CHAPITRE X - PARTIE I

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Elle me consume sans contenue, sa fourberie est immense. Son influence est totale sur moi. Je ne m'étais jamais imaginé que la vengeance étayerait ma rage avec autant de virtuosité. Son leste est sans merci, son pouvoir intarissable, je me suis mépris d'elle au départ. Ensuite, mes iris ont rencontré les siennes sans que je ne puisse m'y absoudre. Je me perds dans ses lignes sans que je puisse voir les pages d'une autre histoire. Il n'y a plus qu'elle et moi.

J-6 avant l'envolée de l'espoir noir.

Le décompte se rétrécit, il ne me reste plus que 6 jours. 22:08. Il m'a fallu quelques jours pour me procurer ce bijou. Les obstacles présents dans la prison ne m'ont pas aidé à fabriquer mon arme. Néanmoins, aujourd'hui, j'ai un couteau entre les mains. La pièce est vide et glaciale, les températures instables commencent vraiment à me fatiguer. Ils ont bien choisi où ériger les murs d'Elario. Dans une contrée sans intérêt économique, là où les saisons ne peuvent se faire un nom. Les jours se décortiquent avec une lucidité sans pareil, le temps s'écoule d'une atroce lenteur.

Dernière ligne droite. Je ne peux compter que sur moi-même, personne ne pourra m'arrêter, car la détermination que je me suis forgée à atteindre mon but dépasse l'entendement. Je tripote la lame entre mes mains. Je vais faire un malheur. Néanmoins, la nervosité ne peut s'empêcher de se faufiler dans le sac de courage que j'ai amassé et préparé. Elle virevolte avec la précaution d'un papillon à l'intérieur de mon ventre.

Je me sens invincible, or de portée du monde entier, animée par une force écrasante. Mon cœur est même sur le point d'exploser. Mon corps est habité par une âme sauvage, disons qu'un animal enragé guide mes faits et gestes, il sera incapable de se remettre d'une défaite. Enfin, la frénésie qui sommeille dans mes entrailles s'épandra. Ma vraie nature ne va tarder à se donner en spectacle.

Mes pas déterminés et mes cheveux de jais se balancent dans les airs à un rythme endiablé. Arrivée aux portes de la cantine, je me plante à l'entrée, personne ne prête attention à ma personne, jusqu'à qu'une prisonnière se détourne vers moi. D'abord, elle plisse les paupières pour mieux m'ausculter. Surprise, la détenue écarquille ses yeux globuleux quand elle remarque qu'au bout de mon bras se constitue une arme. Elle secoue la tête machinalement se convaincant d'un simple malentendu entre son imagination et sa vision. Comprenant n'avoir pas du tout rêvé, la femme me crie :

« Non, mais ça ne va pas ! Tu penses faire quoi avec cette chose, hein ? »

Je ne prends garde à ses paroles futiles. J'écrase la lame dans ma main pour m'assurer que celle-ci est toujours collée contre le creux de ma paume. Mes muscles se tendent quand je me dirige vers ma victime. Mon regard est rivé sur cette dernière.

Sur mon chemin, tous les détenus se retournent, à la fois subjugués et émerveillés par l'invraisemblable audace dont je fais preuve. Aucun d'eux ne s'attendait à voir une folle d'une telle trempe, n'arpente la cantine accompagnée d'une arme blanche en se levant aujourd'hui. Sondant leurs esprits embrouillés, je ressens l'incompréhension totale qui règne dans l'atmosphère. Cependant, je sais pertinemment que personne ne contestera cette pointe d'animation à moins qu'il se sente visé.

Ma proie ingère tranquillement sa nourriture et n'a voulu imiter l'attitude adoptée des autres prisonniers d'Elario qui baigne dans une complète sidération. Une démonstration de son indépendance. Sans détour, je me jette sur elle. Mes griffes pétrissent sa gorge, décidée à ne pas la laisser s'échapper de mon emprise. Son plateau-repas s'effondre sur le sol. Tout le monde s'écarte pour faire place au spectacle. Je lui lance un coup de pied dans le ventre pour la déstabilisée, son regard est vide de sens, elle semble désemparé.

