Chapitre 8 - Jour 2 : Jungle urbaine

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L’étranger au tatouage nous réveilla aux premières lueurs du jour.

Après avoir emballé le peu d’équipement dont nous disposions, il nous aida, comme il l’avait dit, à nous diriger hors de la zone et à passer à travers quelques créatures éparses. Visiblement, le conflit s’était étendu bien au-delà de ce que nous avions imaginé, et la situation était bien pire que ce que nous pensions. Le soleil était levé derrière nous et nous avions pu nous glisser jusqu’à une rue, très passante en temps normal.

Des voitures étaient encastrées dans des vitrines. Des papiers, des gravas et des morceaux de verre jonchaient le sol. Des barrages étaient arrachés ou pulvérisés sur les trottoirs. Des lampadaires penchaient sur le côté. Les façades des immeubles étaient figées, les fenêtres semblaient inoccupées. Des restes d’enseignes lumineuses pendaient des murs. Un hélicoptère était même en travers de la route, sans personne à son bord. Un corbeau se délectait d’un sachet éventré de viande séchée par terre. Aucun signe de vie. Le tout dans un silence des plus lourds. C’était flippant.

Le groupe était sur ses gardes, à se fier à cet inconnu qui en avait désormais pris la tête. L’étranger n’inspirait pas totalement confiance et les autres maintenaient du coup leurs distances. Personne ne savait trop dans quel bourbier nous étions tombés. Il leur fallait se canaliser et garder le plus possible la tête froide.

Plus sûre d’elle, Jessie était investie de sa mission de protection envers les autres, mais pour le moment, l’inconnu semblait être le seul à comprendre ce qui se passait. Elle le suivait, en attendant de voir la tournure que prendraient les évènements. Je l’épaulai à maintenir le groupe un minimum unifié ; en effet, rester ensemble constituait nos meilleures chances de nous en sortir. J’avais servi en Syrie et j’avais de l’entraînement. Tous mes sens étaient en éveil et nous devrions faire avec le groupe que nous avions à charge pour garder notre objectif en tête et mettre au maximum à profit les capacités de chacun.

Nous arrivions à un croisement. Un bus avait fini sa course dans la devanture de ce qui ressemblait à une ancienne épicerie. Le regard des autres était unanime, il nous fallait de l’eau et de la nourriture. Jessie et moi nous étions mis à couvert en silence derrière une poubelle, tandis que l’étranger était resté plus loin pour surveiller. Le reste du groupe était entré sans bruit dans l’épicerie pour nous chercher de quoi manger.

Sauf un.

James, en s’accroupissant, avait trébuché sur une boîte de conserve. Elle avait glissé sur le trottoir, dans un long roulis métallique, jusqu’à cogner un poteau électrique. Sans tomber, heureusement, James avait malgré tout attiré l’attention de la créature à la bouche en sang qui nous avait entendus à vingt mètres de là. Elle leva le nez…mais ne semblait pas nous avoir vu.

Ouf ! J’expirai par le nez de soulagement.

Les minutes s’écoulèrent silencieusement à un train de sénateur. Jessie et moi gardions nos positions fermement en attendant que les autres reviennent.

Tout à coup, ils étaient tous ressortis en fuyant de la boutique et nous avait tous rejoints derrière la poubelle. L’œil pointé sur la porte d’entrée, nous guettions qu’aucune créature ne sorte vivante de cette épicerie…mais rien ne venait.

L’un d’entre eux avait dû se montrer un peu trop excité à l’idée de chercher de la nourriture et le groupe avait dû de nouveau attirer l’attention sur lui.

James s’était en effet beaucoup agité dans la boutique. En fouillant frénétiquement dans les étalages, il avait heurté un chariot qui avait buté les rayonnages d’en face. Un silence, puis un grognement avait surgi dans l’allée du magasin.

Nous aurions tous pu y passer, mais par chance nous n’étions pas suivis. Il fallait maintenant nous relever et continuer à avancer, le soleil prenait déjà de la hauteur.

Un à un, Jessie en tête avec l’étranger, nous nous étions mis debout et je fermai la marche sur James, l’air abattu à cause de sa maladresse. Il nous fallait désormais nous frayer un chemin sûr en nous faisant les plus discrets possibles.

