Chapitre 7

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- L'épitoge d'hermine constituant la toge des avocats, n'est pas présente chez celle des avocats de Paris. En signe de sédition, ces derniers l'auraient coupée pour montrer leur opposition face à Napoléon III...

J'écoutais avec grande attention la machine qui débitait son speech, même si je connaissais déjà presque tout sur le métier d'avocat.

- C'est drôlement intéressant, hein ? murmura Julien.

Je ne m'étais pas rendue compte qu'il était si près de mon oreille. Gênée par notre proximité, je me décalai machinalement sur le côté.

- J'imagine qu'avec tes études, tu dois savoir la plupart des infos de ce musée, continua Julien, le regard admiratif.

- Oui mais pas tout, et c'est toujours enrichissant de découvrir de nouvelles choses.

- Ouais c'est sûr. Le droit, ça a l'air barbant, tout de même. J'ai des amis qui ont suivi des études de...

- J'aimerais écouter, en fait, l'interromps-je d'une voix douce qui ne me ressemblait pas.

- ...ou encore le procès de Marie-Antoinette, achevait la machine en projetant des images de la Cour royale de l'époque.

Je sortis de l'exposition avec l'impression d'avoir fait le tour du monde. C'était merveilleux de retracer l'histoire et les fabuleuses avancées du métier de mes rêves. Je n'avais pas encore tout vu, il me restait une aile de l'exposition à visiter, et ça me frustrait de ne pas avoir fini.

- C'était vraiment très instructif, dis-je à Julien alors qu'on ressortait à l'air libre.

La nuit ne tarderait pas à tomber, je n'avais même pas vu le temps passer. Je me demandais pourquoi Julien n'était pas rentré chez lui une fois qu'il avait fini de faire le tour de l'expo, il était resté avec moi tout le long de l'après-midi, même s'il avait déjà tout vu.

- Oui, tant mieux que ça t'ait plu, répondit-il.

Je ne savais pas s'il s'était ennuyé ou s'il m'avait proposé de m'accompagner pour la suite de ma visite par politesse, parce qu'il ne se voyait pas me lâcher. Je lui avais dit que je n'avais pas besoin de son aide pour retourner à la gare, je pouvais prendre un taxi, mais il avait rétorqué que ça ne le dérangeait pas.

Il ne travaillait que la nuit ce jour-là, en tant qu'apprenti boulanger. J'avais un peu de peine pour lui en songeant qu'il n'avait pas arrêté de marcher dans la journée et qu'il serait sans doute éreinté le lendemain matin, après une nuit passée à bosser.

- Tu veux rentrer tout de suite ? me demanda Julien en tournant son regard noisette vers moi.

- Eh bien, je ne sais pas, mon Blablacar est dans plus de trois heures...

J'avais opté pour un Blablacar pour mon trajet retour, car j'avais vu qu'une grève sur la ligne du RER A avait commencé dans l'après-midi et le traffic ne serait sans doute pas rétabli avant le lendemain, au minimum.

- On peut se poser dans un café, s'tu veux, proposa Julien. J'en connais de charmants par ici. Attends, je crois qu'il y en a un qui fait des bubble tea, j'adore ça.

- Va pour un bubble tea, répondis-je.

On était installés à l'intérieur du petit salon de thé, près de la baie vitrée donnant sur la rue nimbée de jais. Je sirotais un bubble tea pêche-kiwi et aspirais de temps à autre les billes fragiles. J'écoutais Julien me parler de sa vie.

- Avant d'être apprenti boulanger, j'ai fait des études d'architecte. J'ai passé quatre ans à la fac pour avoir le DEA, mais j'ai craqué avant la cinquième et dernière année et j'ai tout arrêté. C'est bête, pas vrai ? J'étais pourtant près du but... Mais j'avais réalisé que ça ne me disait plus rien, d'être architecte. En fait, j'étais pas sûr que ça me plairait vraiment. Et j'avais la pression de tous les côtés, c'était insupportable. Bref, après une année de césure, j'ai entamé un nouveau cursus, qui n'avait rien à voir. Donc il me reste un an avant de pouvoir être boulanger...

Comme il me posa des questions sur moi, je répondis vaguement. Je n'avais pas très envie de m'ouvrir à un gars que je ne reverrai pas. Je ne voulais pas me livrer trop vite. Ni m'attacher.

Julien me parla ensuite de sa famille, notamment de Lauris.

- Mon frère est un vrai imbécile, parfois. Je l'ai toujours charrié par rapport aux filles, il sait pas s'y prendre, ce lourdaut ! Enfin, si tu veux, je peux quand même essayer de vous arranger un coup tous les deux, si c'était le but de ton amie, je veux bien essayer de l'aider.

