Chapitre 20.1 : Astrid

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Astrid et Yume avait marché de longues heures, longeant à la fois la côte du lac Aneco ainsi que la Forêt des Hiboux. Le soleil déclinait de plus en plus vers l'horizon, ramenant à lui ses doux rayons lumineux et teintant le ciel d'une très belle couleur orangée. La lune, toujours aussi ronde dans ce monde, prenait petit à petit la place de la puissante étoile. Elle serait encore bleue, ce soir.

Les premières étoiles apparurent dans le ciel lorsque les deux jeunes gens quittèrent enfin les hauts Herazoniers. Durant tout cet épuisant trajet, car le soleil d'été cognait plutôt fort contre leur tête, ni Astrid ni Yume n'avait osé ouvrir la bouche. Peut-être à cause de la chaleur, mais aussi de la tristesse et de l'inquiétude provoquée par le départ soudain de leur amie. Astrid avait certes plus qu'encouragé sa quête d'amour pour retrouver Fab, mais, au fond, elle se demandait si c'était une réelle bonne idée. Elle comprenait son besoin de sauver la personne pour qui elle éprouvait des sentiments, car, comme elle l'avait elle-même expliqué, un puissant lien les reliait, tous deux. Mais cette simple raison était-elle suffisante pour mettre sa vie en péril ? Astrid ne savait pas de quoi la Milice était capable, mais de ce qu'elle en avait compris, ils agissaient comme une sorte d'armée. Mais Yunni, seule, face à ces soldats – si elle venait à les rencontrer – avait-elle l'ombre d'une chance ?

Le paysage forestier laissa place à d'immenses prés à la verdure luxuriante. Sur le côté Nord, l'on pouvait apercevoir une haute chaîne de montagnes dont le sommet était recouvert de neige. Comme intriguées par celles-ci, Astrid laissa son regard se perdre aux cimes des hauts pics montagneux, se demandant quels genres de paysages pouvaient bien s'y cacher derrière.

« Ce sont les frontières d'Onyrik, expliqua Yume en croisant les bras sur son torse.

‑ Le Royaume d'Aristofée se trouve derrière ? questionna la jeune fille, curieuse, et dont le regard rubis ne voulait se détacher du sommet des montagnes sinueuses.

‑ Non, fit Yume en fronçant les sourcils. C'est une terre sacrée. Personne n'a l'autorisation de franchir cette barrière naturelle.

‑ Des terres sacrées ? » répéta la brune en lançant un regard empli d'incompréhension à l’Épéiste.

Elle vit Yume poser ses mains sur les hanches et bomber le torse, comme pour se donner un air plus imposant. Sans doute voulait-il l'impressionner en lui montrant une petite partie de son savoir.

« On raconte que derrière les chaînes de Fujob – c'est le nom de la chaîne de montagnes…

‑ J'ai cru comprendre…, marmonna la brune dans sa barbe tout en le coupant dans ses explications.

‑ … se cache en réalité les Terres Sacrées, qui renfermerait l'Aïoh, qui, selon les légendes, serait l'arbre dont les racines donnent toute vie à ce continent. »

Astrid croisa les bras sur sa poitrine, levant un sourcil. Un arbre défendu qui donnerait vie à un continent tout entier, comprenant ainsi plusieurs royaumes ? Elle peinait fortement à y croire.

« Pourquoi pas, finit-elle par lâcher dans un seul souffle. Mais, honnêtement j'ai du mal à croire que personne n'ait jamais mis les pieds là-bas.

‑ Certains ont déjà dû désobéir aux règles et tenter de franchir les montagnes.

‑ Seulement tentés ?

‑ Personne n'est jamais revenu pour nous parler de ce qu'ils avaient découvert, argumenta Yume. L'on raconte que vivent dans les montagnes les bêtes les plus féroces qui soient pour dissuader quelconque visiteur de trop s'aventurer dans les montagnes. »

Tout en disant cela, le jeune homme avait commencé à tourner tout autour d'Astrid, imitant ainsi une créature rodant autour de se proie.

« Mais ! reprit-il en insistant sur ce mot et se stoppant devant elle. Si par chance tu as réussi à passer les bêtes. Il te faudra ensuite affronter une marre de poison, un brouillard toxique, des tornades violentes, et j'en passe !

‑ OK, OK, j'ai compris, abandonna Astrid en brassant l'air de sa main, lui demandant ainsi se s'arrêter ici pour les explications. Mais comment tu sais tout ça ? »

Les mains dans les poches, Yume se contenta de hausser les épaules tout en effectuant une moue adorablement craquante.

« Yunni. Comme d'habitude.

‑ Bien sûr. Une autre réponse m'aurait étonnée, plaisanta à moitié l'archère qui reprenait tranquillement sa route.

‑ Hé ! s'irrita le jeune homme. Elle m'en a parlé parce que je le lui avait demandé ! Et puis, que l'on se mette d'accord, les histoires de montagnes ensorcelées, c'est quand même plus intéressant que des fruits agissant comme des filtres d'amour ! »

Même si elle se contenta de lever les yeux au ciel, un sourire amusé sur le visage, Astrid était complètement d'accord avec ses propos.

Plus loin devant eux s'étendaient à perte de vue des champs. Ils étaient disposés de çà et là à travers les plaines, et de nombreux hommes et femmes en travaillaient la terre.

