Chapitre 10.4 : Yume

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Une heure et demie de marche supplémentaire avait suffit pour les emmener jusqu'aux portes du petit village niché dans les bois. Enfin, portes, pas vraiment. Il n'y en avait tout simplement pas. Pour accéder au village, il fallait emprunter des marches de pierres. Ainsi surélevée, Buxih profitait d'une certaine proximité avec les arbres aux Herazon de la forêt des Hiboux.

Les dalles de pierres débouchaient directement sur une immense place où se tenait en son centre une grande statue de marbre. Celle-ci représentait la Déesse que l'on voyait également sur la plus grande place de Fikternand. De cet endroit partaient de multiples chemins différents, emmenant dans les rues et ruelles de Buxih. Les maisons, faites des mêmes pierres que la capitale d'Onyrik, s'élevaient fièrement vers le ciel, baignant dans la douce chaleur des rayons du soleil.

Yume remarqua les visages impressionnés de Yunni et Astrid. Pour lui, cette ville n'avait plus rien d'extraordinaire : il y venait très souvent pour des missions. Mais pour les deux jeunes filles, c'était différent. Il les comprenait, cependant. Lui aussi était resté cloué sur place en voyant la beauté des lieux.

« Ce n'est pas tout ça, dit-il pour briser le silence, mais il va nous falloir une arme pour mademoiselle.

‑ Tient ? Tu ne m'as pas appelée sorcière ou une autre insulte de ce genre ? C'est que tu fais des progrès ! »

Yunni lui lança un petit coup de coude dans le bras.

« Hé ! Pourquoi tu fais ça ?

‑ Faites un effort, vous deux ! C'est dingue : vous n'arrivez pas à vous échanger deux mots sans vous insulter trois fois…

‑ Comment on peut échanger deux mots en s'insultant trois fois ? » questionna Yume, la mine ébahie.

Yunni soupira. Ce garçon semblait irrécupérable.

« C'est un proverbe, expliqua-t-elle. Bon, quoi qu'il en soit, on devrait y aller. »

Yunni s'avança vers la statue de la Déesse. Ses amis la rejoignirent rapidement.

Yume leva la tête pour mieux voir la fille de marbre. Il fronça les sourcils. Il avait comme une impression de déjà vu. « Je l'ai rencontrée. » pensa-t-il en son fort intérieur. « Voilà pourquoi elle me disait quelque chose… »

« Yume, où est-ce que l'on peut trouver des armes ? demanda Yunni.

‑ Tu vois le petit pont là-bas ? »

Il indiquait la direction de son index. La jeune fille fixa l'extrémité du doigt.

« Bah c'est là.

‑ Qu'est-ce qu'on attend pour y aller ? Allez, c'est partit ! » s'enjoua la jeune Invoqueur.

Yume fit un pas pour la rejoindre, lorsqu'il remarqua l'expression sur le visage d'Astrid. Aspirée dans la contemplation de la statue de la Déesse, plus rien ne semblait avoir d'importance autour d'elle.

Le jeune homme lui donna une légère tape sur l'épaule pour la réveiller.

« Hé, la sang-mêlée, on y va. »

Le trio traversa le pont qui menait tout droit vers le marché consacré uniquement à la vente d'armes.

Pour un petit village dans une forêt, le marché aux armes de Buxih semblait étonnement grand. Il s'agissait d'une immense avenue où tous les deux pas se tenaient soit un magasin d'armes, soit un magasin d'armures. La rue n'était cependant pas vraiment animée. Quelques petits voyageurs de passage, à l'image de Yume, Yunni et Astrid, déambulaient entre les multiples édifices.

« Tu as déjà manié une arme ? » questionna l’Épéiste.

Le petit groupe s'arrêta à l'ombre d'un grand arbre. Sur celui-ci était taillé l'inscription suivante : « Arbres aux Fées ». De drôles de petites lumières rougeâtres virevoltaient un peu partout autour du tronc. L'une d'elle se posa sur l'épaule dénudée d'Astrid. La lumière rouge se dissipa lentement, laissant place à un petit être. Ce dernier possédait une peau rouge pâle. Ses longs cheveux flamboyant étaient attachés en un chignon haut. Cela faisait ressortir l'étrange beauté de ses yeux blancs. Elle portait également une longue robe bustier sans manches qui lui recouvrait une partie de ses pieds.

« Qu'est-ce que c'est ? » s'interrogea la jeune fille.

Le petit être déplia ses petites ailes transparentes.

« C'est une Fée ? devina-t-elle.

‑ Pas vraiment, intervint Yunni. C'est une sous-race des vraies Fées. Elles sont appelées ainsi à tord à cause de leurs ailes.

‑ C'est fou de connaître autant de choses alors que tu n'es pratiquement jamais sortie de Fikternand ! s'étonna Yume.

‑ Tout ce que je sais du monde, je l'ai lu dans les livres..., expliqua l'Invoqueur d'une petit voix.

‑ Et donc, comment elles s'appellent ? continua la brune, sentant l'ambiance devenir maussade.

‑ Des Falkies.

La Falky sourit. Elle semblait comprendre que l'on parlait d'elle. Le petit être fit battre ses ailes vigoureusement. Elle sauta dans le vide, puis s'envola au loin. Elle rejoignait les branches hautes.

« Bon, et si on revenait à nos moutons ? » proposa Yume.

Les bras sur le torse, il toisait Astrid d'un mauvais œil.

« Tu as déjà utilisé une arme ? »

La jeune fille secoua la tête négativement.

« Les armes sont interdites dans mon pays, expliqua-t-elle.

