Chapitre 1.1 : Astrid

8 minutes de lecture

 Le mois d'avril. Les insectes bourdonnaient, les fleurs bourgeonnaient. Le printemps. Mais aussi les cours ennuyants.

 Une jeune lycéenne, Astrid, assistait à son cours d'anglais dans son lycée pourri.

La main gauche écrasée sur sa joue et l'autre tenant un crayon, la jeune fille préférait dessiner plutôt que d'écouter sa professeure. Il s'agissait de la période de l'année où elle commençait à décrocher. Enfin, elle l'avait déjà fait depuis le mois de décembre.

 Astrid relâcha alors son crayon pour replacer une mèche de ses cheveux de jais aux pointes bleues derrière son oreille. Cela l'empêchait de voir ce qu'elle faisait. Elle reprit ensuite son instrument et continua son gribouillage. Ses yeux noirs fixaient le bout de papier à l'origine blanc mais désormais recouvert de traits crayonnés. D'ordinaire, la jeune fille dessinait vraiment ce qui lui passait par la tête. Un petit cœur, une fleur, un œil… Bref, des petits gribouillis sympathiques. Seulement, depuis quelques jours, un visage revenait sans cesse. Il s'agissait d'un garçon d'environ son âge. Il avait de courts cheveux blonds en bataille et des yeux bleus lagons. Elle ignorait d'où lui était venu cet étrange personnage ni depuis quand elle l'avait inventé. Elle le trouvait assez charmant, mais clairement pas son style. D'abord, Astrid ne s'était jamais réellement intéressée aux garçons. De son âge ou non. Elle entendait souvent des jeunes filles s'émerveiller devant tel ou tel acteur. Astrid trouvait cela complètement ridicule. Comment pouvait-on être amoureuse d'un homme uniquement pour son physique ? De plus, ces types-là ne les connaissaient même pas et avaient, pour la plupart, déjà fondé une famille.

 Alors qu'elle allait finir de dessiner les cheveux de son personnage, une voix la coupa dans son geste.

 « Well, Astrid. Can you repeat, please? »

 Elle leva les yeux vers son professeur. C'était une femme. Elle avait des cheveux châtains et des yeux couleur noisette. On pouvait d'ailleurs remarquer quelques rides aux coins de ceux-ci. Quel âge devait-elle avoir ? Environ une quarantaine d'année ? Astrid l'ignorait.

 La jeune fille haussa les épaules.

 « Je sais pas, j'ai pas entendu. »

 Astrid ne prenait même pas la peine de répondre en anglais. Déjà qu'être là ne l'enchantait pas, alors elle n'allait pas prendre la peine de faire des efforts non plus.

 « Forcément, tu ne risquais pas d'entendre en dessinant en même temps. »

 La prof ne haussait même pas le ton, mais sa voix reflétait toute la sévérité dont elle pouvait faire preuve.

 L'adulte lui arracha son papier des mains.

 « Tu viendras me voir à la fin du cours » annonça-t-elle toujours sur le même ton.

 Astrid souffla et s'affala sur sa chaise. Elle voulait tellement le finir, ce dessin ! Il lui avait demandé une bonne partie de la nuit plus les deux heures de cours d'avant ! C'était l'un des plus beaux qu'elle avait réalisé ! Comment osait-elle lui prendre comme ça, devant les yeux de tous les autres élèves ?! Astrid mourait d'envie de se lever et de le lui arracher des mains. Mais sentant tous les regards de ses camarades sur elle, la jeune fille s'abstint. Elle allait encore se donner en ridicule pour rien et passer pour l'idiote de la classe. Elle s'était déjà assez mis la honte durant l'année devant les autres. Pas question de subir des moqueries une fois encore.

 Astrid sentit soudain un coup de coude contre son bras. Elle déplaça à peine son regard vers sa voisine de table.

 « Tu devrais vraiment arrêter.

