Serrant fermement Neko contre son cœur, la tête légèrement baissée, Yunni se disait qu'elle n'aurait peut-être pas dû retourner à Buxih seule. Peut-être que, finalement, se séparer n'était pas une si bonne idée que cela. Non pas qu'elle craignait pour la vie de ses deux amis. Yume était un excellent Épéiste, il surpasserait même Seven dans très peu de temps. Quant à Astrid, cette étrange jeune fille avait développé des capacités hors du commun. Qui était capable de maîtriser aussi bien qu'elle un arc alors qu'elle n'en avait jamais utilisé un seul, du moins combattu, de toute sa vie ? Elle lançait ses flèches avec précision, celles-ci atteignant presque toujours leurs cibles ! D'après Yume, ce n'était pas sa force qui entrait en jeu, mais plutôt la magie. Certes, l'arc avait été forgé par des Sirènes du Royaume d'Aristofée, mais confirmait-il l'hypothèse qu'elles contenaient un soupçon de magie ? Cela, l'Invoqueur ne saurait le dire.

Yunni voulait juste retourner à Buxih pour des raisons personnelles. Parce qu'elle aimait Fab, et qu'elle en était aimée en retour. Mais c'était une décision égoïste. Elle mettait sa propre vie en danger, sachant pertinemment que des Miliciens étaient à sa poursuite, pour retrouver son âme-sœur. Yume avait raison. Elle savait se débrouiller face à des monstres, car elle en avait tristement l'habitude. Elle avait réussi à se débarrasser de deux Miliciens. Mais que ferait-elle si elle se trouvait face à un escadron entier, voire pire, une armée ? Cette option était également envisageable. Seven, ne pouvant laisser son terrible secret courir les rues, serait capable de déployer les grands moyens, quitte à envoyer son armée. Pas seulement de Miliciens. S'il envoyait des Épéistes aussi, ou des Invoqueurs ? Jamais Yunni ne ferait le poids face à eux ! De plus, si elle parvenait par miracle à atteindre Buxih et à rallier Fab et Tip à leur cause, qu'est-ce qu'ils lui garantissaient qu'elle parviendrait à les protéger tous deux ? Même si les deux frères se battaient affreusement bien, ils ne seraient pas de tailles eux non plus face à l’Élite tout entière.

Yunni enserra un peu plus son étreinte sur Neko. Non, ce n'était réellement pas un excellente idée…

Un craquement de branche la fit sursauter. La jeune Invoqueur se stoppa immédiatement, interdite. Son regard balaya circulairement les alentours. Quelqu'un se trouvait dans les environs. Elle le sentait. Depuis qu'ils étaient arrivés à Aneco, Yunni avait l'horrible intuition qu'une chose les suivait dans l'ombre. Mais elle ne saurait dire s'il s'agissait d'un être humain, ou d'un monstre. Cette sensation la poursuivait inlassablement malgré son retour à Buxih.

« Je sais que vous êtes là, dit-elle, faisant preuve de courage. Montrez-vous. »

Sentant le danger, Neko bondit sur le sol, le dos et le poil hérissés. Il était prêt à protéger sa Maîtresse en cas de besoin ! Sur ses gardes, Yunni fit apparaître à son tour entre ses doigts son sceptre d'Invoqueur, le serrant fermement pour se donner un peu plus de courage.

Sortirent de derrière les arbres, en rampant, de drôles de créatures mi-hommes mi-animales. Alors que leur buste renvoyait l'image d'un corps d'homme musclé, à partir de leur bas-ventre se déployait une queue de serpent aux écailles rosâtres. Autour de leur torse était solidement attachée une sorte de ceinture faite en cuir qui comprenait plusieurs fermoirs pouvant comprendre de multiples petites armes telles que les épées courtes, les poignards, des petits bâtons de magicien, et bien d'autres choses encore ! Leurs cheveux, aussi noirs et gras que le charbon, étaient relevé en un chignon haut, leur donnant ainsi une allure de fiers guerriers. Leurs torses étaient recouverts de multiples cicatrices, marques d'anciens combats. Enfin, ils tenaient fermement entre leurs mains des armes toutes plus différentes les unes que les autres, allant de simples épées à une lance en passant par un maillet dont les picots semblaient à la jeune fille bien acérés.

Yunni n'arrivait pas à déduire concrètement leur nombre tant il y en avait qui s'amassaient toujours de plus en plus autour d'elle. Ils n'étaient certes pas bien grands, peut-être aux alentours d'un mètre pour les plus grands d'entre eux, mais leur quantité incroyable suffisait à l'impressionner !

L'un d'eux finit par s'avancer en zigzagant, à la manière d'un reptile, vers la jeune fille, faisant siffler entre ses dents sa langue de serpent.

« Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda Yunni en fronçant les sourcils, en menaçant l'homme-serpent du sommet de son bâton, son cristal d'Invoqueur.

‑ Tous sssse que nous cherchons ssss'est l'argent de la récompensssse, informa-t-il en plantant sur elle ses yeux jaunes de reptile.

‑ Récompense ? » répéta Yunni en fronçant les sourcils.

De quoi pouvait-il bien parler ? A Onyrik, l'on pouvait gagner une certaine somme d'argent en échange d'information ou de personnes recherchées par l’Élite si celle-ci en faisait l'annonce. Yunni et ses deux camarades, du moins Yume en tout cas, étaient aux aussi des ennemis de Seven désormais, mais était-il allé jusqu'à mettre réellement leurs têtes à prix ?

