Épilogue

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La pièce était d’une troublante et inquiétante originalité. Un mélange entre une petite bibliothèque, l’aile d’un couvent et l’échoppe d’un taxidermiste. En effet, s’y mariaient livres et vitraux entre lesquels s’intercalaient des tableaux à la gloire des Architectes et de leurs serviteurs, ainsi qu’un orgue, ou encore les chandeliers et croix de tous matériaux et de toutes tailles.

Cependant, le plus frappant restaient les animaux empaillés et éparpillés à travers la pièce. Il s’y trouvait un rat, un loup, un lion comme ceux que l’on trouvait dans le pays de Jade, un serpent ou encore un paon. Dans les faits, tous les animaux symbolisant les douze étaient exposés dans cette pièce. Et parmi tous, l’ours dominait. Autant par sa taille que par sa position au beau milieu de la pièce.

— Un bal ! C’est ce qu’Elban m’a dit ! Il va organiser un bal pour célébrer ces Jeux grandioses !

L’Archevêque en trépignait d’excitation et serrait convulsivement ses petits poings à la manière d’un enfant au jour de noël. Son sourire trop large était crispé sur son visage qui présentait un véritable masque d’adoration. Ses lunettes agrandissaient ses yeux clairs et mettaient ainsi en évidence les battements frénétiques de ses cils. Ceci combinés à ses cheveux blonds en bataille à force de gesticulations, il avait tout l’air d’un dangereux malade en liberté.

— Les bals d’Elban me manquaient tant ! Il est l’Échanson ! continuait-il. Personne ne lui arrive à la cheville dans ce domaine ! Je… je…

Il prit un air désolé tout en se triturant les mains, toujours comme un petit enfant, mais cette fois-ci pris dans la faute.

— J’ai eu peur de ne plus en voir de pareils… après… après nos petits différents.

Litote n’eut aucun mal à se retenir de lever les yeux au ciel. Bien au contraire, un frisson le fit trembler des pieds à la tête. Cet homme était aussi fou que ses apôtres et la manière dont il évoquait la condamnation aux Jeux de l’amant d’Elban Feulys était effrayante.

— Mais tout va bien maintenant, n’est-ce pas ?

Un silence suivit cette question alors qu’Aristide Leor, les mains jointes, avisait la fillette plongée dans la contemplation de la fresque qui surplombait la grande cheminée dont les flammes habillaient le mobilier ainsi que leurs visages d’ombres tremblotantes.

— Sybille ? réitéra le maître de l’Ours à la manière d’une supplique. Tout ira bien entre Elban et moi, n’est-ce pas ?

Sur la peinture, deux armées se faisaient face et la seule chose qui différenciait les camps adverses était la couleur des ailes de leurs soldats. Un côté se trouvait pourvu d’ailes blanches tandis que l’autre exhibait des paires d’ailes noires. Anges et démons selon les anciennes fresques des premiers écrits. Avant que nombre de peintres ne choisissent beauté et lumière pour mettre en valeur le divin et affublent le côté démoniaque de difformités physiques, et allant jusqu’à représenter des monstres.

La fillette hocha de la tête distraitement sans quitter le tableau des yeux. Deux personnes se tenaient au milieu des deux armées, sur le champ de bataille promis à un affrontement sanglant. L’une brandissait une lumière pourpre en direction du ciel tandis que l’autre avait les mains sur son cœur comme si ce dernier lui faisait mal. Des traits noirs verticaux l’entourait et le sol formait comme un cratère dans lequel elle reposait à genoux.

Il n’y avait guère de nom sur cette œuvre. La marque même des artistes de l’ancien temps.

Alors que l’Archevêque soupirait dans un soulagement palpable, Litote se demanda encore une fois comment le maître de l’Ours s’était procuré cette œuvre. Lui-même n’en avait vu que deux autres et ces dernières se trouvaient au palais des Sages.

Elles étaient considérées comme les dernières de leur temps.

— Et ma promesse ? enchaîna Aristide Leor.

Ce fut à Sybille de soupirer alors qu’elle se tournait vers lui avec une expression indescriptible sur le visage.

— Vous l’aurez, et plus encore.

— Plus encore… ? glapit presque le petit homme.

Litote frissonna une nouvelle fois tandis que reparaissait le sourire enjôleur de Sybille. Il la connaissait bien pour savoir qu’il n’était pas de bon augure. Et pour cause, ce qui amusait la petite prophétesse ne procurait généralement pas la même joie à ceux qui l’entouraient. À l’exception de certains apôtres ainsi que cette diabolique couturière, encore plus terrifiante que ces derniers.

— Un ballet des monstres, chuchota-t-elle.

L’Archevêque ouvrit la bouche mais ses mots restèrent visiblement coincés dans sa gorge alors que la petite retournait à la contemplation de son tableau.

— Oui, vous aurez ce que vous souhaitez, continua-t-elle dans un murmure suffisamment audible pour les deux hommes.

Et alors que le sourire revenait sur les lèvres de l’Archevêque, elle ajouta :

— Et moi aussi.

Les sirènes résonnent et les eaux se retirent sous le regard du géant béat devant ce spectacle comme s’il s’agissait du dernier. La corniche sur laquelle il est installé n’a rien de naturel. Elle paraît avoir été creusée à coup de griffes et de crocs et est telle une gigantesque excavation surplombant la Gargante et jouxtant les bords d’un cirque étonnamment silencieux. La cinquième tortue elle-même n’est plus qu’un monument sombre qu’il est difficile d’associer à la lumineuse attraction des jours précédents.

Le dédale est aussi bien différent. Le monstre à qui il doit son nom n’est plus qu’un reste tentaculaire dont la moitié de la carcasse remplit l’une des crevasses éventrant le fond marin. Bien que les eaux s’éloignent, il n’y a presque pas d’activité. Les créatures sont repues et fatiguées après cette terrible journée.

Le géant tressaute soudainement comme s’il était agité de sanglot. Il ne sent pourtant plus son corps. La faute à la vague ainsi qu’à la roche sur laquelle il s’est brisé quelques heures auparavant. Seuls ses yeux s’agitent désormais et ils semblent libérés de la souffrance et de la folie qui les habitaient.

Il a conscience qu’il va mourir. Et attends.

Il tressaute encore et la forme massive qui le tient dans ses bras, adossée à l’excavation, laisse échapper un gémissement qui se mêle en un grondement sourd. L’énorme main de la Scie saisit la nuque de son protégé pour la briser dans un craquement épouvantable.

Au loin, la forme gigantesque de la vague s’élève alors qu’elle entame son avancée en direction des falaises du Croissant dans l’intention de les balayer.

S’élève aussi la géante des Scies et elle laisse tomber le corps sans vie de son compagnon qui va se briser une fois de plus sur la roche en contrebas. Sans autre considération pour ce dernier, elle lève un regard obsessionnel en direction de la cinquième tortue. En direction des royaumes au-delà des bords de cette falaise.

En direction de son destin.

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