CHAPITRE VI - PARTIE I

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Subitement, un flash noir voltigeant entre un nombre incalculable de couleurs me brule la rétine. Et BAM, le blanc me percute. Je retrouve peu à peu une vision normale et gentiment je reprends mes esprits. Pendant quelques secondes, je dois avouer m'être senti totalement perdu, jusqu'à que je comprenne ce qu'il venait de se passer. Je me suis évanoui et lors de ma chute, j'ai heurté le lavabo.

Je frotte mon visage, et l'asperge d'eau fraiche. Je regarde ma montre et apprends que j'ai sillonné dans le noir pendant plus de trente minutes. Je m'adosse contre la porte des toilettes après avoir fermé celle-ci à double tour. Personne ne doit me retrouver dans cet état. La folie est gentiment en train d'envahir les parcelles de mon esprit et il est or de question que je la laisse faire.

Je me rappelle, je me souviens de ces terribles instants dans tous les détails mêmes les plus sordides. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je me remémore cette soirée, maquée par l'horreur.

J'ai fait la plus grande erreur de ma vie en lui annonçant attendre un enfant de lui. Je n'aurais jamais dû le mettre au courant. Nous étions toxiques l'un pour l'autre et je le savais. Pourtant, je l'ai quand même fait, car à mon âge j'étais bien trop naïve. Je pensais, au contraire, avoir le contrôle sur la situation. Encore une grosse erreur de ma part. Mais grâce à celle-ci, j'ai appris une chose : la confiance est une feuille bien trop fragile pour s'y confesser.

La manipulation était un art que Bewen domptait avec une grande souplesse. J'étais la pièce maitresse de son jeu. Moi qui croyais, à l'époque, berner tout le monde par mon charme, je me trompais lourdement sur mon compte. La manipulatrice manipulée. J'étais simplement devenue une spectatrice de ma vie, ayant perdu le rôle principal.

J'entends des bruits de pas résonner, à l'extérieur, quelqu'un approche. Je déglutis douloureusement, la nervosité me gagne. Depuis l'annonce de la mort de mon seul et unique fils, les émotions fortes saturent en moi. La souffrance est insupportable, elle triture le tréfonds de mes entrailles. Le désespoir est tel que je ne l'imagine un jour arrêter de marteler mon cœur ensanglanté. Je ne peux m'empêcher de m'enfonce dans le vide apparu. Un puits sans fin. Pour entendre une dernière fois mon fils bafouiller le mot maman de sa petite bouche, j'irai jusqu'à conclure un pacte avec le diable. L'écho se stoppe, une personne se tient devant la porte. Ma respiration se bloque et je glisse sans faire de bruit vers le mur à côté de celle-ci.

« Andorra ? »

Au début, je ne reconnais pas cette voix. Comment cette personne sait que je suis ici ? Je n'ose prononcer la moindre syllabe. Je suis encore un peu troublé et dans les vapes. À vrai dire mes réflexes sont un peu lents.

« Il y a quelqu'un ? »

C'est Jade. Que fait-elle ici ? J'imagine que son frère et elle m'ont surveillé ou pourrai-je dire espionner, à la minute où j'ai posé un pied au dehors de ma cellule. Et puisque je me suis absentée aussi longtemps, ils ont dû s'inquiéter pour moi. En fin, je crois... j'espère ?

La jumelle de Jayce essaye alors d'ouvrir la porte, mais sans succès. Elle s'acharne avec ténacité sur le poignet.

« Qui que ce soit, si vous n'ouvrez pas la porte, je vais prévenir les gardes avec plaisir et je pense qu'ils seront ravis de devoir défoncer cette porte pour vous retrouver. 

Silence. La brune essaye de me pousser dans mes retranchements, mais je ne céderais pas. Je compte lui dire qui je suis, mais je n'ai aucune envie de sortir des toilettes pour l'instant.

  •  C'est Andorra... je déclare, après quelques minutes de retenue.
  • Putain ! Mais qu'est-ce que tu fous ici ? On te cherche depuis une bonne heure. On trouvait bizarre de ne pas te revoir revenir à l'intérieur et on ne t'apercevait plus dans le jardin.
  • Euh... Oui, je ne me sentais pas très bien.
  • Ça va mieux ? Ta voix est très faible.
  • Oui. Mais il me faut encore un peu de temps alors tu voudrais bien me laisser tranquille un instant ? Lui prié-je.

