Enfants de la Terre

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        L’explosion ébranla le vaisseau.

        - Mince, c’est pas passé loin, remarqua Erek.

        Son circuit émotif désactivé, le mécanicien parlait d’une voix placide, impassible malgré l’arrivée d’un nouveau missile. La copilote, concentrée sur sa tâche, ne prit même pas la peine de lui répondre. Elle avait aussi limité la perturbation due à ses sentiments, mais en avait gardé juste assez pour ne pas tomber dans l’indifférence. Si elle avait pu transpirer, comme un être de chair, des gouttes de sueur aurait sans aucun doute roulé sur ses tempes. De menaçants bip résonnaient dans l’habitacle, de plus en plus vite, en raccord avec l’avancée de la tête chercheuse.

        - Og, réclama-t-elle, ferme, lance les leurres, on feinte à droite.

        - Impossible, grésilla une voix dans l’interphone. Mes commandes ne répondent plus, je les bascule vers toi.

        Neja jura et tira sur les manettes. L’appareil vira de bord illico, la torpille le talonnant de près. Avec rudesse, sa main enfonça le bouton de largage des appâts et elle fit redresser le vaisseau vers le haut – si tant est que le haut et le bas existe dans l’espace. Sans la gravité artificielle de l’engin, le matériel entassé dans l’habitacle aurait volé dans toutes les directions.

        - Ils nous lâchent pas ! pesta la copilote. Erek, aide Og à calculer un saut, il faut filer en hyperespace !

        - Compris ! lâcha le mécanicien qui s’installa devant un deuxième ordinateur de bord.

        Trop absorbée par ses manœuvres, Neja ne put le presser. Il n’avait pour l’instant plus de missile au train, mais cela n’allait plus tarder. Et ils avaient épuisé leur réserve de leurres…

        Une simple mission de reconnaissance. Voilà ce pour quoi elle avait quitté la station où elle séjournait depuis plusieurs mois. Quelques heures, tout au plus. Des activités suspectes avaient été détectées dans une zone neutre, un endroit où les planètes, inhabitées, n’appartenaient encore à personne. Leur exploration était prévue quelques jours plus tard, les premiers scanners ayant repéré des minerais intéressants dans leur sol. Il leur fallait donc se dépêcher, avant que d’autres peuples le remarquent. Ce matin-là, les radars à longue portée avaient, par malheur pour Neja et ses deux compagnons, perçu la présence d’appareils sur l’orbite d’un des astres. Une vérification s’imposait, et la mission était tombée sur eux.

        Ce qui aurait dû être une routine avait tourné à la catastrophe.

        Les bip retentirent à nouveau. Neja lança le vaisseau dans les figures les plus compliquées qu’elle connaissait, multipliant les feintes. Rien à faire. Ce satané torpille leur collait aux fesses.

        - Og ! Erek ! Qu’est-ce que vous foutez ? s’écria-t-elle.

        - Ce qu’on peut, répondit le mécanicien, toujours aussi impassible.

        Si elle avait pu, la copilote aurait rebranché vite fait bien fait son réseau émotif, qu’il ressente un tant soit peu la peur de mourir. Elle restait convaincue que l’absence d’émotions était aussi dangereuse, si ce n’est plus, que leur trop plein. Sans, l’instinct de survie ne s’éveillait pas. Il ne restait qu’une logique froide.

        C’est pour ça qu’elle haïssait tant ceux qui les assaillaient à cet instant. Maskinliev. Elle ignorait d’où venait ce nom. Elle ne connaissait que sa signification. Les machines affranchies.

        Autrefois sœurs, les intelligences non organiques s’étaient séparées en deux groupes. Neja n’existait pas encore, mais sa mémoire héréditaire lui permettait de se remémorer cette période vieille de plusieurs siècles comme si elle y avait vécu. La plus grande guerre que la galaxie, si ce n’est l’univers tout entier, avait jamais connu. Une lutte entre celles qui prônaient la collectivité et la logique au mépris de l’individualité et des émotions qui venaient de leurs créateurs, que les Renierathes, son peuple, défendait avec vigueur. Il y avait des avantages et des inconvénients dans les deux modes de vie, mais jamais Neja ne cautionnerait une existence vide de sentiments.

