Les Premiers Mois : Le Début De la Fin

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Je sais pas comment expliquer ça, c'est un peu comme lorsque j'ai un début de gastro, juste un peu mal au bide. Je sais ce qui m'attend, mais l'imaginaire est toujours différent de la réalité. Là, c'est pareil. Toute la smala défile les premiers jours après la naissance, avec l'air con et le champ lexical des bisounours. Je suis érigé en papa modèle parce que je la porte en écharpe, mais ce que je veux, c'est juste dormir.
C'est comme dans un rêve qui vire au cauchemar, au départ, la fatigue et le stress distordent la vérité. Ce petit machin, qui dort et qui braille, c'est une sorte de gremlins. Il y a ce qu'il faut faire et ce qu'il faut surtout pas faire.

Déjà, avec Sandy, au bout de trois semaines, on était largués. Un matin, en arrivant chez la sage femme, pour la pesée hebdomadaire, petite réflexion sur l'état des fesses de l'engin. C'était aussi rouge qu'un rouquin un quinze août sur une plage de Menton. À la question de savoir si on la change à chaque têtée, la réponse officielle, c'est "évidemment" alors qu'en fait, pas du tout. Et là, je commence à me dire que je suis un père indigne. La fanfare de la culpabilité se met en marche et, à partir de cet instant, elle m'a jamais plus quitté.

Un enfant, c'est si mignon, toutes tes copines qui ont pas de mec et qui arrivent à l'âge où faut plus trop tarder à pondre, sont devant toi à baver d'envie. C'est le côté cool de l'affaire, cette tendance à séduire sans rien avoir à faire. Je sais, c'est mal d'utiliser sa gosse pour satisfaire son égo, mais bordel, c'est l'un de mes seuls plaisir. Parce que faut bien que je le dise, la post-naissance, niveau sexe à la maison, c'est le néant. D'une parce que Sandy a qu'une idée à l'esprit, c'est la môme, et de deux, parce que la môme te laisse que peu de temps pour respirer. Et dans ce laps de temps, faut faire la bouffe, les courses, le ménage, et tout ce qui s'en suit.

Je me souviens encore de mon anniversaire, le premier avec la gamine. Il est deux heures du matin, elle est dans le lit avec nous. Ça aussi, c'est un dommage collateral, si elle dort pas entre nous, c'est fini, la nuit n'existe plus. Et, le lendemain, pendant que tu luttes pour survivre, elle, elle dort. Bref, cette nuit là, je sais pas pourquoi, je décide de la changer après l'allaitement. Je devais avoir envie de me faire bien voir pour être récompensé d'une petite gâterie. Je me lève et je l'emmène sur sa table à langer. C'était octobre, il faisait frisquet et j'avais mis un peignoir, heureusement. Je déballe le matos, je défais la couche et là, l'apocalypse. Un jet de merde propulsé à deux mètres. J'en avais partout et l'armoire derrière moi s'est parée de nouvelles couleurs. J'ai jamais compris comment un truc aussi petit pouvait avoir une telle contenance. C'est fou.

J'ai pas parlé de l'aspect financier, mais ça aussi, c'est une chose qui m'a laissé sur le bord de la route. Entre le siège auto, le lit de bébé, les transats, les biberons, les fringues, les gigoteuses, j'ai dû cesser de me faire mes petits plaisirs personnels. Finis les jeux vidéo, terminées les sessions cam avec 50 euros de crédit. Un crève cœur.

Mais tout ça, quand j'ai décidé avec Sandy d'avoir un enfant, c'était écrit nulle part. Personne est venu me voir pour me dire "fais pas l'con Michel". J'en veux à mes potes qui avaient déjà des chiards. Je crois que c'est leur manière de se venger, de dire aux autres "vous faisiez les malins, avant. Bienvenue au club. On a oublié de vous dire certains trucs, mais vous tarderez pas à les découvrir". Le tout agrémenté d'un rire satanique. J'aurais tant voulu qu'un copain me tape sur l'épaule et me fasse comprendre que je devais pas faire ça.