J'espère que Jade respectera ma demande.

  • Non, laisse-moi rentrer. Je n'ai pas l'intention de t'abandonner, enfermée dans les toilettes des filles. En plus des gens risquent d'arriver et tu vas avoir des problèmes.

La brune a raison. Cependant, je ne me sens pas de taille d'affronter le monde extérieur, après mon rêve atroce et bien sûr avec les événements qui viennent tout juste de se dérouler. C'est trop pour moi. Je souhaite que quelques instants de répit. Alors ne sachant comment chasser la jumelle de Jayce, j'essaye d'inventer une excuse :

  • Je ne peux pas.
  • Comment ça, tu ne peux pas ?
  • Je... J'ai de fortes migraines. Je veux rester près du lavabo, mais si tu viens je vais me sentir étouffé.

Je ne suis généralement pas une aussi mauvaise menteuse.

  • Bon, tu te fous clairement de ma gueule là. Je ne vais pas te laisser ici, sous prétexte, que madame la comtesse exige de rester seule pour se percer les veines. »

De lourds bruits de ferraille s'échappent de l'entrée. Je m'écarte de celle-ci pour ne pas être blessé. Boum ! L'accès est rapidement dégagé et la porte se retrouve complètement saccagée. C'est accompagné d'une tige de ferraille à la main que Jade s'empresse de me rejoindre avant de me transperce d'un regard visiblement irrité par mon comportement.

La brune m'aide à me relever et parait évaluer mon état pitoyable. Je n'ai aucune envie de m'attarder sur mes sentiments pour changer. L'expression de son visage se transforme quand elle voit du sang étaler sur le sol de la pièce. Elle pousse un long soupir et me réplique sur un ton neutre :

« Tu n'arrêteras donc jamais de côtoyer le mal ? »

Nous ne faisons qu'échanger des regards sur le chemin de ma cellule. Jade m'entraîne sur son lit et m'invite à m'asseoir. Mon ventre crie famine et je ne rejette pas une très bonne odeur non plus.

C'est lors de mon premier jour, à Elario, que j'ai rencontré le frère de Jade dans des conditions peu agréable. Je découvrais, tremblante, à quoi ressemblerait ma vie pour les cinq années à venir. Terrifiée, j'étais incapable de me débrouiller seule, dans cet endroit. Je n'avais jamais eu à vivre dans des circonstances aussi extrême. Jadis, j'avais joui des plus grands conforts. Le changement fut brutal quand j'arrivai en prison, dans un point si reculé de mes origines. Au début, j'ai eu un mal fou à m'adapter à ce genre de quotidien imprégné par la grâce et le manque cruel de bonnes manières.

C'est le déroulement des événements, ce jour-là, qui amena nos deux l'esprit à s'apprivoiser. Et je ne regrette, en rien, notre rencontre à moi et à Jayce. Car grâce à lui, j'ai eu la chance de pouvoir tisser une relation avec Jade, sa sœur jumelle. Il aurait suffi que je sois à un autre endroit, à des minutes divergentes et mon existence en prison aurait été totalement différente de celle que j'entretiens, à présent, avec les deux jumeaux.

Aujourd'hui, un regard lui subvient pour déchiffrer les tourments de ma vie. Enfin, je lui ai laissé avaler qu'elle comprenait les rouages de mon mécanisme. En réalité, elle ne connait qu'une infime partie de mes démons. Je suis bien plus complexe qu'elle ne le croit. Je peux, tout à fait, concevoir qu'on détermine cela d'hypocrisie, mais je le vois d'une tout autre manière. Une manière de changer et de confier mon ancienne vie aux oubliettes et surtout de la protéger de moi-même.

Ce moi destructeur et qui ne peut s'empêcher d'écraser tout ce qui se poste contre elle. Ce qui jusqu'à maintenant a foiré, sur toute la ligne. Je souhaitais pouvoir effacer tous mes remords. Mais impossible quand ceux-ci définissent votre identité. Alors, à ce moment précis, je réalise que j'ai échoué et que je ne pourrai indéfiniment nier cette partie qui constitue ma personnalité.

La brune rentre dans la pièce et me lance un petit pain rassis ainsi qu'un linge signe qu'un rapide passage sous un savon ne me ferait aucun mal. Je dévore mon encas et me faufile jusqu'aux douches. Je me contente du peu d'eau qu'il reste, laissant un filet glacé me couler le long du dos. Emmitouflée dans mon linge, j'essaye de me réchauffer. Je m'habille et retourne dans la cellule de Jade pour récupérer mes affaires.