Il est clair qu'elle ne sait comment réagir face à mon attaque. Il faut dire que je ne fais pas très bonne figure, je m'évertue à peine à manier mon arme correctement. Malgré toute l'agressivité placée dans mes coups et mes poings, le martyr de mes folies s'empare de mes bras et réussit à me plaquer contre le sol.

Bientôt, dans probablement deux minutes, les gardes seront là pour arrêter cette soudaine augmentation d'adrénaline. Aimantée à terre, je n'ai plus aucun moyen de m'extraire, car la force de mon adversaire est bien plus considérable. Comparé à lui, je suis une minuscule crevette. Un tas d'os, pas très habile de ses mains. Mais cela, je n'ai omis d'y penser en préparant mon plan. En califourchon sur moi, complètement essoufflé et scandalisé, il halète en hachurant sa phrase.

« Mais qu'est-ce...que...qui te prend, bon sang ?! Crache Jayce.

Les traits de son visage sont prononcés par une inquiétude tranchée par la haine. Tout à fait compréhensible, je n'incarne décidément pas la crème des fréquentations.

  • Il le fallait, murmuré-je.

Jayce ne paraît avaler ou admettre les contours de mes paroles. Mais sa mine se transforme. Et j'assimile instantanément en quoi son expression me liquéfie. Il a perdu espoir pour moi. C'est la fin de son combat, pour toujours ?

Il secoue la tête déroutée, mais aussi dégoûtée par mes actions.

  • Alors c'est comme ça que ça va se finir ?
  • Probablement, la vie est injuste, tu dois sûrement déjà le savoir.

Son abandon est proche, il ne connaît même plus les raisons de sa résistance. D'un bon, je me retrouve cette fois-ci en position de force en pointant mon arme sur lui à nouveau. C'est le vide, le blanc total, les questions ont absolument cessé de germer dans mon esprit. Quand ai-je décidé de les absoudre ?

Le brun sait et n'a besoin d'explications pour la suite. Il a suffi d'un seul regard pour que nos promesses s'évanouissent. Jayce a l'air, désormais, enclin à admettre que nous ne pourrons nous voir évoluer sur la voie bénite de l'harmonie. Nous deux, ça ne fonctionnera pas, non jamais. Dans un monde méconnaissable, dans le flot d'une vie différente, nos âmes auraient peut-être pris un tournant distinct, établi un meilleur dénouement. Mais aujourd'hui, c'est le déclin dramatique pour lui et moi.

C'est à cet instant que je réalise être parvenu au point de non-retour. Dorénavant, je ne peux plus m'octroyer l'opportunité de faire machine arrière, renoncer et choisir une solution plus sage. Faut-il déjà que cette dernière existe. J'aurais tout à fait pu attendre quatre ans et demi de plus et me reconstruire une nouvelle vie sur des bases plus saines. Rencontrer l'amour, avoir une nouvelle famille, vieillir pour mieux mourir, vous connaissez par coeur cette histoire à mon avis.

Seulement, ceci ne se livre qu'aux lois de l'illusion pure et dure. Je ne suis ni sage ni patiente. Continuer à vivre ? J'ai rendu mon dernier souffle lors de la mort de mon fils. L'éventualité d'une quelconque paix ne respire plus en moi, tout ce qui compte à présent est la vengeance.

Ils seront bientôt là, ils ne devraient plus tarder à se pointer. Je prends une grande inspiration. Ce moment de flottement que m'offre Jayce est une chance de bouleverser la situation à ma guise, je le pousse avec mes jambes et le jeune homme s'étale sur le dos. Je me relève et élève ma lame vers le ciel m'apprêtant à la planter, en plein dans le coeur du jumeau de Jade. Une mort sans peine, rapide et claire. C'est ce qui est prévu.

Une secousse ébranle toute la cantine, quinze ? Vingt ? Il ne sert à rien de les compter. Les gardes déferlent un par un sur moi. Subitement, une énorme pression s'acharne sur mes deux bras. Apaisé par leur arrivée, je m'abandonne à mon sort. Il leur en aura fallu du temps.