Ensuite, la fatigue survient. Pas celle d'un lendemain de soirée trop arrosée, non, la vraie, l'épuisement. Des mois à me battre pour dormir, pour écrire, pour me ménager un peu de temps rien qu'à moi. Impossible. J'aurais voulu signer une armistice, déposer les armes. Sauf que le monstre est là, tu l'as, tu le gardes, faut assumer. J'oublie définitivement les parties de jambes en l'air pour la première année et les turlutes à l'improviste. De toute façon, à chaque fois qu'on essayait de s'y mettre, ça braillait. Je crois que la môme a un sixième sens pour ça, un gêne qui détecte les pulsions de ses parents et qui se déclenche pour tout stopper au pire moment, celui où j'ai hissé le grand mat. Je la soupçonne d'avoir été envoyée par Dieu pour me punir d'un truc.

On a intégré la grande fraternité des parents, cette caste de mythomanes qui veut faire croire que les enfants c'est le bonheur absolu. Quand t'es normalement constitué, tu sais que c'est un gros mensonge. Il y a que les gens à problèmes qui vivent à travers leurs enfants, moi, j'ai pas de souci de ce côté là, donc j'ai majoritairement les inconvénients. Quand tu vas au parc, tu repères vite les autres pères. Je les voyais rien qu'à leur regard, le même que le mien. Celui du supplicié qui va être passé à la question par l'inquisition. C'était visible aux cernes aussi, et à cette attitude d'abattement généralisée, comme un vieux mineur qui a trop bossé pendant sa carrière. Bon, j'en ai bien vu un ou deux qui faisaient les marioles, seulement, ils trompaient personne. Avec deux ou trois autres, je me délectais de les voir se mentir à eux-mêmes, en les imaginant sangloter sur les chiottes, la seule vraie pause d'un père. Et oui, j'en connais un paquet qui se demandent pourquoi je passe tant de temps sur le trône, c'est parce que c'est le seul endroit où personne vient me faire chier. Et le temps passé dessus est proportionnel au nombre de gosses.

Plus les jours passent, plus je développe des stratégies pour échapper à ce quotidien infernal. Les administrations françaises, cet endroit où, habituellement, t'as pas envie d'aller. Ce lieu où t'as envie de tuer tout le monde, y compris l'hôtesse qu'est aimable comme une porte de prison. Curieusement, j'y ai trouvé une planche de salut. Un bouquin, et le tour est joué. Une obligation transformée en espace de respiration. Je donnais mon ticket aux gens pressés, j'étais d'une amabilité hors norme. En rentrant, j'avais juste à raconter quelques bobards, comme quoi il y avait beaucoup de monde. Parfois, je faisais même pas ce que je devais y faire, juste pour y retourner le lendemain en prétextant un problème de dossier. Ça marche un certain temps mais ça dure pas, après faut retourner dans la gueule du loup.

J'ai fait une croix sur les séances ciné, les restos et les soirées entre potes. Sa Majesté Culpabilité faisant son office. C'est incroyable comment ça peut manquer un apéro qui dégénère, le genre où tu rentres à trois heures du matin totalement pété. Et le pire, c'est que ça s'arrête quasiment jamais. J'imagine que, jusqu'à sa majorité, ça sera ça. Oui, j'ai une conscience, elle me dicte des choses horribles que j'aurais jamais imaginé. Je ne peux plus boire au-delà de deux verres, de peur de laisser une orpheline. Avoir un accident et tuer toute une famille, je vivrais assez bien avec, mais là, cette salope de conscience qui me bouffe le cerveau m'empêche de jouir des plaisirs de la vie. J'ai donc dû trouver un autre moyen d'assouvir mes pulsions d'alcoolique et c'est Sandy qui m'a donné la solution, sans le savoir, ça va de soi. Comme elle allaitait, toute consommation de breuvages fermentés était strictement prohibée. Je l'ai choisi comme capitaine de soirée. Une fois imbibé, j'en avais plus rien à foutre de rien, Sandy m'appelait pas, parce que j'étais plus en état de m'occuper de quoi que ce soit. Tu t'imagines changer un gosse d'un an avec trois grammes ? C'est un coup à finir avec une couche sur la tête.

C'est vraiment à partir de là que c'est totalement parti en vrille...

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