Alors qu'elle passait à proximité des agriculteurs, Astrid en vit un se redresser pour éponger son front. Il s'agissait d'un très vieil homme, d'une quatre-vingtaine d'années environ. Il portait sur sa tête un vieux chapeau de paille qui commençait à s'effriter, à cause du temps. Il portait une simple salopette marron dont une bretelle manquait à l'appel, sans doute arrachée à en croire l'état de la couture de son vêtement. L'on voyait clairement qu'au niveau de son genou, le pantalon avait été rafistolé avec un bout de tissu appartenant à un autre habit, car sa couleur bleue foncée dénotait étrangement avec le reste de la salopette de travail. Il se portait même pas de chaussure.

Travailler sous ce soleil de plomb, et à cet âge-là, devait être si épuisant ! Pourquoi continuait-il à se tuer à la tache ainsi ? Il devait prendre du repos !

Voyant qu'Astrid le dévisageait depuis quelque minutes et, sans doute mal à l'aise, le vieil homme lui adressa un large sourire, suivit d'un signe de la main pour la saluer. Finalement, il semblait plutôt en grande forme pour son âge avancé.

Il prit ensuite une sorte de cor qui se trouvait un peu à l'écart des champs, le porta à ses lèvres, et souffla à l'intérieur tout l'air que pouvait contenir ses poumons. Un son grave mais tout de même étrangement mélodieux déchira le silence pensant des plaines. Aussitôt, tous les agriculteurs se relevèrent en même temps, donnant un effet presque chorégraphique. D'un commun accord, ils déposèrent leurs instruments dans une sorte de caisson se trouvant à l'entrée de chaque champs, avant que tous ne se divisent de part et d'autre de la plaine, allant soit en direction de la forêt au Sud, soit en s'enfonçant plus profondément dans les plaines.

« Fin de travail » expliqua Yume face à l'expression incrédule de son amie.

Cette dernière était restée bouche bée devant ce spectacle incroyable. Chez elle, les travaux aux champs était l'un des métiers le plus répugnés. Ici, les habitants du royaume semblaient prendre un certain plaisir à effectuer cette tâche pénible… au point où ils en dansaient presque !

Puis, sa curiosité prenant le dessus, Astrid s'approcha à petits pas vers les champs. Elle voulait savoir quels genres de fruits ou légumes ces agriculteurs devaient faire mûrir toute la journée. Quelle ne fut pas sa surprise d'y découvrir de toutes jeunes plantes bleues foncées, dont les petites feuilles en forme de pics, ressemblaient à des plants cristallisés. Au bout de la tige, là où devait normalement se trouver une fleur à pétale, se tenait un drôle de joyaux bleu octogonal. Un sourire naquit sur les lèvres de la jeune fille en constatant qu'elle connaissait le nom de ces drôles de légumes.

« Ce sont des Saphirs de Séréna non ? fit-elle, amusée.

‑ Tout à fait, confirma Yume en se penchant à son tour sur les plants de Joyaux. Il y en a dans une bonne partie des plaines.

‑ Donc… ce sont les plaines Séréna ? » comprit l'adolescente en écarquillant les yeux d'émerveillement.

Ses pupilles rougeâtres parcoururent avec ravissement et admiration le nombre incalculable de champs qui les entouraient. Tous ne comportaient que des Saphirs de Séréna ! Au moins, il n'en manquerait pas, vu la quantité incroyable qu'il y avait juste sous leurs yeux ! Mais cela n'expliquait toujours pas pourquoi ces cultivateurs semblaient si heureux de les faire pousser. Désirant en apprendre plus, comme toujours, Astrid s'empressa de le demander à Yume.

« Et bien, euh… »

Le blondinet posa une main sur la hanche, tout en se grattant l'arrière de la tête, l'air gêné. Il fuyait le regard de son amie également.

« Tu vois, hum, les Saphirs de Séréna, c'est tout de même un produit de luxe, donc, euh… »

Astrid croisa les bras sur sa poitrine, un sourire amusé plaqué sur les lèvres. Au vu de la façon dont il cherchait méticuleusement chacun de ses mots, il était plus qu'évident qu'il n'en savait en réalité absolument rien du tout lui non plus, mais qu'il n'osait pas le lui dire. Mais c'était assez rigolo à voir !

« Donc, comme ce sont des riches qui paient les agriculteurs, et bien, hum…

‑ Ils les payent plus que des agriculteurs normaux ? devina Astrid en haussant un sourcil, qui elle-même ne croyait pas en cette explication bancale.

‑ C'est ça ! Et donc, ils sont heureux ! »

Ne tenant plus, la jeune fille commença à exploser de rire. D'abord dévisagée par l’Épéiste, ce dernier finit bien rapidement par la rejoindre dans son fou-rire. Lui-même ne semblait pas croire en sa propre explication !

« Avoue-le : t'en sais pas plus que moi ! nargua la brune entre deux soubresauts.

‑ Franchement ? Les méthodes de travail des cultivateurs de Saphirs des Séréna, c'est pas vraiment ce qui me passionne le plus dans la vie ! »

Les deux amis respirèrent un bon coup, histoire d'évacuer toute leur envie de rire. Ils devaient impérativement se reconcentrer et trouver un moyen de franchir la frontière entre Onyrik et Aristofée rapidement, avant que l’Élite ne leur tombe dessus.

« Bon, on ferait mieux de se remettre en route, la nuit commence à tomber, dit Yume en levant les yeux vers le ciel. On va marcher encore un peu, histoire de s'éloigner le plus possible des champs, puis on installera notre petit campement de fortune. »

Astrid acquiesça d'un simple hochement de tête. Puis ils reprirent leur quête.

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