Chapitre 30

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En marchant d’un pas raide en direction du cabinet d’avocat, je me pris à regretter mon coup de sang.

Pauvre Evie, tout de même… J’ignorais qu’elle n’avait pas confiance en elle à ce point-là. En cherchant à se prouver qu’elle était capable de quelque chose, elle avait pris les pires décisions possibles et son idée l’avait mené à démontrer tout le contraire : quel fiasco !

Je sais qu’elle est pleine de bonne volonté et c'est malheureux à dire mais elle n’a aucun sens des responsabilités, ni de juste mesure des prises de risque… Et maintenant, elle se retrouve dans une sacrée situation.

J’étais très ennuyée pour elle, et malgré ses paroles, j’étais tout de même touchée dans mon amour-propre qu’elle m’ait laissée en dehors de ce projet, si important à ses yeux.

Comment allait-elle rattraper ses erreurs, qui s’étaient enchainées sans qu’elle ne parvienne à retrouver le contrôle à temps ? J’étais bien entendu prête à l’aider financièrement, mais je n’avais moi-même pas les moyens de la remettre sur pied…

Et comment, bon sang, Evie était-elle parvenue à me cacher tout ça pendant près d’un an ? Elle qui adore bavarder, avait dû déployer des efforts surhumains pour ne rien lâcher, tout ce temps…

Mon entrevue chez elle l’autre jour me revint en mémoire. Elle avait maintenu, malgré mon insistance, que mis à part ses problèmes au travail, rien d’autre ne la contrariait ces temps-ci.

« Oui, mais il y avait ses colocs à côté de nous, elle ne s’est sans doute pas sentie vraiment libre de me révéler tout le reste à ce moment-là… »

La voix dans ma tête me rappelant que je n’avais pas été une amie digne de ce nom me frappa de nouveau comme un boomerang :

« Non, en un an, si elle avait tenté de t’en parler, elle en aurait eu le temps, tu ne crois pas ? Mais si elle ne l’a pas fait, quoi qu’elle dise, c’est parce que tu ne l’as pas assez mise en confiance. Elle a dû croire que tu la jugerais. Et c’est normal que ce soit l’image que tu renvoies : tu ne l’écoutes jamais vraiment. Tu es là pour elle à moitié. »

J’avais beau me répéter que j’avais été prise par mon Master et mes obligations, ma plaidoirie sonnait faux… Chaque reproche que je me renvoyais comme des lames vengeresses me ramenaient à la même conclusion : au final, je n’étais que la détestable égoïste indigne de confiance, dépeinte par ma famille.

J’avais moi aussi, comme Evie, voulu me prouver le contraire, en tentant d’évoluer vers une meilleure version de moi-même. Une version moins nombriliste, moins sur les nerfs, moins pénible à supporter… Mais je ne pouvais faire qu’un constat, celui de mon propre échec.

Au fond, malgré mes efforts pour changer, j’étais bornée à rester cette ado rebelle qui n’avait de respect pour rien ni personne. Je ne pourrais pas me transformer en adorable princesse Disney, même avec des années de travail sur moi-même…

En arrivant au cabinet, je ne dis bonjour à personne. Des regards de travers me dévisagèrent, mais je m’en fichais. À quoi bon continuer à faire des compromis pour tout le monde, puisque ça ne menait à rien dans tous les cas ?

Lorsque je reçus un message de Julien me souhaitant une bonne journée, je m’abstins de lui répondre, consciente que je risquais d’être désagréable.

La chaleur étouffante du mois de juillet tomba comme une chappe de plomb sur Paris au cours des deux jours qui suivirent. Dans mon studio, la clim ne fonctionnait pas et travailler dans la touffeur de cette rôtisserie m’était tout bonnement impossible, même en soirée.

Afin d’être au frais pour bosser sur mon mémoire, je me rendais à la médiathèque du quartier, où je retrouvais certaines copines de la fac, comme j’avais l’habitude de le faire chaque été. Ces dernières fignolaient également leur mémoire et s’étaient comme moi, empressées de se réfugier loin de l’assommant soleil qui nous affligeait toutes.

J’avais de nouveau échangé avec Julien, et nous étions parvenus à convenir d’une date pour nous retrouver, à notre plus grande joie.

C’est aujourd’hui, samedi, que je vais le rejoindre sur Nanterre. Il est censé travailler mais a pris un jour de congé exprès. Dimanche, c’est l’enterrement de Grand-Tante Annie, c’est pourquoi je n’étais pas libre pour organiser une sortie avec lui ce jour-là.

"Te revoir mercredi m’a fait réaliser combien j’aimais être en ta compagnie. Je me sentais pas d’attendre encore plusieurs semaines avant de te retrouver de nouveau…" M’avait écrit Julien par messages.

Ses mots m’avaient touché et j’étais moi-même dévorée par l’impatience à l’idée de le rejoindre un peu plus tard dans la matinée.

J’avais peu dialogué avec Evie depuis ses révélations par téléphone, deux jours plus tôt. Je n’étais pas en froid avec elle, mais j’avais voulu prendre du recul sur la situation et me calmer avant de lui dire des choses que je pourrais regretter. Et vu mon côté impulsif et ma sensibilité sur le sujet ces derniers temps, ça n’aurait pas manqué, je l’aurais parié.

En repensant à tout ce qu’elle m’avait dit, ma colère envers moi-même et Evie s’était petit à petit apaisée. J’avais accepté ses réactions, ses maladresses, et j’étais en cheminement pour me pardonner moi-même, mais ce n’était pas gagné.

Chaque fois que je repensais à l’incident, une désagréable démangeaison me brûlait les tripes et les piques de mes parents fusaient dans ma tête, me rabaissant, me dénigrant, cherchant à me faire plier plus bas que terre.

Il allait falloir me montrer patiente pour les faire disparaitre…

"Je me prépare, je vais bientôt partir," dis-je par texto à Julien, pressée de le retrouver.

Il n’était que dix heures du matin, mais la chaleur dans mon studio était déjà étouffante. Même si je n’avais pas mis de réveil, elle m’aurait sans doute réveillée.

Tournant en rond comme un lion dans une cage surchauffée, je commençais déjà à suer.

Au bout de quelques minutes, n’y tenant plus, je décidai de partir, même s’il était encore un peu tôt pour rejoindre Julien. Nous nous sommes donné rendez-vous à la gare RER de Nanterre, comme lors de notre première rencontre.

La réponse de Julien à mon message fit vibrer mon portable :

"Prévois une bonne gourde d’eau fraiche si tu veux pas te dessécher sur place, on crame littéralement, ici."

"La même à Paris… Je me suis bien équipée, ne t’en fais pas. Je te préviens quand je suis dans le RER."

Volant presque, tant l’euphorie me transportait, je traversai le couloir de mon étage jusqu’à me planter devant l’ascenseur.

Le cœur léger et heureux, un sourire béat sur mon visage, je me préparai à la formidable journée qui m’attendait, aux côtés du garçon qui occupait tous mes rêves.

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