- Amy, tu sais bien que j'en ai rien à faire des cours. »

 La dénommée Amy leva les yeux au ciel puis se concentra de nouveau sur la leçon, contrairement à sa meilleure amie. Ses cheveux blonds attachés en une queue de cheval reflétaient légèrement son air un peu strict. Quant à ses yeux verts, ils fixaient le tableau affichant le cours du jour. Rien de bien intéressant - comme tous les cours en somme. Un truc sur la génétique. Très scientifique donc. En anglais ça rendait le sujet encore plus… lassant.

 Astrid et Amy se connaissaient depuis un an seulement. Mais les deux jeunes filles avaient immédiatement développé un lien très fort. Elles plaisantaient sur les mêmes choses, débattaient sur les mêmes sujets fâcheux dont certains n'osaient pas discuter, partageaient les mêmes centres d'intérêt pour les jeux vidéo et les mangas, mais aussi bien d'autres choses. Certain disaient même qu'elles ressemblaient à deux fausses jumelles, toujours collées l'une à l'autre. Lorsqu'une n'était pas là, l'autre ne savait plus quoi faire. Amy et Astrid se disputaient très souvent. Comme de véritables sœurs, finalement.

 Astrid posa ensuite son coude droit sur son bureau puis écrasa sa joue contre sa main. Elle s'ennuyait à mourir. Pas question pour elle de commencer un nouveau dessin. L'adolescente voulait d'abord finir son premier. Sinon, il allait tomber à l'abandon, comme ses prédécesseurs. Bon nombre de ses croquis étaient toujours inachevés, et elle comptait bien le terminer, celui-là ! Après tout, il faisait partie de ses plus beaux. Rares faisaient partie de cette liste ! Peut-être une dizaine maximum...

 La professeure annonça alors les quelques devoirs pour dans deux jours : apprendre la leçon - qu'Astrid n'avait bien évidemment pas noté - et faire deux exercices dans le manuel. Comme d'habitude, la jeune fille allait demander de "l'aide" à Amy. Ca allait encore être sa meilleure amie qui ferait tout le travail. Comme à chaque fois qu'elle n'écoutait pas le cours, de toute façon.

 L'affreuse sonnerie retentit finalement dans tout le bâtiment, indiquant ainsi la fin de l'heure. Pourquoi affreuse ? Pour la simple et bonne raison qu'il s'agissait d'une petite mélodie vraiment agaçante, à la longue. Elle avait été installée lors de la fin d'année de seconde d'Astrid. L'ancienne, très classique, semblait pourtant très bien. Mais jamais les élèves ne comprendront pourquoi l'avoir changé en cette horrible musique de trente secondes.

 Comme prévu, la brune aux mèches bleues resta dans la salle, attendant que tout le monde sorte pour pouvoir récupérer son dessin. Croisant les bras, elle regardait presque méchamment ses camarades de classe sortir de la salle. Le temps qu'ils partent tous semblait interminable, comme s'ils le faisaient exprès !

 Cela l'exaspérait et la rendait d'autant plus sur les nerfs. Amy lui adressa ensuite un regard désolé.

 « Je t'attends dehors » lui indiqua-t-elle avec un faible sourire.

 Amy aurait bien aimé sortir Astrid de cette embrouille mais que pouvait-elle faire face à un professeur ? Rien du tout, malheureusement. Elle, la petite fille modèle, ne pouvait pas se permettre de perdre sa splendide image de fifille parfaite et sans histoires. A se demander comment Astrid et elle pouvaient aussi bien s'entendre. Elles semblaient tellement différentes mais identiques à la fois. Un véritable mystère...

 Une fois tous les élèves sortis, l'adulte alla fermer la porte de la salle, baissant ainsi le volume sonore insupportable venant du couloir. Elle prit ensuite une chaise qu'elle plaça devant son bureau puis invita Astrid à s'installer. Soupirant, la jeune fille s’exécuta. Elle déposa son sac au sol puis croisa les bras sur sa poitrine tout en fixant son dessin. Elle voulait juste le récupérer le plus rapidement possible.

 « Tu as de grands talents, tu sais. » complimenta la professeure.

 Astrid ne perçut aucune ironie dans sa phrase. Cependant, ce n'était pas en l'amadouant qu'elle allait gentiment se laisser passer un savon. Affirmer cela était très mal la connaître.

