Chapitre 35

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J’ai vidé mon sac, déversé ma rage, et je me sens beaucoup mieux.

La seule question, maintenant que je suis plantée devant le parking de l’église, c’est comment vais-je rentrer chez moi ?

Il est hors de question que je demande à Clarisse de me ramener. Et un taxi me coûterait une fortune.

J’étais en train de m’interroger, lorsque ma sœur me rejoignit.

– Je te dépose chez toi uniquement parce que les parents m’ont demandé de te faire quitter les lieux au plus vite, dit-elle d’un ton sec.

Arrivées dans la rue de ma résidence, je tournai la tête vers Clarisse.

Nous n’avions pas échangé un mot depuis notre départ du parking.

– Merci de m’avoir ramenée.

Ma sœur ne répondit pas, le regard une fois de plus rivé droit devant elle. Je descendis de sa voiture et claquai la portière sans un regard en arrière.

Balancer mes quatre vérités à ma famille m’avait libérée d’un poids incroyable. Je ne sais pas si j’en reverrai certains un jour, mais ça m’était bien égal. Comme je l’avais dit, ce serait même un soulagement.

Evie n’était pas encore rentrée du travail, mon studio était vide.

Je m’affalai sur le canapé et réalisai que Julien ne m’avait toujours pas répondu, depuis ce matin. En vérifiant si mes messages d’explication s’étaient bien envoyés, je vis qu’il ne les avait pas lus.

« Mince, songeai-je, ennuyée, il m’en veut… Evidemment, j’aurais dû l’appeler pour lui expliquer convenablement pourquoi j’annulais notre rendez-vous, pas le laisser mijoter toute la journée hier, avant de lui envoyer un simple texto ce matin… C’est malin, Nat. »

J’eus beau tenter de le joindre, lui renvoyer plusieurs messages, Julien ne me répondit pas.

Le lendemain, lundi matin, Evie préparait du café, lorsqu’elle remarqua mon air maussade.

– Qu’est-ce qu’il y a ? m’interrogea-t-elle, étonnée de voir que je m’étais soudain assombrie.

À son retour du travail, la veille, nous avions pris le dîner ensemble puis longuement discuté de sa situation et de la façon dont j’avais déchargé ma frustration après les funérailles de ma grand-tante.

– C’est rien, répondis-je, retrouvant un air impassible.

Mais je savais qu’Evie n’était pas dupe. Elle s’approcha de moi, deux tasses de café brûlant dans les mains, et m’en tendit une, le mug Spirou et Fantasio.

– Je ne veux pas t’embêter avec mes histoires, précisai-je, devant son regard insistant.

Je réalisai que j’en avais voulu à Evie de ne pas m’avoir révélé qu’elle avait tenté de monter une boutique, alors que j’avais moi-même délibérément décidé de lui cacher ma rencontre avec Julien et tout ce qui en avait découlé.

Je n’avais pas voulu lui en faire part pour éviter qu’elle ne s’excite et m’agace à romantiser chaque petit signe de Julien envers moi alors que je n’étais pas sûre de la direction qu’allait prendre notre histoire.

Mais je songeai que ce n’était pas très juste de ne rien lui avoir dit, alors que c’était elle qui avait voulu mon bonheur en amour depuis le début, et qui m’avait, sans le vouloir, menée à rencontrer Julien.

Sans son stupide petit post-it sur le parking de ma résidence, sur lequel elle avait hâtivement gribouillé le numéro du mauvais gars avec qui elle me voyait bien, je n’aurais jamais eu ce lien avec Julien.

Mais d’abord, je ne peux même pas parler en ces termes : nous ne sommes pas un couple. Et même en considérant que nous avons une sorte de liaison, j’ai de toute façon tout gâché entre nous.

– Nat, dit Evie, je vois bien que quelque chose te chagrine. Et tu sais très bien que tes histoires ne m’embêtent pas, andouille.

Elle s’assit à ma suite sur le canapé pour boire notre café. Je décidai de lui parler de tout, depuis le début, lui racontant comment j’avais progressivement tissé un lien par téléphone avec le frère du « mauvais » Bruno, comment j’avais passé une journée inoubliable avec lui à Nanterre, comment mes sentiments à son égard s’étaient développés puis révélés réciproques, comment nous nous étions revus chez moi, et comment tout ça se terminait maintenant.

À la fin de mon récit, Evie était bouche-bée.

– Mais… Nat, fit-elle, l’air vaguement concernée par le fait qu’elle tenait sa tasse à hauteur de ses lèvres, depuis plus de cinq minutes.

– Tu ne m’en veux pas de ne pas t’en avoir parlé ?

– Ce serait culoté de ma part, rigola-t-elle. Mais alors, tu… tu vis vraiment une authentique histoire d’a…

– Non, la coupai-je précipitamment, je t’ai dit, c’est mort. Même si j’ai fini par accepter qu’il se passe quelque chose entre lui et moi, maintenant je crois bien qu’il est trop tard.

– Pour te rattraper ? Bien sûr que non, il n’est pas trop tard, répliqua Evie, soudain pleine d’entrain. Il ne te répond plus, mais tu vas le retrouver, d’accord ? Tu vas le rejoindre à Nanterre, lui sauter dans les bras, lui dire que tu l’aimes et que tu t’excuses, et ça arrangera tout !

Elle réagissait exactement comme je l’avais imaginé. Et d’un côté, ça me rassurait. Elle était toujours elle-même, en dépit de ses soucis.

– Non, Evie, je ne vais pas faire ça, rétorquai-je. Parce que je ne vis pas dans un conte de fée où les amoureux finissent heureux, mariés et avec beaucoup d’enfants. Je sais que ça va être dur de passer à autre chose, mais c’est sans doute mieux ainsi. Je crois que je me suis emballée un peu trop vite, à vouloir vivre un truc à fond sans savoir où j’allais.

– Mais ça n’a aucune importance, puisque tu vas réparer le. Nat, tu ne peux pas lâcher cette histoire qui commence à peine, c’est beaucoup trop précieux ! Tu te rends compte, de ta chance ? Moi, je voudrais vivre ça, tu sais ? Ce n’est pas tous les jours, qu’on rencontre quelqu’un qui nous fait ressentir autant de choses et pour qui c’est réciproque.

– Il faut que j’aille au boulot, soupirai-je.

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