Je manquai d'avaler une bille de travers et reposai mon verre en riant.

- Mais non, j'en veux pas, de ton frère ! rétorquai-je. Je comprends pas ce qui est passé par la tête d'Evie...

Julien sourit et répondit :

- Moi non plus je te l'avoue, mais par contre, c'est vrai qu'il aurait bien besoin de faire de nouvelles rencontres... Je suis un peu méchant avec lui, mais il me fait de la peine, au fond. J'aimerais bien qu'il soit en couple au moins une fois avant la trentaine, rigola-t-il. Et c'est dans deux ans, alors le temps presse !

Je n'avais plus très envie de rire.

- Si t'es là pour essayer de me caser avec ton frère, je crois que je vais rentrer, dis-je d'un ton plus sec que je ne l'aurais souhaité. Je n'ai pas besoin d'une Evie 2 dans les basques, ni d'un puceau de vingt-huit ans.

Julien ouvrit la bouche pour me contredire, mais resta sans voix. Je regrettai déjà d'avoir insulté son frère, alors qu'il venait de se confier à moi à son propos. Pourquoi j'avais fait ça ? Je n'aurais pas dû réagir avec tant de virulence...

- Je... Pardon, c'est vraiment sorti tout seul, bredouillai-je, confuse. Je suis sincèrement désolée...

Julien ne répondit pas, à l'évidence il ne savait pas quoi dire. Je voyais dans ses yeux son incompréhension, mais heureusement l'expression d'offense avait disparu.

- Je vais régler l'addition, déclarai-je en me levant.

- Non, c'est moi, protesta-t-il, retrouvant sa voix.

- Tu m'as envoyé un colis pour te faire pardonner, considère que c'est ma version à moi...

Je vis l'ombre d'un sourire passer dans ses yeux marrons. Je me sentais trop mal d'avoir gâché ce qui se créait entre nous. Mais non, il ne se passait rien du tout, d'ailleurs. C'était le déroulement normal d'une journée qui... n'avait rien de normale, en fait. Donc comment étais-je censée réagir ? Lui faire la bise et me tirer ? Lui dire que c'était cool de se voir en vrai et reprendre contact avec lui plus tard ? Avouer que je le trouvais vraiment beau ? Non, pas ça. C'était pas le moment...

Il me laissa régler la note et sortit à ma suite du café. Dehors, les réverbères nous accueillirent comme la tiédeur du vent. Devant le silence de Julien, je sentis mon malaise s'accroître.

- Est-ce que je t'ai vexé ? demandai-je d'une petite voix que je n'avais pas pu retenir. Ce n'était pas mon intention, je suis juste... un peu à cran. C'est mon tempérament, tu n'y es pour rien. Et... Si je ne veux pas d'un mec dans ma vie pour l'instant, c'est parce que je n'ai pas le temps. Je suis souvent débordée, mes études me prennent un temps fou parce que je fais de mon mieux pour réussir. Aujourd'hui était mon seul jour de repos de la semaine...

- C'était aussi le mien, répliqua Julien, sans agressivité.

- Merci... De m'avoir amenée ici et d'être resté avec moi. C'est vraiment gentil.

- Eh ben, pas de quoi.

Le silence un peu sec qui suivit ses paroles fut rompu quelques instants plus tard, lorsqu'il demanda :

- Tu t'en vas ?

- J'ai encore pas mal de temps avant l'arrivée de mon train, je...

- Il y a une séance de cinéma qui commence dans dix minutes...

Ah non ! Pas la journée typique qui se termine toujours par un baiser à la fin de la séance, puis plus chez lui. Il me prenait pour son rencard ou pour celui de son frère, à la fin ? Je n'y comprenais plus rien.

- Eh ben, c'est sympa mais c'est quand même très cliché, déclinai-je poliment.

Il éclata de rire et je ne pus me retenir de l'imiter.

- Ouais, t'as raison, ça craint.

Nos souffles se perdaient dans la nuit. J'avais envie de l'embrasser, tout compte fait. Pourquoi je ne me contenterais pas de sa suggestion et d'une galoche avant de sortir de sa vie à jamais ?

Je rigolai :

- Mais au final, j'ai pas de meilleure idée à te proposer.

- Non, mais c’est vrai que c’était bête, réfuta Julien sans s’arrêter de rire.

- Bon eh bien, on pourrait... se promener un peu ?

- À Nanterre ?

Julien réfléchit un instant puis reprit :

- On pourrait aller au parc Hoche, si ça te dit.

- Oui, parfait !

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