Je souris et survient cet iris bleu claquant et cet iris brun sinistre pour la dernière fois. Il ne me le pardonnera pas. Pourtant en me voyant plisser les lèvres légèrement vers le haut, celle de Jayce ne tarde à reproduire ce mouvement similaire. Il ne cessera définitivement jamais de sourire pour moi.

Deux hommes m'enchaînent de la tête aux pieds tel un vulgaire rôti, les gardes m'encerclent et l'un d'eux colle son gant à ma bouche et mes poumons absorbe un affreux goût de pourrie. Je n'ai une seconde pour battre des cils que le noir m'envahit de par ses lugubres ténèbres.

« Le temps s'est arrêté de martyriser mon être. Une fumée blanche entrave ma vision, elle perce l'obscurité qui brûle mes yeux. Je suis debout, figée. Mais il ne s'écoule que quelques secondes avant qu'un tourbillon ne m'emporte. Le tournis s'installe et les nausées remontent dans ma gorge.

Elles volent autour de moi, fredonnent et dansent dans leur ronde. Les colombes s'enroulent entre les mèches noires de mes cheveux. Je ne sais pas si celle-ci m'apprécie réellement compte tenu de leur comportement déchanter. Sont-elles là pour me tourmenter ? M'aider ? Les messagers de la paix se moquent-ils de moi ? Les oiseaux regardent leurs plumes tomber. Je cligne des yeux.

Me revoilà dans la forêt de ma tendre enfance. Je cours. Elle est là derrière moi, volant le moindre de mes pas, elle va sûrement me rattraper. Plus vite. J'allonge la foulée de ma course effrénée. Une boule noire me ronge l'estomac. Elle s'agrandit à mesure que les arbres m'engloutissent dans leur verdure de plus en plus dense. Plus vite. Elle arrive. Je devine la nature du mal qui est sur le point de m'atteindre. Seul la foret peut me protéger d'elle. Moi, je ne peux pas la battre, car cette dernière n'aura aucun mal à m'agenouiller à sa merci. Pourtant, je m'obstine à m'échapper de sa noirceur. Ma course s'achève enfin.

La forêt a disparu pour faire place à une foule de personnes immobiles. Marchant entre les statues qui assiègent les lieux, l'effroi m'ensorcelle. Pourquoi ne bougent-ils pas ? La boule a pris une sacrée ampleur à l'intérieur de mes entrailles, son importance s'est largement intensifiée. Je hurle pour qu'ils se réveillent. Tous ont les lèvres éprises par une illusion de bonheur. Je décortique sans peine la fausse harmonie qui baigne leurs esprits maniables.

Aucun mot ne consent à sortir de ma bouche. Alors je laisse mes cordes vocales proférer des notes stridentes. Je les implore. Écouter moi, je vous supplie. Personne ne tourne les yeux vers moi. Les regards semblent absorbés par une toute autre force. Quand je lève mes iris en cette direction, je n'aperçois qu'une gigantesque boule de lumière, scintillant de mille feux, il est vrai qu'elle est plus agréable que moi. Cependant, il est impensable pour moi de ne pas lui faire face.

Mes mouvements deviennent irrévocablement lents. Ils sont vivement électrifiés par l'étrange atmosphère dégagée par cette chose inconnue. Subitement, ma peau commence à me brûler. J'ai beau vouloir calmer cette ardeur dévorante, je n'y arrive pas. La menace me toise, c'est elle qui attise la flamme et l'attention du peuple. Je hurle à plein poumon. Cette fois j'évacue de mes entrailles toute la rancoeur qui m'étrangle. C'est une abjection. Cette chose... Je ne peux mettre un mot sur ce que j'ai ressenti en la voyant. Je m'effondre à terre consumée par cette puissance. J'ai cru pouvoir lutter. Mais il n'en est rien. Je ne peux l'affronter ou même la regarder ne serait que quelques secondes.

Cette chose me dévore de l'intérieur comme de l'extérieur. Elle me contrôle, cogite en moi d'une virulence sans pareil. Elle a toujours était là, seulement c'est la première fois que je l'aperçois. Et j'en suis persuadé, elle est là depuis le début.»

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