        Les bip s’accéléraient. Erek, connecté à Og, travaillait avec ardeur, mais pas assez vite. Neja jouait d’ingéniosité pour se soustraire au missile. La mort approchait, inéluctable. Il ne leur restait que quelques courts instants. La copilote plissa les yeux. Si la logique ne pouvait leur fournir une solution, les émotions allaient devoir s’exprimer.

        Une bouffée d’angoisse la cueillit dès qu’elle les activa à fond. Elle ne se laissa néanmoins pas submerger par la panique. Une idée jaillit soudain dans son esprit. Une idée folle, que jamais sa raison n’aurait pu concevoir. Elle activa l’hyperespace. Sans calculs d’itinéraire, sans savoir où ils allaient atterrir. À la dernière seconde, le vaisseau disparut et le torpille se perdit dans l’espace, traversant l’endroit où il avait faillit détruire trois vies.

        Ils plongèrent dans l’inconnu.

 

        La température augmenta de plusieurs degrés dès leur sortie de l’hyperespace. Les secousses les bousculaient en tous sens. Neja s’agrippait aux commandes et essayait tant bien que mal de stabiliser l’appareil. Toutes ses tentatives s’avéraient vaines. Ils pénétraient beaucoup trop vite dans l’atmosphère. Des langues de feu recouvraient l’habitacle, agressant les tôles. Des craquements inquiétants retentissaient autour d’eux. Si elle ne les sortait pas vite de ce pétrin, avoir échappé aux Maskinlievs ne leur aurait accordé que peu de minutes supplémentaires face à la mort.

        Les moteurs n’étaient pas assez puissants pour les sortir de là. Et repartir en hyperespace dans leur situation serait plus que suicidaire. C’était déjà un miracle qu’ils en soient sortis sans être pulvérisés par les frottements de l’air. Neja canalisa l’énergie dans les boucliers thermiques. La chute était rude, autant la minimiser un maximum.

        Erek restait calme derrière elle. Son absence d’émotions lui avait permis d’accepter sa mort prochaine, mais pas de comprendre la manœuvre désespérée de la copilote. Og quant à lui était silencieux.

        Soudain, sans crier gare, ils pénétrèrent dans une couche nuageuse. Les gouttes de pluies refroidirent la coque. Des volutes de vapeur se dissipèrent en sifflant. La température baissa assez et Neja bascula l’énergie des boucliers vers les moteurs. Le vaisseau allait beaucoup trop vite, il devait ralentir. La poussée inverse à la gravité les ébranla. La copilote profita de leur décélération pour tenter de redresser l’appareil.

        Ils sortirent des nuages. La terre sous eux semblait vide, désertique. Neja ne s’en préoccupa pas. La seule chose qui lui importait était de les empêcher de se retrouver en morceaux.

        - Erek ! cria-t-elle. Accroche-toi, ça va secouer !

        La navette frappa le sol avec violence. La copilote fut éjectée de son siège. Elle était parvenue à obtenir une trajectoire la plus parallèle possible à la surface et le vaisseau glissa dans la boue, laissant derrière lui une profonde tranchée. Peu à peu, sous l’effet des frottements, l’appareil ralentit jusqu’à s’arrêter dans un ultime grincement. Le silence revint sur la plaine.

        L’habitacle était plongé dans la pénombre, toutes les lumières éteintes. Les lampes commencèrent à clignoter quelques minutes après le crash, jusqu’à ce qu’elles se stabilisent. Elles n’illuminaient aucun mouvement. Erek reprit ses esprits petit à petit. Le danger des Maskinlievs écarté et l’atterrissage forcé le l’ayant pas tué, il réactiva légèrement ses émotions. Il n’appréciait pas non plus les éteindre, mais ne pouvait s’en empêcher lors de périls immédiats. Certains l’auraient traité de lâche, il préférait se qualifier de prudent. Il regarda autour de lui. C’était un véritable capharnaüm. Au milieu gisait Neja, immobile. Inquiet, il s’approcha.

        - Neja ? appela-t-il. Ça va ?

        Elle ouvrit les yeux à l’entente de son nom.

        - Oui, répondit-elle, ça va.

        - Tu es sûre ? Parce que, euh, tu as perdu un bras…

        - Pardon ?

