Chapitre 2

9 minutes de lecture

 Ainsi alla-t-il jusqu’en bordure de Cordoue. Essoufflé, il s’allongea sur un talus couvert d’herbe sèche, sous un immense chêne vert. Il désirait fumer, mais son dernier cigare avait été à Zénaïr, camarade de peu d’instants.

Il reprit sa route, calme et discret jusqu’à une auberge sise près d’un pont romain, au bord du fleuve Guadalquivir. Fort de sa nouvelle fortune, il s’y offrit repas et lit pour quelques jours. Il s’attabla dans une salle obscurcie par des volets secs à craquer. Tout dans la salle en était strié.

La première bouchée de viande restaura ses forces et sa foi en l’avenir. Quel serait-il ? Aucune idée alors. Il avait confiance, point. Tout en buvant du manzanilla offert par Zénaïr, il consultait son journal ; là narrait-il ses bravades, entre deux poèmes de sa confection ou plagiés. Parfois, il y faisait ses comptes, aussi approximatifs que ses connaissances en algèbre. En bas d’un colonne, il écrivit « 0 », soit la somme qui lui resterait après l’auberge.

Le soir s’appesantit ; il but encore un peu de manzanilla, seul dans ma chambre, assis sur le rebord de la fenêtre. Le fleuve lui portait sers senteurs d’eau douce ; son languissant courant disparaissait dans les ombres vespérales. La mosquée-cathédrale, dominatrice, recevait les dernières lumières. Don Gascada nota une impression supplémentaire dans son journal.

Il remarqua qu’un carrosse enfilait le pont ; sa décoration clinquante était faite pour attirer les bandits, lui particulièrement qu’un appétit cupide animait ; il se décida à surveiller davantage le pont. Si ce carrosse repassait encore deux ou trois fois, il pourrait, après analyse de sa vitesse et des visages visibles par les fenêtres, en préparer le cambriolage. Pour peu que le délai d’exécution concordât avec la durée de son séjour en cette auberge, il aurait quelque remerciement à adresser à la chance.

Il dormit jalousie ouverte, au chant des cigales, sorte de rythme sur lequel il eût ; sans son grand besoin de dormir, joué quelques notes.

Son premier jour hors la prison se terminait ; le deuxième commença, aussi vif que lui ; après un an de réclusion, l’indolence ne lui était point permise – il n’aurait jamais droit de l’être ; son caractère l’emporte par-delà toutes mesures.

Il descendit dans la salle pour fumer et parler. On y échangeait nouvelles avérées ou non, potins et racontars. Un nom retint l’attention de Don Gascada, qui s’était placé près de la porte : Gùzman de Catocràz, baron fort riche, revenu du Nouveau Monde pour traiter ses affaires espagnoles.

On rêve à l’écoute d’une telle histoire ; on s’imagine obtenir un trésor entier ! Bien des visions, toutes éblouissantes de verdure et d’azur, remplirent Don Gascada ; à son cou il suspendait des créatures aux cheveux crépus, aux gorges découvertes ; il ne savait précisément en quel pays – peu importait. Il regardait à l’horizon par la fenêtre : des collines, plus loin d’autres collines, la côte, la Méditerranée, le détroit de Gibraltar, l’océan immense et bordé sur son autre coté de palmiers, de fleurs étranges et d’indigènes, de pirates… Il rêvait comme un enfant alors que son premier désir était de nourrir mon estomac, le deuxième de raser sa barbe, le troisième… Le troisième : s’offrir logement, paix ? Oh non ! le troisième c’était bien la liberté.

Les clients décrivaient le carrosse du baron ; il y reconnut le sien – sa proie ; s’il réussissait son attaque, il serait riche sous peu.

Ce jour-là et le suivant, il s’employa à la surveillance du pont, depuis sa chambre. Heureux destin : le carrosse passait chaque fois près de midi et revenait au crépuscule, quand rues et champs, tavernes et campagnes se rendaient à la quiétude. Donc possibilité d’anticiper l’heure de l’attaque, donc attaque programmée pour le soir du lendemain, mais pas ici ; plus tôt sur la route, pour s’éloigner des regards indiscrets.

Don Gascada repéra l’unique passager : un homme plus corpulent que lui : le baron en personne, à n’en pas douter. Bien sur il y avait le cocher, problème à régler. Cela ferait deux hommes à mâter.

Vous vous dîtes maintenant : avec quelle arme s’y frottera-t-il ? comment compte-t-il s’enfuir ? Je vous dirais qu’au lendemain matin il sortit en ville, coiffé de son chapeau à plumes, cheveux déployés au tour de son visage – cheveux qu’ils commençaient à ne plus supporter, comme sa barbe laissée à l’abandon. Mais derrière ses excès pileux, on reconnaissait moins facilement le Don Gascada de l’année précédente. Lui évidement, connaissait toujours les rues et les boutiques, celles tenues illégalement surtout. Il entra chez un tailleur.