 Elle rendit le dessin à son élève. Cette dernière s'empressa de le reprendre et de le ranger soigneusement dans une pochette pour ne pas l'abîmer. Après tout, elle se devait d'en prendre soin. Des dessins aussi beaux, et sans modèle qui plus était, ne lui arrivait pas souvent.

 Astrid allait ensuite partir, puisqu'elle avait récupéré ce qu'elle voulait mais l'adulte la retint encore.

 « Parlons un peu de tes notes, ce trimestre. »

 La jeune fille soupira. Elle savait déjà ce qui l'attendait. La moitié du trimestre était déjà entamé et ses notes ne faisaient que chuter. De plus en plus. Elles atteignaient presque le zéro, parfois. Pas seulement en anglais. Dans toutes les matières. Les cours ne l'intéressaient plus. Pourtant, Astrid savait bien que son avenir était en jeu, beaucoup plus que l'année précédente. Mais voilà, l'envie l'avait entièrement quittée. Elle faisait cependant un effort pour venir au lycée. Astrid pourrait tout aussi bien rester chez elle, à dessiner ou à faire autre chose dont elle mourait d'envie.

 L'adulte ouvrit un cahier à petits carreaux où elle rapportait toutes les notes de ses élèves. Elle posa ensuite son doigt sur son nom.

 « Huit à la compréhension orale ; cinq au contrôle de connaissances ; quatre à l'interrogation orale du cours précédent. C'est de pire en pire. »

 Elle referma son horrible cahier puis leva le regard vers son élève.

 « J'ai parlé de toi avec mes collègues. Tous me disent la même chose : Astrid n'écoute pas ; Astrid a le regard dans le vague ; Astrid dessine ; Astrid écrit mais pas la leçon. »

 Astrid ravala sa salive. Tous ses professeurs suivaient attentivement ses moindres faits et gestes ? Ca ressemblait presque à du voyeurisme !

 « Ton enseignant d'éducation physique et sportive m'a également rapporté que tu sèches ses cours. Pourquoi ? »

 Elle haussa les épaules. Elle ne savait pas vraiment quoi répondre. Qu'elle trouvait le sport inutile à l'éducation ? Qu'elle détestait la discipline vue en ce moment ? Qu'elle avait peur du regard des autres ? Tout ce dont à quoi elle pensait semblait ridicule à entendre. Pourtant, pour elle, ça ne l'était pas. Astrid se contenta donc de regarder la personne en face d'elle dans les yeux. Elle ne disait rien, tel un mur. Bizarrement, même les murs de la salle semblaient bien plus attrayants. Juste derrière le bureau de Madame Zalie – c'était son nom – se trouvait une carte du Royaume-Uni. Mais aussi une des États-Unis, de l'Australie, et autres pays anglophones. Ces cartes-ci, plus petites, entouraient l'immense représentant le Royaume-Uni. « Drôle de manière de disposer des cartes de pays », se disait Astrid.

Qu'est-ce que cela peut bien lui faire, d'après toi ? Elle s'en fiche pas mal des problèmes de ses élèves ! Tout ce qu'elle veut, c'est qu'ils aient de bonnes notes pour avoir ensuite une "vie confortable". Mais à quoi ça sert, au fond, de vivre confortablement si on est pas heureux ? N'est-ce pas ? Qu'est-ce que tu en penses toi ? Est-ce que "vivre confortablement", avoir du pouvoir, de l'argent, peut rendre heureux ? Ne peut-on pas trouver autre chose que cela ? A cette époque je n'aurais jamais trouvé. Mais maintenant... Tu es là. Enfin, tu étais là je devrais dire. Tu es ma raison de vivre. Comment je peux faire, maintenant, que tu n'es plus ? Que vous n'êtes plus... J'ai comme l'impression que, petit à petit, je perds moi aussi la vie. Elle s'envole, s'effrite, sans que je ne puisse rien faire. Si je l'avais écouté, ce jour-là, tu crois que ça aurait changé quelque chose pour moi ? Je ne le saurais sans doute jamais…

Annotations

Vous aimez lire Blanche Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0