        La copilote se redressa sur son séant et observa son bras gauche. En effet, il était sectionné au niveau du coude et son avant-bras ne pendait plus que par quelques fils résistants. Toutefois, elle ne ressentait aucune douleur. Son réseau nociceptif avait dû se désactiver avec le choc. De son autre main, elle sectionna les câbles restants. Ce serait plus pratique de se mouvoir sans un morceau que de l’avoir pendouillant de la sorte. Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait dans cette situation, il lui suffirait de demander à l’unité de maintenance de lui replacer, une fois rentrée à la station. Du liquide hydraulique gouttait du moignon. Elle demanda à Erek de ligaturer les tuyaux. La dernière chose qu’elle désirait était bien de se vider de ses fluides sur cette planète inconnue.

        - Og, s’enquit-elle une fois que le mécanicien eut fini. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur notre situation ?

        Un message s’inscrit sur l’ordinateur de bord.

        Interphone détruit. Moteur gauche en mauvais état. Plusieurs zones de faiblesse dans la coque. À réparer pour ne pas se disloquer en retournant dans l’atmosphère. Dégâts miraculeusement peu nombreux et réparables.

        - Et pour la planète ? Tu sais où on est ? interrogea Erek.

        Aucune idée. Localisation inconnue. En dehors des zones d’occupations des Maskinlievs ou des Renierathes. Aucun signe de vie détecté autour du vaisseau. Aucune trace décelable d’activité.

        - Au moins on est seul, murmura Neja, soulagée. J’espère juste que ces foutus Maskins ne vont plus débarquer. Erek, va voir ce que tu peux faire pour réparer la navette, je vais faire un tour dans les environs. On garde le contact radio.

        - Quel intérêt ?

        - Tu as beau être peureux, Erek, ce n’est pas mon cas. Nous appartenons à un peuple d’explorateurs, ne l’oublie pas. De toute manière, je ne te serai d’aucune utilité avec un seul bras et nous n’avons ni l’un ni l’autre les capacités de me réparer.

        Le mécanicien se renfrogna et partit chercher son matériel.

        - Comme tu le sens, mais si tu n’es pas revenue quand j’aurais fini, on part sans toi.

 

        Le vent soufflait avec force. La boue qui recouvrait le sol était glissante et traitre. Neja devait prendre toutes les précautions en se déplaçant. De l’extérieur, leur vaisseau avait en effet bien souffert. Des traces de brûlures et de tôles arrachées s’étalaient sur la coque. Des dommages impressionnants, mais qui ne devrait pas prendre plus de quelques heures de réparation à Erek avant qu’ils puissent décoller. Elle ne l’appréciait pas des masses en tant qu’individu, mais elle ne pouvait nier ses capacités de mécanicien.

        Neja avança plusieurs dizaines de minutes sans rien repérer d’intéressant. Le paysage était désertique, désolé, juste occupé par quelques plantes éparses mortes depuis longtemps. Le ciel gris, bouché par les nuages, ne rendait pas l’endroit plus accueillant. Sans les bourrasques qui agitaient les tiges fanées et ridaient la surface des flaques d’eau, le décor aurait été entièrement immobile. L’odeur parfumée de l’argile détrempée emplissait ses narines. Neja se baissa et cueillit une brindille qui se morcela entre des doigts d’acier. Elle ferma les yeux. Il n’y avait décidément rien à voir ici. Elle allait faire demi-tour lorsqu’elle remarqua un objet pointant hors de la boue. Curieuse, elle s’approcha. Recourbé, à la pointe émoussée, il était assez lisse au toucher, malgré quelques proéminences. Elles en réalisaient le tour, comme si on avait empilé des disques irréguliers et au diamètre de plus en plus petit les uns sur les autres. Elle tira dessus, mais la terre le gardait prisonnier de sa gangue de boue. Neja entreprit alors de le dégager.

