Chapitre 17.3 : Astrid

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La Chimère envoya un assaut – certes bien moins important – de tentacules vers Astrid. Elle entreprit de les esquiver, lorsque la température de l'eau chuta subitement. Les bras visqueux se retrouvèrent soudainement piégé dans ce qui s'apparentait être de la glace. La brune tourna la tête et aperçu Yunni, les sourcils froncés, et son bâton entre les mains.

« Voilà donc celle qui souhaite faire de moi son esclave. »

La créature rappela tous ses tentacules sur sa chevelure. Il flotta en direction de l'Invoqueur, sans essayer de s'en prendre à elle toutefois.

« Mes Chimères ne sont pas mes esclaves, affirma-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

‑ Ha ! C'est ce qu'ils disent tous ! siffla la Chimère. En tout cas, je me dois de vous féliciter. »

La bête commença à tourner tout autour de Yunni tout en continuant à lui parler.

« Vous êtes tenaces, je vous l'accorde. D'ordinaire, ils s'enfuient tous après le premier assaut, après les premiers signes d'infection. »

L'homme-poisson se stoppa juste à quelques centimètres de la jeune fille.

« Mais je me demande… combien de temps vous allez encore tenir. »

Une nouvelle salve de tentacules jaillirent direction de Yume et Astrid. Ces derniers tentèrent de les esquiver d'une pirouette sur le côté pour la jeune fille et en les tranchant d'un revers de lame pour l’Épéiste. Seulement, leurs assaillants furent bien trop rapide que les fois précédentes. Les tentacules vinrent s'enrouler autour de leur corps, les bras collés contre leur taille, de sorte à ce qu'ils ne puissent pas riposter.

Astrid le sentit. Le poison qui s'infiltrait dans ses veines. Son corps tout entier semblait s'embraser, c'était une douleur insupportable.

Voulant se débarrasser de sa prison, la jeune fille battit follement des jambes pour se débattre, mais rien ne semblait faire l'affaire. Elle était prise au piège. Tournant la tête sur le côté, elle remarqua avec effroi que Yume était dans le même pétrin qu'elle. Il ne leur restait qu'un seul espoir pour enfin venir à bout de cette Chimère : Yunni.

Cette dernière regardait la scène avec horreur dans le fond de ses yeux vairons. Malgré la distance, Astrid voyait parfaitement le corps de la jeune fille trembler. Elle semblait complètement paralysée par la situation.

« Puisque c'est toi qui me désire, il est normal que tu doives te battre seule contre moi » expliqua la Chimère avec un sourire qui en disait long sur sa mesquinerie.

Yunni attrapa son bâton à deux mains, malgré ses tremblements qui ne faisaient que s'intensifier. Sans doute essaya-t-elle de lancer un sort pour commencer l'offensive, mais son ennemi fut bien plus rapide. D'un simple coup de nageoire, il l'envoya valser dans les ruines du château à proximité. La puissance de l'impact fit s'effondrer l'un des murs, perdant la jeune fille dans les débris.

« Quoi, c'est tout ? se moqua la créature. Allez, plus de cran ! »

Toujours avec ses proies entre les tentacules, la Chimère flotta tranquillement vers l'endroit où il avait éjecté Yunni. Avec ses bras désarticulés, l'homme-poisson parvint à déblayer les vieilles pierres. Dessous se trouvait l'Invoqueur, à moitié consciente, une marque violacée sur sa joue droite.

Sans ménagement, il empoigna sa victime grâce à ses tentacules, et la projeta au niveau d'une tourelle, qui s'effondra à son tour.

« Arrête ça ! » hurla Yume qui n'en pouvait plus de voir cet affreux spectacle.

La Chimère tourna la tête par son prisonnier.

« Sinon quoi ?

‑ Tu vas la tuer ! »

La bête sous-marine lâcha un profond rire forcé.

« Mais non, nous ne faisons que jouer…

‑ J'appelle pas ça jouer ! intervint Astrid à son tour. C'est plutôt de la torture ! »

La créature délaissa Yume pour s'occuper de son autre prisonnière. La jeune fille ravala sa salive en découvrant d'immenses yeux violets qui la fixaient avec démence.

« Peut-être veux-tu jouer avec moi, toi aussi ?