Pour toute réponse, ce qui semblait être son adversaire lui montra une feuille en l’occurrence très abîmée et légèrement jaunâtre. L'Invoqueur écarquilla les yeux en reconnaissant sa tête dessinée sur l'affiche, suivie d'une très grande récompense, dépassant presque l'entendement. Elle était donc bel et bien recherchée dans tout le Royaume. Impossible désormais de franchir une ville ou village sans manquer de se faire courser à chaque tournant de rue. Comment son retour allait-il être accueilli une fois de retour à Buxih ? Elle ne le saurait uniquement à condition qu'elle parvienne à franchir la barrière d'hommes-serpents.

Jetant négligemment la feuille au sol, Yunni entreprit de se défendre face à cette petite escouade. Pas question de se laisser capturer aussi facilement sans rien faire ! Seven se rabaissait à de bien viles méthodes pour espérer mettre un jour la main sur eux !

Empoignant son bâton à la verticale et fermant puissamment les paupières pour se concentrer, Yunni regroupa toute la puissance magique nécessaire pour préparer un sort offensif, tandis que ses adversaires se préparaient à encaisser l'attaque. La formule d'un premier sort franchit la barrière de ses lèvres :

« Nux Bnyddux ku n'Uwbuf kúifufiwz ziw ydu ; an w'uw fuxzufy jeu ruwkfux. »

Aussitôt, un mur de flammes entoura une petite zone circulaire autour d'elle et Neko. Puis la jeune fille rouvrit les yeux, une lueur de détermination féroce dans le fond de ses pupilles bicolores. Levant ses deux mains à l'horizontal, paumes ouvertes, le brasier immense recula en direction de ses adversaires. Plus il s'éloignait, plus celui-ci devenait de moins en moins puissant, jusqu'à s'éteindre complètement. Certains Herazons de la Forêt des Hiboux avaient été légèrement mangés par la puissance des flammes.

Yunni écarquilla les yeux face à la scène se trouvant devant elle. Alors que ses adversaires auraient dû tous être calcinés, brûlés vifs, ceux-ci se tenaient droits devant elle, exactement dans la même position que quelques secondes plus tôt, comme si tout cela ne venait pas d'avoir lieu. Les armes en mains, ils continuaient toujours à la fixer, une lueur démente dans le fond de leur regard jaunâtre. La jeune fille ravala sa salive. Pourquoi son sort n'avait-il pas marché ?! Peut-être étaient-ils immunisés contre le feu ? Elle devait essayer autre chose !

Ne perdant rien de son courage, la jeune Invoqueur tenta un autre sort. Cette fois-ci, levant son arme haut vers les cieux, elle récita la formule suivante :

« Urnyafx advazioylnux, biekfiouh dux ulludax, je'an w'uw fuxzu jeu ruwkfux. »

Son cristal violet se mit à luire intensément, puis un puissant grondement déchira le ciel, faisant sursauter les hommes-serpents. Puis un éclair fondit à une vitesse hallucinante en direction d'un de ses adversaires autour d'elle. Puis une second, un troisième, ainsi de suite. Et enfin, un rayon impressionnant, l'éclair le plus violent qui fut jamais créé, assaillit ses ennemis depuis les cieux. Yunni perdit la vue quelques secondes suite à cette incroyable attaque – c'était son tout premier sort Foudre ! - pensant les hommes-serpents tous réduit à néant suite à cette attaque imparable. Seulement, comme plus tôt, cela n'eut aucun effet.

Face à la surprise et l'incompréhension la plus totale, Yunni recula d'un pas, alors que ses adversaires approchaient doucement. Que faire ? Ils semblaient immunisés face à toutes ses attaques !

« SSSS'est tout sssse dont tu es capable ? siffla celui qui lui avait tendu l'affiche un peu plus tôt. Je ssssuis terriblement déssssu. Moi qui ssssouhaitais un adverssssaire à ma taille. »

Il rampa doucement vers Yunni, faisant entrechoquer ses deux larmes courtes entre elles. Une action qui se voulait sans aucun doute intimidante. Comme pour éviter qu'il ne fasse du mal à sa Maîtresse, Neko s'interposa d'un bond entre son amie et son ennemi. Celui s'arrêta net. Il dévisagea le nouveau venu bêtement, avant qu'un sourire malveillant n'étire ses lèvres. Il sortit brièvement sa double langue, caractéristique des serpents, pour se la passer doucement sur les babines, tout cela en sifflant à la manière des reptiles.

« Tu m'a l'air fort appétisssant toi… ! »

Neko, n'appréciant guère le compliquant, sauta sur l'homme-serpent, prêt à lui lacérer le visage de ses griffes et crocs. Seulement, d'un simple mouvement de bras, l'ennemi parvint à trancher le petit chat bleu en deux, sous les yeux horrifiés de sa propriétaire. Le corps inanimé de la petite créature retomba aux pieds de sa propriétaire, rendant son dernier souffle dans un petit miaulement aigu qui voulait sûrement dire « Je suis désolé ».

Sous le choc de la mort soudaine de son meilleur ami, sa première Chimère, Yunni se laissa lourdement tomber au sol, prenant ce qu'il restait de son petit animal entre ses bras. La jeune fille pleurait le défunt à chaudes larmes, ne pouvant se résoudre à la terrible réalité. Elle tentait désespérément de l'appeler par son prénom, espérant qu'il finirait par revenir à la vie, mais rien ne se produisit. Neko semblait être parti pour l'éternité.

Brisée par le chagrin, Yunni leva des yeux démentiels vers son adversaire. Ses pupilles, originellement vairons, commençaient à prendre une drôle de teinte. En effet, on aurait dit que son œil gauche changeait petit à petit de couleur, sombrant peu à peu dans une pigmentation rougeâtre.

« Tu vas… me le PAYER ! » rugit la jeune fille face à la haine.