Il est là, avec son sourire moqueur, planté devant moi. Un sourire à bagues, malheureusement, l'appareil dentaire lui va bien, et ne fait que renforcer son rictus mauvais. 

Une bouffée de colère gronde dans mes entrailles, prête à exploser à tout moment.

Patience, ma belle, patience. 

Je sais que si je cède à mon impulsion de lui sauter dessus pour lui arracher les yeux, je vais me retrouver par terre. Plus jeune que moi, certes, hélas l'adolescence a été plus clémente avec lui qu'avec moi et, en dépit de mes quatre ans supplémentaires, il me dépasse d'une tête.

Je plonge mon regard dans le sien. Le bleu d'été rencontre le brun profond. Ses sourcils noirs se froncent, son front se plisse.

J'expire et inspire lentement, contenant la colère furieuse qui bouillonne en moi.

Patience, je me répète, patience.

- C'est à mon tour, je lâche froidement.

Le sourire s'élargit, les sourcils reprennent leur position initiale.

- Hors de question.

Je vais le tuer, je vais le tuer, je vais le tuer.

Je pose les poings sur les hanches et relève le menton.

- Tu as déjà choisi hier, je réplique.

- Et alors?

La colère enfle, enfle. Je ne vais pas pouvoir la retenir très longtemps.

- C'est à moi de choisir le film, alors tu vas reposer gentiment cette télécommande.

- Et si je refuse?

Je refoule l'ouragan qui m'agite et qui ne va pas tarder à envoyer voler ma raison.

Non, je ne suis pas une étudiante en lettres pour rien, cette fois, face à sa bêtise sournoise, je vais opposer une argumentation implacable et logique.

- Tu finissais les cours à 15h, autrement dit, tu avais trois heures pour regarder ce que tu voulais. Moi je viens de rentrer, j'ai envie de regarder Pokémon. Donc, tu me donnes cette télécommande.

- J'ai fais mes devoirs. Puis Pokémon, à ton âge, ça craint, non?

Au diable l'argumentation! Trop, c'est trop!

Je me jette contre lui en hurlant. Très peu de personnes sont capables de me mettre vraiment en colère. Mon frère en fait partie.

Je percute son corps, me hisse sur la pointe des pieds pour tenter d'atteindre la télécommande. Peine perdue, il a le bras levé et je n'arrive même pas à son poignet! Grrr! 

Je sautille sur place, mes joues s'empourprent sous le coup de l'effort et de la honte. Je vais l'avoir, je vais l'avoir!

Et là, horreur, il éclate de rire. MON FRÈRE ÉCLATE DE RIRE. Je vois rouge. Commence à lui donner des coups de poings dans le ventre. Bien sûr, monsieur continue à rire. Et moi, j'ai mal aux mains. Bon sang, pourquoi est-ce qu'il fait de la muscu déjà? Ses abdos sont plus résistants qu'une armure en titane! 

Mais, cette fois, je ne renoncerai pas. Même si je finis par terre. 

Je lui écrase violemment le pied de mon talon. Ah, là il rigole plus! Et oui, on peut pas muscler les orteils, dommage!

Cependant, il se ressaisit vite et me pousse. J'atterris assise dans le fauteuil, et je cligne des yeux, surprise, avant de me reprendre. J'éloigne la colère, et me relève, le regard assassin. 

- Tu vas faire quoi, petite? ricane-t-il. Appeler papa et maman comme quand on était gosses?

Vu ton comportement, tu l'es toujours, mon gars! 

- Non, je maugrée. Si tu me laisses regarder Pokémon, je mettrai la table à ta place ce soir.

Il semble réfléchir. Je sais déjà ce qui va suivre.

- Pendant trois jours, finit-il par lâcher.

- Deux, je rétorque.

- Deux et demi.

- Deux, et je t'aide à faire ta dissertation.

- Marché conclu, sœurette.

La télécommande est mienne.

Quand on ne peut pas gagner un combat, on peut toujours trouver un compromis. Et puis, une victoire, même ainsi, demeure une victoire.