‑ Non, pas vraim… »

La brune n'eut pas le temps de finir sa phrase, que la Chimère s'apprêtait déjà à l'envoyer elle aussi dire bonjour aux ruines. Cependant, le monstre suspendu soudainement son geste, une expression de terreur figée sur le visage. Les tentacules défirent leur emprise sur les deux amis, à leur plus grand bonheur mais aussi étonnement. Qu'est-ce qui lui prenait, tout à coup ?

Sans un mot, la Chimère fonça en direction de la tourelle où elle avait projeté Yunni quelques instants plus tôt.

Malgré le poison qui s'insinuait de plus en plus dans leurs cellules et qui les rongeait de l'intérieur, Astrid et Yume se lancèrent à sa poursuite. En arrivant dans les ruines de la tour, la scène qu'ils virent les laissèrent sans voix. La Chimère, à présent agenouillée, docile, se tenait devant Yunni. Cette dernière, malgré les nombreuses traces de poison, d'ecchymoses, et de sang, portait entre ses bras un coffre en argent.

« Qu'est-ce que c'est ? questionna Yume en rejoignant son amie.

‑ Son cœur » informa de but en blanc l'Invoqueur.

A ses pieds, la Chimère grogna, visiblement contrariée.

« Son cœur ? » répéta Astrid qui n'en croyait presque pas ses oreilles.

Comment pouvait-on vivre sans cet organe vital ? Comme pour vérifier qu'elle disait bien la vérité, la jeune fille s'approcha du coffret. Il semblait forgé dans de l'argent, comportant des motifs de sirènes ainsi qu'une inscription sur son couvercle. On pouvait y lire « Hachedézo ». Yunni lui expliqua qu'il s'agissait du nom de la Chimère.

On ouvrant le coffre, Astrid constata avec dégoût que, effectivement, un cœur encore palpitant battait toujours follement à l'intérieur. Au niveau de sa forme, il apparaissait en tout point identique avec celui d'un être humain. Cependant, sa couleur vert foncé prouvait qu'il n'appartenait pas à un Homme. Ce cœur baignait également dans un liquide violacé.

« Pourquoi t'être arraché le cœur ? demanda Yunni qui persistait à rester forte malgré ses profondes blessures et le poison qui commençait de plus en plus à se faire sentir.

‑ Pour ne plus rien ressentir. Aucune émotion. Aucune compassion. Rien. Ne plus s'attacher à autrui et ne faire confiance qu'à soi-même.

‑ C'est égoïste comme raisonnement, désapprouva Yume. C'est en restant seul que l'Homme devient faible.

‑ Es-tu bien sûr de toi, jeune homme ? »

Hachedézo darda son regard violet sur l’Épéiste, le défiant mentalement. Cela se jouerait à celui qui craquerait le premier.

« Nous aurons tout le temps de débattre sur ce sujet, interrompu la Chimère. Yunni, je m'en remets désormais à toi.

‑ Quoi ? » s'étonna l'Invoqueur.

Hachedézo se releva et fit une révérence devant sa nouvelle maîtresse.

« Je mets mes services entre tes mains. Vous m'avez prouvé, tous les trois, que les humains peuvent parfois accomplir de grandes choses lorsqu'un lien puissant les unis. J'aimerais comprendre la nature même de cette force, et ce n'est qu'en vous accompagnant que je mettrai la main sur la vérité. Mais avant cela… »

L'homme-poisson plongea sa main humanoïde dans le coffre et y piocha son cœur. Là, il le rentra avec violence dans sa poitrine, lui arrachant un léger cri de douleur. Puis, au même moment, les traces de poison sur le corps des trois amis disparurent aussitôt. Il n'y avait plus aucune marque violette. Plus aucune brûlure. Comme s'il ne s'était jamais rien passé.

« Retrouver mon cœur m'a permis de réparer mes erreurs, expliqua-t-il seulement, restant plutôt mystérieux quant à leur guérison soudaine. Il est temps pour moi de revêtir ma véritable forme. Tu sais ce qu'il te restera à faire par la suite, Yunni. »

Cette dernière approuva d'un hochement de tête.

Tout à coup, le corps de Hachedézo se mit à luire intensément, renvoyant des rayons semblables à ceux du soleil. Tous durent fermer les yeux pour éviter de se faire aveugler par cette soudaine lueur. Puis, en les rouvrant, Astrid remarqua qu'en face de Yunni flottait désormais une petite sphère bleue turquoise. L'Invoqueur la récupéra et la porta contre son cœur.

« On a réussi…, murmura-t-elle, les paupières closes et un petit sourire sur les lèvres. Ma troisième Chimère. »

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