Il s'appelait Ernest

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Il s’appelait Ernest, c’était mon grand-père maternel.

Je ne vais pas raconter toute sa vie, ce serait trop long, mais au moins ce dont je m’en souviens.
J’ai vécu chez mes grands-parents jusqu’à trois ans avec mes parents, crise du logement oblige en 1950 à ma naissance. Mon grand-père, bon-papa comme je l’appelais - c’était l’usage dans la famille - était un homme très bon et je voyais dans le couple qu’il formait avec ma grand-mère, bonne-maman, l'union idéale. Ils ont dû beaucoup s’aimer pour s’accrocher à cette longue vie ensemble et se le disaient.
Bon-papa était Français. Il possédait ce style vieille France, dans laquelle maman a grandi et moi aussi par la suite. C’était un homme cultivé et vouait au Général de Gaulle une véritable adoration. Il avait fait la Grande Guerre 14-18, surtout à Verdun, où il a reçu la croix de guerre.
Il était très discret à ce sujet et ce n’est qu’elle qu’il portait sur son veston et aucune autre décoration.

A l’époque, en tant que Belge, je n’y connaissais rien, ce n’est que plus tard, aux environs de mes cinquante ans, que j'ai mieux compris. Il est né comme ma grand-mère au XIXème siecle. En écrivant cette naissance, cela me fait tout drôle, car ils en ont vécu de nouvelles découvertes. Hélas aussi la seconde guerre mondiale fit de cette famille argentée, une autre différente.
Lorsque j’allais dans leur grande maison de maître située pas loin de l’actuelle grand immeuble du Marché Commun, (Place Schuman), actuellement l'Union Européenne, à l’avenue Michel-Ange, j’aimais y aller, je me sentais chez moi.

Il avait une très belle voix et chantait des duos d’opéras ou d’opérette avec ma grand-mère qui avait obtenu un premier prix au Conservatoire de Bruxelles en tant que soprano.
Il faisait dans le passé, avec ma grand-mère du théâtre d’amateur. Il jouait au tennis, assurait les chevaux chez les propriétaires. C’était lorsqu’ils étaient plus jeunes.
Ils recevaient beaucoup de monde en ce temps-là. J’arrête ici mes souvenirs. Ma bonne-maman m’en parlait tellement de cette belle époque pour eux deux.
Il avait son bureau au rez-de-chaussée surélevé, le salon à front de rue, où j’ai connu une société de déménageurs encore tiré par des chevaux. (si ma mémoire ne me fait pas défaut.)

Lorsqu’ils durent déménager, dans un tout petit appartement, près des squares Marguerite et Marie-Louise à Bruxelles, où se trouve une des plus belles maison Horta, toute étroite, c’est dans cet appartement de la rue Jenneval que mes souvenirs sont les plus vivaces. Ne pouvant étudier chez mes parents pour les examens d’hiver en décembre, mais surtout ceux de fin d’année, les plus importants, j’avais pu obtenir de rester chez eux pendant quinze jours.


Auprès d’eux, je me sentais aimée, et puis j’étais dorlotée et cela faisait tellement du bien. Mon bon-papa et ma bonne-maman avaient des gestes tendres l’un vis-à-vis de l’autre. Ma bonne-maman prenait la tête mi-chauve de mon grand-père autour de ses bras, et elle lui disait : « J’ai si peur que tu partes avant moi ». Il la rassurait avec amour. A l’époque en tant qu’ancien assureur pour une société située à Paris, il avait encore des dossiers d’assurance-vie qu’il traitait et pour lequel il était payé. La retraite était petite, ma grand-mère n’ayant jamais travaillé. Je le voyais donc travailler derrière son grand-bureau qu’il avait pu conserver, et sa machine à écrire, les toutes vieilles à touche, avec le levier retour-chariot. J’avais appris à taper sans regarder à l’école avec ce genre de machine. Cela donnait aux doigts de la force à la frappe. Plus tard dans le notariat, j’en ai eu bien besoin avec les machines à boules IBM.

Il m’apprenait comment écrire une lettre, comment la rédiger. Les assurances ne m’intéressaient nullement alors qu’il aurait bien souhaité que j’y entre. Il essayait de me convaincre de l’utilité des assurances-vie. Cela m’a vraiment marquée. Je n’ai jamais rien dit à son encontre, j’écoutais.

Pour me faire plaisir, aussi bien l’un que l’autre, ils me préparaient ce que j’aimais. Ma grand-mère des pâtes au gratin, macaroni faite avec une sauce béchamel maison, au gruyère qui filait et des morceaux de jambon. J’ai conservé en souvenir, le plat allongé dont elle se servait en fonte rouge.

Mon grand-père adorait me préparer un américain frites salade. C’est un plat très belge.
L’américain fait maison bien entendu avec du bœuf acheté dans l’avenue au coin de la rue, et passé dans une machine spéciale. Cela se fait encore à Anderlecht dans un restaurant où l’américain est préparé devant les clients pour en garantir la fraîcheur.
Il y mettait un jaune d’œuf, de la sauce anglaise, de la mayonnaise, pas de trop, sinon c’est pas bon, des câpres. J’espère ne rien avoir oublié. Ma grand-mère faisait les frites dans une casserole en fonte avec une grille. Elle était Liégeoise. Mon grand-père Parisien.

L’après-midi, lorsque j’étudiais pour mon examen du lendemain ou bien pour les deux lorsque c’étaient par exemple chimie et physique, ce n’étaient pas pour nous en section Sciences Économiques des cours importants, une heure par semaine, je me couchais à neuf heures et demie et le lendemain me levais à cinq heures. J’étais plus fraîche pour apprendre par coeur, ayant une très mauvaise mémoire pour les examens de fin d'année, écrits ou oraux.

Le soir je m’endormais, en écoutant la litanie du chapelet : Le rosaire et ensuite d’autres prières avec lesquelles je m’endormais comme une douce litanie.
Ils étaient tous les deux catholiques, fervents de la Vierge Marie. Je devais les accompagner à la messe le dimanche, pour moi, un calvaire pour l´office de onze heures.
J’ai modifié toutes mes pensées à ce sujet dans les années 1990.
Il y avait les rites. Le repas était prêt, je mourais de faim, et nous devions rester à jeun pendant trois heures pour aller à communion. Ah ! les dogmes ! Entre le protestantisme de mon père, le catholicisme de mes grands-parents, le ton était parfois rude, mais mon grand-père arrivait à se faire comprendre et se faire respecter dans leurs différences par un père totalement intolérant. Aujourd’hui je comprends mieux le discours de mon père à ce sujet, même si je suis restée chrétienne à ma sauce personnelle.

Je dormais dans leur salon, dans cet appartement, sur un lit-divan ancien ayant déjà servi pour un membre de la famille dans cette maison de maître. Mon grand-père venait me souhaiter bonne nuit, m’embrassait sur la joue, en me disant qu’il m’aimait. Il me faisait le signe de la croix sur le front. C’était leur foi et je la respectais. Aujourd’hui, j’y repense en l’écrivant avec beaucoup d’émotions.

Mon grand-père est pour moi la seule référence masculine que j'ai pu retenir lors de son décès, j'avais ving-et-un ans. Un homme bon, rempli d'amour pour sa petite-fille. Si j’ai parlé des deux, c’est que pour moi l’un ne va pas sans l’autre. Ils sont en moi indissociables et unis. Et je ressens qu’ils sont là près de moi.

Mantille

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