« Toi ! Sorti ! s’exclama Alvaro, un vétéran reconverti. Ses cheveux grisonnait, portés longs, et sa barbe taillée en pointe, cachaient mal ses balafres – mais ils s’en disaient fier. « En quête d’un bon cou !

—Eh oui ! Conduis-moi derrière, si tu le veux bien. »

Alvaro s’exécuta. Les pièces à l’arrière comprenaient une réserve pour le tissus, une autre pour les teintures, une encore consacrée aux armes, et fermée par une serrure dont la clef était l’une des boucles pendues aux oreilles du tailleur. Il ouvrit er introduisit son client. « Quelle chance que me trouver ! J’allais partir pour Paris.

—Que vas-tu donc faire aussi loin ?

—Veillez à mes affaires. Je possède un autre commerce là-bas. Au passage, j’y ramènerai des teintures achetés à Cadix.

—Tu descendras donc d’abord à Cadix… Vois-tu, je pourrais avoir besoin de voyager avec toi.

—Pour l’heure, que me veux-tu ? »

Don Gascada observa les armes accrochés aux murs : sabres et pistolets dont il choisit un de chaque. Alvaro lui fit remarquer que rien n’était gratuit, pas même le voyage vers Cadix. Renfrogné, il paya de ses dernières pièces. Il s’endetterait donc auprès de l’aubergiste, mais comme il allait s’enrichir puis quitter Cordoue et que sa morale se limitait à commettre les actions nécessaires à sa destinée, peu lui importait.

Don Gascada retourna en l’auberge, armés cachés sous sa veste, pour s’y restaurer, finir sa bouteille de manzanilla, allongé sur son lit, et dormir. Le bourse de Don Guzmàn de Catocràz tintait déjà à ses oreilles ; les jasmins d’Amérique, dont il avait des reproductions dans un grand ouvrage consacré à ce continent, exhalait un parfum perceptible à ses narines. Tout ce qui se présentait par sa fenêtres, de la mosquée-cathédrale au pont sur le Guadalquivir, prenait des couleurs inédites, des parfums d’outre mer. Il s’endormit plein de ces douces impressions.

L’heure sonnait d’achever le prologue d’un voyage épique : quand le soleil s’abaissait, que sa lumière orangée baignait Cordoue, il remonta la route qui partait du pont romain jusqu’à se trouver au milieu des champs, croupes verdies par des buissons autour devant lui. Il se cacha sous un bouquet de chênes vert. Voyons : il portait ses armes et sa guitare, ses vieux vêtements, son chapeau, son journal.

Il prêta l’œil et l’oreille ; un bruit de roues qui tournent et rencontrent parfois une aspérité, se discernait. Il s’élança sur la route. Le carrosse rouge rehaussé d’or apparut.

 « Holà ! Holà ! » s’écria le cocher en tirant sur les mors de ses chevaux. Don Gascada tira une balle en l’air.

« Descend de là et place-toi sur le bas côté ! »

Il fit quelque pas vers le flanc du carrosse en surveillant le cocher. Tout ne tourna pas aussi bien que prévu. On ouvrit la portière de l’intérieur ; il se la prit au visage ! Accablé par une vive douleur, il tomba aux pieds du passager qui eut l’excellente idée de l’attraper par son catogan – son chapeau chuta. Don Gascada entraperçut l’ombre d’un pistolet : alors il se donna un coup de lame : c’est à dire qu’il trancha ses cheveux pour se libérer. Une touffe inculte retomba devant ses yeux.

Dans ce bref instant, le cocher avait accourut ; Don Gascada se vit confisquer son sabre et forcer, aidé par la puissante poigne du passager, à monter dans le carrosse. Possédant toujours son pistolet, une fois assis sur le siège d’en face, Don Gascada l’en menaça ; mais une lame tendue vers son cou le força à se désarmer. Il jeta le pistolet sur le siège.

La voiture s’ébranla.

La physionomie du baron tenait du taureau, à cause de sa corpulence, de ses épaules mastoc, de son cou bref et large, de son visage carré et tendu par la colère. Il portait un manteau rouge et des dentelles.

« Je vous prierai de me rendre mes armes, Monsieur ! exigea Don Gascada avec aplomb.

—Eh quoi ! Tu parles comme un gentilhomme ! Tu es trop beau, et tu as trop de manières pour un bandit ! À quelle espèce appartiens-tu ?

—La meilleure ! Maintenant, je vais descendre après un salut poli. Donnez-moi votre argent ou d’ici ce soir mes gens auront rappliqué pour vous faire la peau, voilà !

—Ce « voilà » final révèle ton mensonge. Tu t’es fait du tort en me volant.

