s'en chargeraient ? C'est ça ! Tu sais quoi, moi tel un con, j'espérais que tu n'oserais le dire. Mais qu'est-ce l'espoir face à la réalité ? Je ne trouve pas les mots pour nous deux...

Mon coeur s'affole. Je dois me contenir pour ne pas changer d'avis sur la question. Une alliance ? Impossible, Jade ne serait jamais d'accord et ça ne résoudrait aucunement l'impasse de la fin. J'inspire profondément et m'asperge d'un calme olympien. Une attitude implacable, limpide et claire est mon unique choix. C'est le moins que je puisse faire pour lui. Il n'aurait pas à peser le pour ou le contre.

  • Désolé Jayce, je ne changerai ni maintenant ni jamais. Tu ne devrais pas t'attacher à l'image que tu gardes de moi. Ce n'est qu'une pauvre illusion. Si l'occasion se présente, je n'hésiterai pas à vous tuer, ta soeur et toi.

Son regard alterne de la mélancolie à l'incompréhension de la colère au dégoût. Il proclame sans retour:

  • C'est bien digne de toi.

Il cavale loin de moi sans posséder la force de me parcourir mes iris une dernière fois. Une millième pique s'enfonce en l'organe battant la vie en mon torse. S'il savait à quel point, je regrette la moindre de paroles et de mes injures. Si seulement, il voyait ce qui se cache sous l'essence de mes mots. Il ne le saura jamais. Je pense avoir définitivement signé la fin de notre histoire.

La fin de la soirée passe en un claquement de doigts. Engloutis dans un mur de brume, mes sens sont évanouis. La douleur est lancinante, contaminant l'ombre de mes songes. Absente, dès que la dernière cloche sonne je m'éclipse vers mes appartements, disant rapidement au revoir à Lolita et April.

Quand je pose enfin ma tête sur l'oreiller, je réalise que c'est peut-être la dernière dois que je dors sur un lit. Cette simple pensée endurcit tout le reste de mes émotions bouleversées. Une larme minuscule s'échappe à mon insu. Celle-ci est impossible à retenir. Ses contours sont amers et conséquents. Demain sera le levé d'une aube nouvelle dans mon existence.

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