‑ Super, on est bien avec ça !

‑ Même pas une dague ? » s'étonna Yunni.

La jeune fille au regard de sang répondit négativement une nouvelle fois.

« J'ai déjà fait du tir à l'arc une fois à l'école, mais…

‑ OK, super, on garde ! Suis-moi ! »

Impatient, Yume lui attrapa énergétiquement la main et l'entraîna à sa suite. Il espérait pouvoir trouver un bon magasin d'armes rapidement.

Alors qu'ils marchaient à vive allure à travers l'avenue, le jeune homme nota quelque chose d'étrange concernant Astrid. À travers son gant noir, il pouvait tout de même sentir la main glaciale de la jeune fille. Était-elle aussi froide physiquement que moralement ?

Yume s'arrêta devant une bâtisse qui dénotait par rapport aux autres bâtiments autour. Il était fabriqué de briques noires obsidiennes. Sur les mûrs se trouvaient de grosses tâches rouges irrégulières. C'était à se demander s'il ne s'agissait pas de sang. L'entrée était entourée de deux chandeliers aux flammes vertes inquiétantes. Elles rappelaient les prisons souterraines de Fikternand. Pour pouvoir entrer dans l'enceinte même du magasin, il fallait franchir deux grilles de fer. On pouvait apercevoir derrières celles-ci un escalier tout aussi sinistre que le reste du décor.

« Tu veux vraiment entrer là-dedans ? s'inquiéta Yunni.

‑ C'est un Draguman qui doit tenir cette armurerie, pas de quoi avoir peur.

‑ Mais comment tu peux savoir ça ?

‑ Ca se voit à la déco, argumenta Yume.

‑ Pff, que de clichés ! Je vous préviens : je rentre pas là-dedans, je vous laisse que tous les deux. »

Astrid regardait tour à tour les grilles et Yume. Peut-être cherchait-elle à savoir s'il parlait sérieusement ou bien s'il plaisantait.

« Non mais c'est sérieux ?! Je veux pas rentrer moi !

‑ Allez, tu vas voir, il est très gentil… »

Yume s'avança vers la grille. Il força sur la poignée pour la faire céder, mais elle sembla vouloir lui résister. Lorsqu'il parvint à la faire bouger, la grille s'ouvrit dans un long crissement strident, à la manière d'une vieille porte qui grinçait.

« … Ou pas en fait » finit-il dans un murmure.

À contre cœur, Astrid le suivit.

Yume posa à peine un pied sur l'escalier que celui-ci se mit à craquer dangereusement. Une deuxième marche en plus et ses doutes étaient fondés : l'escalier menaçait de céder à tout instant. Le jeune homme voulut s'agripper à la rambarde pour bénéficier de plus de sûreté, mais celle-ci ne semblait guère mieux. Il ne lui fallut qu'une seule main pour se tenir et éviter de tomber qu'elle se détacha elle-même des marches. Elle s'écrasa au sol dans un lourd fracas métallique.

L'Épéiste se tourna vers Astrid, les yeux grands ouverts.

« Je crois qu'on va monter chacun notre tour.

‑ Ou on peut faire demi-tour aussi ! »

Yume souffla. Qu'est-ce qu'elle pouvait être bornée !

« Tu peux partir si tu veux, mais c'est moi qui ai l'argent. »

Prenant son courage à deux mains, le jeune homme arpenta prudemment les vieilles marches de pierres. Peut-être était-il temps pour le propriétaire des lieux de les changer et d'investir dans de nouvelles ! « Remarque, pensa Yume, il doit pas ramener beaucoup de client avec une façade aussi terrifiante. Les chiffres doivent pas être bien hauts… » Peut-être que l’Épéiste lui laisserait un gentil pourboire à l'occasion.

Après avoir manqué de tomber plus de cinq fois, Yume parvint enfin à la véritable entrée du bâtiment. Finalement, vivre dans les arbres, en hauteur, ne devait pas être facile tous les jours !

« C'est bon, tu peux monter ! » hurla-t-il à son amie restée en bas.

Même tout en haut, Yume pouvait entendre les marches craquer sous le poids d'Astrid. Mais aussi les nombreux hurlements de terreur qu'elle lâchait très souvent. Il ne les comptait même plus, tellement ils lui semblaient nombreux !

Un sourire sadique aux coins des lèvres, le jeune homme se tourna vers l'étrange armurerie pour la détailler. Sa façade ressemblait en tout point à la muraille d'en bas : mêmes briques noires, mêmes tâches de sang lugubres. La véritable entrée cette fois-ci se composait de deux larges portes violettes. Un symbole représentant un dragon rouge était dessiné en plein milieu. Le bâtiment possédait également deux petites fenêtres. Seulement, impossible de voir ce qu'il se cachait derrière celles-ci. Une large couche de poussière y avait élu domicile, et d'épais rideaux opaques empêchaient de voir quoi que ce soit. Cet endroit n'avait vraiment rien de rassurant ni d'accueillant depuis l'extérieur, alors Yume se demandait sérieusement quels genres d'armes ce magasin pouvait bien receler !

Une chose était sûre : il ne s'était pas trompé sur l'identité du propriétaire. L'énorme dragon rouge demeurait le symbole de la race des Dragumans. D'ailleurs, il était rare de croiser un des leurs à Onyrik. Les Dragumans vivaient principalement dans les volcans torrides d'Aristofée. Il s'agissait de leur territoire depuis des siècles. Ils ne le quittaient que pour une seule raison : vendre leurs armes. Les Dragumans étaient réputés comme les meilleurs forgerons du continent.

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