—Pourquoi ?

—Ne sais-tu rien de moi, toi que je reconnais comme un pauvre bandit, donc qui n’a jamais quitté les alentours de Cordoue ? On discute de moi, pourtant, dans vos cercles ! Le baron Guzmàn de Catocràz est aussi Ramonèz, le maître des bandits. Je ne suis pas une sympathique canaille, comme toi, mais un prince, un roi, qui agit ici et dans ses terres du Nouveau Monde. Attention à qui tu t’attaques ; réfléchis-y à deux fois ! Cocher ! Conduis-nous hors la ville, où tu voudras pour peu que nous soyons isolés. Attends : va pour la Médinat Azahara ! »

Gascada trembla ; il s’imagina assassiné et jeté dans le Guadalquivir. Pauvre de lui, après si peu de jours en liberté, loin d’une famille qui ne le connaissait plus ! Voilà sa destination : ni Cadix ni les Amériques, mais un fleuve !

Le carrosse roula ; le cliquetis des roues était un glas auquel, malgré lui, ses oreilles se consacraient. Le baron, sabre et pistolet sans chaque main, souriait ; il avait retournait le danger et Don Gascada se sentait bien misérable. Et sa maudite touffe qui lui descendaient devant les yeux, sans aucun chapeau pour la retenir. Outre sa liberté perdue et la descente de sa propre estime, il n’était n’était même plus présentable.

Il regarda dehors : les petits champs défilait d’un côté, de l’autre le fleuve maintenant encaissé dans les dénivelés de la Sierra Morena. Comme un couvercle vert d’or, dû à la végétation et au crépuscule, couvrait la roche grise.

Puis ils s’en éloignèrent pour un terrain plus plat, couvert d’herbes sèches, parfois ponctué de pins, d’épicé, de cèdres, de

« Nous y sommes », annonça le cocher en arrêtant les cheveux.

Le baron regarda par la fenêtre. « Parfait. »

A presque deux lieues de Cordoue, il existe un site remarquable : le Medinat Azahara, construite au dixième siècle par les musulmans et abandonné depuis on onzième. On y voit quelques bâtiments, plus ou moins ruinés, murs simples et arcs outrepassés aux ornements parfois intacts, des colonnes polychromes, des toitures en tuiles passés de couleur ; des palmiers, des pins et des cyprès. Leurs ombres s’allongeaient sur le sol ; le ciel était d’un bleu foncé.

Don Gascada s’avançait dans les vieilles cours, derrière le baron.

« Reprends ton sabre, dit ce dernier. Nous allons voir si tu es si exceptionnel que tu le prétendais tout-à-l’heure. Défaits-moi au terme d’un combat singulier et tu auras la vie sauve, outre mon estime.

—Vous me laissez une chance ?

Tu me parais fougueux et cupide. Si empressé ! Je pourrai bien encore t’offrir ma bourse. C’est cela qui t’intéressait, non ?

—Vous ne me donnerez pas cette bourse ; je vous la volerai, voilà !

—Si tu veux. »

Le baron dégaina une épée du baudrier pendu à sa cuisse ; Don Gascada para les premiers coups avec son sabre ; son bras était plus fort, sa résolution plus ferme que son aimable visage ne laissait supposer. Le baron comprit vite que sa mince physionomie était souple, tonique, sans lâcheté aucune, que son élégance ne naissait point d’une mise en scène mais de son port droit, de ses épaules, qui pour fines qu’elles fussent comparées au sienne, étaient rejetées en arrière.

Don Gascada, donc, paraît des coups simples et lents, assené pour lui faire la leçon ; il n’en avait nul besoin et le démontra lors ces coups se rapprochèrent, gagnèrent en force et se firent dangereux. Lui-même répliqua avec quelques tours à sa façon, avec toute l’ardeur de son caractère. La victoire s’offrirait à lui s’il ne prenait pas au baron de se fâcher.

« Bon, dit ce dernier, j’admets ton talent. Sois donc épargné !

—J’admets ma victoire. Donnez-moi votre bourse, et adieu !

—Pourquoi donc ? Réfléchis : à quoi t’occuperas-tu ensuite, sinon à sans cesse recommencer de piètres coups, encore et encore.

—J’ai formé quelques projets.

—Jusqu’à te faire embrocher ! »

Don Gascada fronça les sourcils. Son étrange victoire se ternit à cette remarque et à la réalité : il avait été pris. Le baron lui proposa un rendez-vous au soir suivant, ici même, pour lui proposer une élévation de sa condition, davantage que la bourse qu’il lui jeta, quelque sécurité bienvenue – un vrai travail en somme, imagina notre voleur.

« Nous verrons s’il me plaît d’honorer ce rendez-vous. Adieu, Ramonèz ! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Florent Billard ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0