Chapitre 38

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Lorsque mon Jungle Green et le spritz de Julien nous furent servis, nous nous lançâmes dans les comptes à rendre.

– Pourquoi tu as refusé de me répondre, tout ce temps ? l’invectivai-je, d’un ton agressif. Et pourquoi tu décides de le faire maintenant, en me donnant rencard comme bon t’arrange, sans passer par les messages ? Hein, ces messages que tu as ignorés, en me laissant moisir dans l’attente !

– Et toi, comment t’imaginais que je réagirais, en me lâchant au dernier moment, un jour où j’avais tout préparé pour qu’on se voie ? J’avais pris un jour de congé et réservé toutes les activités de la journée en me projetant déjà, et j’ai pas compris, sur le coup, que tu me laisses en plan sans explication, pour passer la journée avec ton amie. Sur le moment, j’ai vraiment pensé que ça comptait pas, à tes yeux, et que j’avais eu tort de croire que ta démarche de me révéler tes sentiments était sincère.

J’étais sincère, répliquai-je vertement, tandis que des clients nous jetaient des regards en biais, et je me suis excusée le lendemain en t’expliquant les raisons de ma décision d’annuler notre sortie. Sauf que tu n’as pas lu mes messages et tu as préféré rester dans l’ignorance en me boudant comme un enfant de cinq ans !

– Oui, je sais, j’ai appris il y a quelques jours, ce qui t’avait poussé à pas venir.

La voix de Julien s’était calmée. Il reprit, après un silence qui laissa aux clients autour de nous le temps de se désintéresser de notre échange.

– Evie m’a contacté l’autre jour. Elle m’a expliqué la situation. C’est vrai, j’avais pas lu tes messages, parce que je voulais couper court avant d’être plus blessé que ça. Je m’étais dit que c’était pour ça que tu voulais pas être en couple, parce que tu savais que ça finirait mal, que t’étais pas capable de conserver un lien. Et je t’ai jugée trop vite, en voulant me protéger.

– Evie t’a appelé ? dis-je, ahurie, ignorant le reste de sa déclaration. Pourquoi ?

– Elle voyait que t’étais euh… triste, et elle voulait nous remettre en lien, je crois. Ça lui foutait les boules de savoir que ça c’était fini comme ça, sur un malentendu.

Je ne répondis pas, réfléchissant à la façon dont Evie avait pu se procurer le numéro de Julien. Probablement en le demandant à Bruno, le frère de ce dernier. Je répondis d’un ton cassant :

– Eh bien, écoute, ravie d’apprendre que tu as fini par comprendre que mon intention n’avait jamais été de te laisser tomber volontairement, mais c’est trop tard. Je suis passée à autre chose.

Mon mensonge me tira presque une grimace, mais je me retins et tentai de garder une expression impassible, pour ne pas trahir l’émotion qui m’enserrait le cœur.

– Je suis désolé, Nat, bafouilla Julien, l’air profondément navré. J’ai réagi de manière trop excessive par peur que ce que tu m’avais fait soit juste un échantillon de la suite de notre relation… J’avais peur que ce soit pire en continuant. Mais tu m’as terriblement manqué, en fait. Tout ce temps, j’ai pas arrêté de penser à toi. J’étais toujours à deux doigts de te laisser une seconde chance, d’ouvrir tes messages pour reprendre contact… Je l’ai pas fait par fierté. Mais l’appel d’Evie m’a démontré que je m’étais trompé sur ton compte. T’es pas obligé de vouloir poursuivre quoi que ce soit avec moi maintenant, évidemment.

– Encore heureux, m’exclamai-je.

Mais la colère ne faisait plus vibrer ma voix. Je soupirai et lâchai, baissant d’un ton :

– Tu as pris le risque que je ne vienne pas à ton rendez-vous et que tu te retrouves tout seul, comme un benêt.

– Oui, répondit simplement Julien.

– Pourquoi être venu jusque chez moi, enfin, à mon ancien studio, et me laisser un simple mot ?

– Oh, t’as déménagé ? Le post-it, c’était parce que, euh… C’était comme ça que…

– Ouais, ça j’avais capté que c’était par rapport à la façon dont on s’était connus, merci. Mais pourquoi être venu de Nanterre sans m’avertir ?

– En fait, je travaille maintenant à Paris, moi aussi. J’ai validé mon CAP, j’ai eu une opportunité pour travailler dans une boulangerie proche donc je suis sur Paris presque tous les jours. Je suis passé à ta résidence hier, ou plutôt ancienne résidence, après le travail, pour discuter, mais t’étais pas là.

Je hochai la tête. L’air abattu de Julien m’adoucissait malgré moi.

– Félicitations pour ton CAP et ton nouveau travail, lâchai-je.

– Merci. Je vis toujours à Nanterre, ici c’est trop cher, par contre. Oh, et toi, bravo pour ta soutenance de Master, Evie m’a dit que t’avais assuré.

Je laissai une bonne minute s’écouler dans le silence, m’amusant presque de l’embarras du jeune homme, qui semblait hésiter à reprendre la parole.

Sans être sûre de savoir si j’étais prête à le pardonner, je finis par dire, d’une voix hésitante :

– Moi aussi, je suis désolée de t’avoir écarté de la façon dont je l’ai fait. En fait, comme tu le sais, je voulais être présente pour Evie et me prouver que je pouvais être une bonne amie, en laissant de côté ce qui m’importait personnellement. Mais ce n’était pas correct vis-à-vis de toi.

– Maintenant que j’ai compris, je comprends, évidemment. Ton amie avait besoin de toi et t’as voulu être là pour elle. C’est complètement compréhensible, et honorable, mais sur le coup, j’ai tout remis en question, parce que j’avais ni confiance en toi, ni en moi. Je croyais pas vraiment que t’avais réellement des sentiments pour moi.

– Oh, me sors pas la carte de la victime, protestai-je, mais sans pouvoir m’empêcher de m’esclaffer.

– Nan, c’est la vérité, en fait. Mais c’est bon, je te crois, maintenant. Et… je sais pas si… est-ce que t’accepterais qu’on se parle de nouveau ? Et qu’on se revoie ?

Face à mon hésitation, Julien reprit précipitamment :

– Je comprends si c’est trop prématuré pour toi, t’en fais pas. Je peux te laisser du temps pour réfléchir, et… je demande pas nécessairement de réponse si c’est non, je t’ai fait ce coup-là.

Je ne fis même pas de blague, le cœur trop allégé et réjoui par notre échange. Sans avoir besoin de parler, Julien comprit ma réponse par mon simple sourire.

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