Mais qu’étaient ces créatures ? Et qu’est-ce qui s’était réellement passé ici ?

On aurait dit que tout Portand avait été détruite et réduite au silence, et que les forces armées n’avaient rien pu faire pour empêcher ce massacre. Il y avait sûrement eu des milliers de victimes, des centaines d’autres étaient probablement confinées chez elles en attendant les secours. Impossible à dénombrer. Impossible à comprendre.

Nous nous étions remis en marche en nous tenant le plus éloigné possible des créatures et poursuivions notre route vers le Nord sur les conseils de l’étranger. Nous traversions un pont au-dessus d’une voie ferrée complètement muette. Nous arrivions à un carrefour lorsqu’il s’arrêta et dit :

« Vous voyez cette grande tour de l’autre côté du carrefour ?

Un building de verre, plus haut que les autres, se dressait devant nous.

- Si on veut maximiser nos chances d’avancer sans nous faire repérer, il nous faut monter là-haut et voir quelle route est la plus sûre. »

Il nous fallait agir vite car nous étions à découvert. En effet, deux créatures semblaient nous surveiller de plus loin sur la droite. Elles avaient des plaies ouvertes, elles semblaient bizarrement ne pas en souffrir, mais se traînaient machinalement, l’allure boiteuse. C’était pas beau à voir.

Il était plus facile de les contourner par la gauche et de reprendre la route en face.

Alors que nous avancions sur la pointe des pieds, un rottweiler sorti de nulle part s’était élancé sur le grillage de son enclos en sautant, les pattes de devant bien en évidence. Jessie sursauta, regarda la bête droit dans les yeux, puis plus rien. Elle s’immobilisa sous les grognements du molosse, incapable de bouger.

« Jessie ? lui demandai-je.

Pas de réponse. Elle respirait mal et ne clignait même pas des yeux devant le chien. Elle était tétanisée.

- Jessie ?

Le chien se mit à aboyer de plus belle, à se jeter sur le grillage comme un dégénéré. Jessie restait clouée sur place, les yeux braqués sur le chien. Les aboiements et le bruit clinquant du grillage avaient fait écho dans cette rue silencieuse. Les créatures non loin de là étaient maintenant tournées dans notre direction et s’avançaient vers nous.

- Maintenant ! dis-je au groupe.

Je pris Jessie par le bras. Elle semblait de nouveau revenir à elle, mais jetait en même temps des regards anxieux autour d’elle. Je courrai en tête, suivi de près par les autres. Nous foncions tout droit vers le building.

Les aboiements se poursuivaient, et d’autres créatures s’étaient à ce moment-là rapprochées par la gauche. Nous étions cernés et nous n’étions plus qu’à quelques mètres de la porte. Je m’étais jeté dessus pour l’ouvrir. Par chance, elle n’était pas verrouillée.

- Allez, tout le monde à l’intérieur ! »

Tout le groupe s’était introduit dans le hall de la tour à la vitesse de l’éclair. Je claquai la porte sur moi, juste à temps pour voir avec dégoût les créatures hideuses s’agglutiner pour tenter vainement d’entrer, en laissant leurs mains glisser sur la vitre, nous regardant comme si nous étions…les prochains au menu. C’était évident. Ils avaient faim, et c’est bien nous qu’ils les alléchaient goulument. Finir dévoré par ces trucs me révulsait d’avance.

Chacun faisait les cent pas ou tournait dans le hall à sa manière pour se remettre. Jessie, elle, était assise pas terre, les genoux contre la poitrine, des coulures de larmes et de mascara sur les joues.

« T’as bien failli tous nous tuer à cause de ce cleb’s, pétasse !

- Eh, on se calme…on est tous vivants, non ? dis-je en élevant la voix.

Puis je me tournai vers Jessie.

- Dis-moi, qu’est-ce qui s’est passé là-bas ?

- Je suis désolée…j’ai une peur panique des chiens…

- C’est pas des chiens dont il faut avoir peur, c’est de leur maître…bon qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? dit James.

- On fait comme on a dit, on va profiter de la vue, et voir quelle direction on peut prendre », dit l’étranger.

