Les yeux rivés sur les maisons s'étendant jusqu'à l'horizon, Yume semblait pensif. Assis sur les marches des escaliers de marbres, les coudes posés sur ses jambes et sa tête reposant négligemment sur le dos de ses mains, le jeune homme se dit qu'il avait peut-être un tout petit peu exagéré sa réaction tout à l'heure. Non mais, en même temps, il n'aimait pas la façon dont Fab se comportait avec Yunni depuis le début. Il ne supportait qu'il cherche à avoir constamment un contact visuel avec l'Invoqueur, ou encore pire, qu'il veuille toujours la toucher. L’Épéiste en était convaincu : ce type n'était en rien différent des autres hommes qui avaient déjà essayé de courtiser la jeune fille. Arrogant, charmeur, beau parleur, riche, pensant que le monde ne tournait qu'autour de lui. Oui, il ne l'aimait vraiment pas.

Yume entendit la porte d'entrée se rouvrir puis se refermer. Il sentit ensuite une présence derrière lui. Roulant les yeux et soupirant, il devina presque instinctivement qu'il s'agissait de Yunni.

« J'ai dis que je voulais être seul, lâcha-t-il froidement.

‑ Dommage pour toi, mais je ne compte pas t'obéir. »

Les iris turquoises du jeune homme s'écarquillèrent en constatant que la personne derrière lui n'était pas sa meilleure amie, mais Astrid. Alors ça, pour une surprise ! Le blondinet ne s'attendait pas vraiment à ce que se soit elle qui vienne le consoler ! Cependant, il ne fit rien savoir de son étonnement.

Yume laissa la brune s'asseoir à son tour sur les marches à côté de lui. Un drôle de frisson parcourut son corps lorsque son épaule rencontra le bras de la jeune fille. Il détourna la tête pour ne rien laisser paraître.

« Tu veux me dire ce qu'il se passe ? tenta Astrid.

‑ Non. »

Le blond lui avait répondu froidement. Se confier, ce n'était pas une chose qu'il aimait faire.

Yume entendit Astrid soupirer longuement. Puis, du coin de l’œil, il la vit lever la tête vers le ciel étoilé.

« Dis, tu peux me dire quelque chose ? » essaya-t-elle de nouveau.

Le jeune homme leva les yeux au ciel, agacé. C'était incroyable d'être aussi casse-pied !

« Non.

‑ Pourquoi la lune est bleue ? »

Fronçant le sourcils, Yume leva à son tour ses iris turquoises vers le ciel. Les feuillages des Herazoniers recouvraient une bonne partie de la voûte céleste, mais ils laissaient cependant assez d'espace pour pouvoir contempler l'astre scintillant et quelques petites étoiles.

L’Épéiste posa ses deux mains sur le sol derrière lui, de sorte que son dos soit bien droit pour éviter de se déchirer le muscle au niveau de sa nuque en regardant trop longtemps le ciel.

« Eh bien… »

Il se gratta l'arrière de la tête, tentant de se remémorer lui-même cet étrange phénomène.

« Avoue-le : tu ne l'avais même pas remarqué ! rigola la jeune fille.

‑ N'importe quoi ! se défendit le blond. Yunni me l'a dit une fois, j'ai juste du mal en m'en souvenir… C'était une histoire de position je crois…

‑ De position ?

‑ Oui… La lune change de couleur selon où nous sommes dans le Royaume. Si tu te trouves à Fikternand, alors elle sera rouge. A Buxih et la forêt des Hiboux, elle sera bleue. Il me semble que la couleur réagit en fonction de notre environnement. Si tu vas dans une ville un peu plus peuplée qu'ici, sans doute qu'elle sera rouge à nouveau.

‑ Je vois… Vraiment étrange ! Mais si je comprends bien, personne ne la perçoit de la même façon alors ?

‑ Exactement.

‑ Dans ce cas, comment savoir sa véritable nature ? »

Yume souffla, épuisé à l'idée de devoir chercher une réponse rationnelle.

« On peut dire que chacun à sa part de vérité dans ce qu'il prétend savoir. Après tout, peut-être que nous avons tous raison, tout comme nous pouvons tous avoir tord. C'est ce que l'on appelle le jugement de réalité je crois, ou un autre truc compliqué dans ce genre.

‑ Tu peux être plus précis ? demanda Astrid, qui commençait déjà à être perdue.

‑ Pour faire court : la vérité est une. Cependant, ce n'est pas à chacun sa vérité, mais à chacun son opinion. De ce fait, nous pouvons tous avoir raison, tout comme nous pouvons tous avoir tord. Chacun interprète sa vérité. Avec ses propres yeux.

‑ Je suis paumée, plaisanta la brune. En tout cas, je ne te pensais pas aussi…

‑ Intelligent ?

‑ Philosophique. »

Yume fit la moue, pas vraiment flatté. Il aurait préféré être intelligent. Pour lui, être philosophe était plutôt synonyme de dépression. Chercher à comprendre le sens de la vie, se questionner constamment sur le quotidien. Ce n'était pas vraiment sa personnalité. Lui était plus du genre à apprécier la vie telle qu'elle était, sans chercher à réellement la comprendre. Temps qu'il vivait, le jeune homme se sentait humain, et cette seule pensée lui suffisait.