Je sais pertinemment qu'elle veut discuter avec moi, après l'incident des toilettes. Cependant, je cherche à tout prix à éviter un nouveau dialogue en tout cas pour aujourd'hui. J'ai eu ma dose. Alors quand il ne figure aucune trace de celle-ci dans ma cellule, je fuis sans un regard en arrière.

Prise au dépourvu, je vois surgir la jumelle de Jayce, juste devant moi, comme par magie et me stoppe d'une traite dans ma tentative d'évasion inachevée. Elle n'exprime ni mépris ni amertume à mon égard. Je ne sais à quoi m'attendre de sa part, moi qui pense avoir assimilé les différentes facettes de ces humeurs.

« Ce soir après que les gardes auront fini leur tour de surveillance, je te rejoindrai discrètement dans ta chambre. On doit discuter nous deux, déclare-t-elle tout en s'ôtant du passage vers la sortie.

Elle ne compte pas sur ma réponse. Cela à toute l'aire d'un ordre. Depuis quand Jade se permet-elle de me dire quoi faire avec autant d'autorité ? Hein ?

  • Je veux rester seul ce soir, c'est trop demandé ? J'exprime un rictus mauvais sur le front.

Impassible, elle fixe ses deux yeux sur moi. Elle ne semble surprise par mon comportement. Preuve qu'elle domine parfaitement la situation. Ce qui ne me pas plus docile pour autant.

  • Ce soir, à 11 heures, ajoute-t-elle plus déterminé que jamais. »

Je laisse la place au silence de s'immiscer entre nous deux. De toute manière, elle n'obtiendra aucune révélation de ma part. Plutôt mourir, que d'ouvrir ma bouche, contre mon gré. Il est inconcevable que je revienne sur les pages de mon passé. En sortant, je prends soin de la bousculer et lui adresse un regard mauvais. Je me réfugie, à toute vitesse, dans ma chambre et m'étends immédiatement dans ma couchette.

Je suis épuisée, les jours avancent se suivent et se ressemblent. Terriblement ennuyant. Je pensais qu'un de ces jours mes activités se remueraient. Mais pas par l'entrée de la mort sur la scène. Il paraît que le temps guérit toutes les blessures, même les plus lourdes à porter. Mais je le sens se rire de moi, de mes traumatismes, trop ancrés pour disparaitre, dans les ombres.

Comment concevoir qu'un jour je serai, à nouveau, heureuse ? Libérer de mes maux ? Submerger par la sagesse ? Et bien je ne peux pas l'imaginer et je pense bien que c'est cela qui m'embellit de tristesse.

Un lourd écho bouscule mon sommeil profond. Un grincement de porte peu discret ébranle le silence. Je n'ai pas la force d'ouvrir mes paupières, car depuis l'annonce, cette nuit et la seule occasion que j'ai eue pour me reposer. Je me prélasse dans mon lit, m'accrochant à mes maigres draps.

Soudain, je sens une main se poser délicatement sur mon épaule. Un regard me surveille, mais il n'est pas menaçant. Il semble prévoyant et son but et de me protéger. Je ne crains pas sa présence, de se fait je n'éprouve, en rien, l'obligation de me réveiller.

Le contact s'éloigne, des bruits défilent, puis l'odeur de fumée vient titiller mes narines. Je décide après quelques minutes d'ouvrir mes yeux lourds. Mais j'ai beaucoup de peine à m'extirper de mon lit puisque la fatigue m'assouvit. Je me retourne maladroitement et découvre une silhouette assise sur une chaise les pieds calés sur mon bureau.

C'est sans doute Jade. À ce que je vois, elle n'a eu aucune gêne à mettre ces menaces à exécution. Je m'approche d'elle pour, tout de même, me rassurer de sa présence et non d'une inconnue. Ses lèvres se referment sur une cigarette. Tout en se délectant de son mets, la prisonnière observe mes gestes qui resserrent la distance nous séparant.

Quand je discerne enfin un visage fin encadré de cheveux brun de jais dans l'obscurité, je peux défaire ma pression. C'est bien elle. Je me poste devant Jade et je lui arrache la cigarette de la bouche avant de l'écraser au sol.

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