Nous étions passés par différents couloirs avant d’atteindre l’escalier de secours, puis nous l’escaladions en observant que le bâtiment était inoccupé. Nous atteignîmes enfin le sommet de la tour.

Le spectacle était terrifiant et ne présageait rien de bon pour la suite. Portland était dévastée, ses immeubles éventrés, au loin encore des cris et des explosions, la définition pure et simple du chaos. L’étranger avait raison, le côté ouest de la ville semblait perdu. Le nord était accessible à pied par le I5-bridge s’il n’était pas occupé ou par le fleuve Washington si on trouvait une embarcation.

« On est où, là ? demanda James.

- A l’angle de Marine et de la 6ème…reflexe de flic, avait dit Jessie.

- A l’angle de Marine et de la 6ème…attendez, il y a l’armurerie de Derek Bell qui se trouve sur Faloma Road en continuant vers l’est…Qui sait, il y a peut-être encore des choses à prendre et peut-être même que Derek est toujours vivant …Derek est un peu bourru mais c’est une personne de confiance.

- Ca me semble être une bonne idée…on aura besoin d’armes pour se défendre et traverser.

- Je crois qu’on est tous partants. »

Nous étions redescendus de la tour par l’escalier de service à l’est. Nous avancions aussi prudemment que possible pour ne pas attirer l’attention sur nous et progressions peu à peu vers l’armurerie, en espérant fiévreusement pouvoir mettre la main sur au moins une arme de poing ou deux.

Arrivés à destination, la devanture de l’armurerie était fracassée à plusieurs endroits. Des panneaux de bois avaient remplacé les vitres brisées pour éviter toute intrusion. Malgré l’enseigne « Gun shop » encore en état, il faisait noir à l’intérieur du magasin, l’endroit semblait désert. La porte d’entrée était fermement attachée par une lourde chaîne cadenassée. L’endroit semblait abandonné.

Bien au contraire. Il était en fait sous bonne garde.

Un cliquetis sur le toit nous obligea à lever doucement les yeux vers le haut et puis les mains en l’air. Derek Bell n’était en effet pas homme à se laisser surprendre. Il était assis sur le toit de son armurerie, à littéralement défendre son commerce. Il avait le visage gonflé et des petits yeux. Ses deux bras musclés pointaient un fusil à pompe dans notre direction en se reposant sur son ventre rebondi. Dès les premiers signes de l’attaque, il s’était enfermé dans son magasin. Il avait barricadé portes et fenêtres et s’était posté sur le toit à l’affût de cibles…ou de pauvres imbéciles dans notre genre.

« Vous faites un pas de plus et je tire. Dégagez de mon armurerie !

- Derek, c’est moi, James.

- Et je suis sensé te connaître ? Allez, déguerpissez ou je vous loge une cartouche bien placée.

- James Morton, le fils du révérend.

L’homme resta immobile quelques instants. Puis il baissa son arme.

Il rejoignit le bord du toit comme il put et sauta de toute sa lourdeur sur le porche. Avec un regard franc pour James, mais sans dire un mot, il prit une clé dans sa poche et ouvrit le cadenas de la chaîne de l’entrée. Nous entrions dans la pénombre de l’armurerie un à un et l’armurier referma la porte avec précaution en s’assurant que nous n’étions pas suivis.

Il nous amena dans son arrière-boutique. Sur notre passage, des fusils, des pistolets, des armes de chasse étaient fièrement alignées le long des murs. Les étales semblaient avoir à peine été touchées, mais deux ou trois armoires de verre avaient été vandalisées et vidées. On comprenait désormais la méfiance du propriétaire des lieux, qui surveillait de près ses marchandises devenues instantanément très tendance. L’étranger, peu bavard et moins distrait depuis l’ascension de la tour, avait à ce moment-là levé la tête la bouche entre-ouverte pour admirer le stock.

L’arrière-boutique de Derek était devenue sa planque. Elle lui servait de cuisine, de chambre à coucher et de salle de bains tout à la fois. Ca sentait le renfermé, l’évier débordait de déchets, des casseroles sales traînaient sur la gazinière, des tâches de graisse filaient le long de la faïence.

L’étranger s’était mis à dodeliner étrangement de la tête. C’en était devenu un peu bizarre.

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