« Je ne fais que répéter ce que Yunni m'a enseigné.

‑ Elle a l'air vachement intelligente, nota Astrid.

- Tu peux le dire ! »

Un léger silence s'installa brièvement. Au loin, le doux crépitement des flammes qui éclairaient encore les quelques ruelles de Buxih sonnaient à leurs oreilles comme une mélodie apaisante.

« C'est pour ça que je tiens à elle » se confia enfin Yume.

Sans doute surprise par cette révélation, la brune détourna ses pupilles rouges du ciel pour les poser sur son compagnon de voyage. Elle sembla attendre la suite de sa phrase, mais le jeune homme n'était pas bien décidé à en dévoiler d'avantage.

« Et alors ? » l'encouragea l'adolescente.

Yume se redressa et reprit sa position initiale. Les yeux perdus sur le lointain, dévoiler le fond de sa pensée lui paraissait être la pire des épreuves au monde.

« J'ai peur de la perdre, avoua-t-il à demi-mot. Peur qu'elle m'oublie. Peur qu'elle se débarrasse de moi une fois qu'elle aura trouvé le bonheur.

‑ Yume le pessimiste. Ca fait tout drôle de te voir comme ça. »

Le blond haussa les épaules, presque indifférent face à cette remarque.

« J'ai toujours sentit ce besoin de la protéger, continua-t-il. Je sais pourtant qu'elle est forte, déterminée, bien plus que ce que je le suis moi-même. Seulement… Je sais pas vraiment pourquoi je pense ainsi.

‑ Je crois savoir. Depuis combien de temps vous vous connaissez ? »

Yume se passa une main dans ses cheveux en bataille. Il parut réfléchir. Combien d'années ? Il n'y avait jamais vraiment fait attention.

« Je sais plus trop… On s'est connus tous jeunes, et depuis, on se quitte plus.

‑ Alors c'est ça. »

L'ancien membre de l’Élite tourna la tête vers la brune. Celle-ci remit une de ses mèches brune derrière son oreille, tout en baissant la tête. Elle semblait légèrement gênée par cette situation.

« Tu la connais depuis longtemps, alors vous avez tissé un certain lien. Vous ressemblez un peu à un frère et une sœur. »

Yume reporta pour une énième fois son regard sur les hautes maisons de Buxih.

« Espérons que tu aies raison » souffla-t-il.

Un nouveau silence. Décidément, l'ambiance était plutôt tendue entre ces deux-là.

« Et sinon, reprit Astrid dont la curiosité prenait le dessus, vous vous être connus comment ? »

Le blondinet souffla. Sa rencontre avec Yunni n'était pas vraiment un sujet qu'il aimait aborder. Tout simplement parce que c'était un moment un tout petit peu gênant pour lui. Il pencha sa tête en arrière et se mit à rigoler faiblement.

« Promis, un jour, je te dirai tout.

‑ Mais pourquoi pas maintenant ?

‑ Haha, c'est un secret ! » dit-il en lui faisant un clin d’œil.

Un sourire mesquin étira les lèvres d'Astrid. Elle posa ses mains sur ses cuisses, et se pencha vers son ami.

« Au moins, tu me promets de me le dire un jour. J'ai hâte d'entendre ce récit qui promet d'être épique !

‑ Je ne partage pas du tout ton enthousiaste ! poursuivit Yume toujours sur le ton de la plaisanterie.

‑ Vu ta tête, j'en déduis que c'est un passage de ta vie qui est plutôt gênant et que tu veux oublier !

‑ Tu lis les expressions faciales maintenant ? »

Son humeur joueuse de nouveau au bout du jour, le jeune homme donna un coup d'épaule amical à Astrid.

« Je me suis trompé sur ton compte » avoua-t-il soudainement redevenu sérieux.

La brune s'arrêta immédiatement de rire. Ses yeux se figèrent tout à coup sur un point au loin.

« T'es en gentille en fait. »

La jeune fille ramena ses mains autour de ses bras, le regard vide, comme pensive. Elle se mordilla curieusement la lèvre inférieure. Yume leva un sourcil, intrigué par cette drôle de réaction.

« J'ai dit quelque chose de mal ? s'inquiéta-t-il.

‑ On peut éviter de reparler de ce que je t'ai dit tout à l'heure ?

‑ Pourquoi ? J'ai apprécié le compliment. »

Astrid ne répondit pas. Le jeune homme soupira, comprenant qu'il ne tirerait rien d'elle de toute façon. Et puis, il n'avait pas réellement envie lui non plus de revenir sur le sujet.

« Et sinon, reprit-il pour éviter qu'un blanc ne s'installe, comment s'est dans ton monde ? Je veux dire : à quoi il ressemble ? »

La brune tourna soudainement la tête vers son interlocuteur, comme piquée au vif.

« Tu veux dire que tu me crois maintenant ? »

Il haussa les épaules.

« Yunni semble y croire dur comme fer. Et puis, il suffit tout simplement de voir à quel point tu peux t'émerveiller de tout. Je n'avais encore jamais vu quelqu'un aussi époustouflée par un Herazon et une purée de Saphir de Séréna !

‑ Mais tu te moques de moi en plus ! rigola Astrid et lui donnant une légère tape à l'épaule.

‑ Je ne dis que la vérité ! »