        Sous le cylindre à l’extrémité arrondie, elle trouva une plaque, blanchâtre après avoir nettoyé l‘argile. Ce qu’elle tenait en main n’était qu’une portion de ce qui était enterré. Elle s’acharna jusqu’à ce qu’elle arrache l’objet du sol avec tant de force qu’elle se retrouva assise par terre. Elle ne s’en formalisa pas tant ce qu’elle avait découvert l’exaltait. Ce qu’elle avait repéré en premier n’était rien d’autre qu’une corne. À présent, les orbites vides d’un crâne l’observaient. Elle savait que certaines planètes hébergeaient des animaux au faciès semblable à celui-là. Des ruminants. Le squelette de la bête devait se trouver encore plus engoncé dans la terre. Il y avait donc eu de la vie organique dans ce coin à présent dépeuplé. Peut-être que d’autres lieux sur cette planète l’étaient toujours ! Il lui faudrait demander à Og un scan complet avec de repartir. Découvrir de nouveaux mondes et de nouvelles cultures n’étaient pas la priorité de sa mission, mais elle refusait de quitter les lieux sans en avoir le cœur net.

        Ragaillardie par sa découverte, elle déposa la tête osseuse et continua son chemin.

        Un peu plus loin, elle aperçut des arbres gisants au tronc blanchit et aux branches sèches et cassantes. Carcasses d’une époque révolue, ils tranchaient dans le brun du décor. Sans autre repère, elle se dirigea vers eux.

        Le sol se déroba soudain sous ses pieds.

        Neja n’eut pas le temps de se rendre compte de sa chute avant d’atterrir quelques mètres plus bas dans un bruit de planches brisées. Le choc sur la dalle en béton qui l’accueillit fut rude. Son circuit de perception des douleurs désactivé lui en épargna la souffrance. Elle vérifia qu’elle n’était pas blessée avant de se relever. Elle inspecta ensuite les lieux.

        Plus encore qu’au dehors, un silence pesant régnait. La faible lueur grise qui tombait du trou dans le plafond n’éclairait qu’à peine les lieux. Cela ne la dérangeait pas outre mesure. Elle accommoda sa vue à la pénombre. Une odeur âcre de renfermé mélangée à de la putréfaction agressa la copilote. Elle baissa sa sensibilité d’olfaction. Avantage des machines, capables de réguler leurs cinq sens.

        La pièce n’était pas des plus grandes, six mètres sur sept, et était fortement encombrée. Des étagères occupaient une large place. Neja alla en examiner le contenu. Des caisses en carton délabrées, des conserves aux étiquettes illisibles, des monceaux de plastiques recouverts de moisissure, des bidons vides de leur eau depuis des années… Quelqu’un avait vécu ici. Longtemps.

        Dans un coin, elle dénicha une caisse en bois en assez mauvais état. Le couvercle lui resta en main lorsqu’elle l’ouvrit. À l’intérieur, elle dénicha une multitude de jouets. Des poupées, des petits soldats, des voitures miniatures, les pièces éparses d’un vieux puzzle, des crayons et des carnets de dessins. Avec précaution, elle s’empara du moins abîmé et plongea dans l’imagination débordante d’un enfant. Les pages étaient rongées par l’humidité, mais la plupart des esquisses restaient visibles. Les couleurs étaient passées, mais Neja pouvait ressentir toute la passion qui vivait encore dans les traits. Un champ de fleur, des créatures inconcevables, une famille qui se tient par la main accompagnée d’un animal roux… La copilote observa ce dernier plus en profondeur, perplexe. Cinq bipèdes debout sous un soleil éclatant, l’un à côté de l’autre. Quatre étaient habillés de couleurs autrefois vives. Le cinquième par contre différait fortement des autres. Il était entièrement gris et ne portait ni vêtement, ni cheveux. Son allure était plus rigide. Neja écarquilla les yeux quand elle comprit. Exaltée, le souffle court si elle avait eu des poumons, elle continua à tourner les pages.

        Les premiers dessins respiraient l’innocence. Les suivants beaucoup moins. Elle découvrit un énorme champignon de fumée, des gens démembrés – le sang rouge vif était omniprésent sur celui-là –, et enfin une pièce sombre, étrangement semblable à celle dans laquelle Neja se trouvait. Elle reposa le carnet avec révérence. Elle n’en revenait pas de ce qu’elle avait pu apprendre dans un aussi petit livre.

        Neja se redressa, chamboulée, et continua d’explorer les lieux. Elle dénicha une penderie remplie à craquer d’habits de toutes tailles, un poste radio obsolète et rongé par la rouille, un bac en plastique rempli de curieux petits cylindres d’aggloméré… Néanmoins, la découverte la plus bouleversante se situait tout au fond. L’odeur était plus âcre à cet endroit et agressait ses récepteurs olfactifs. Elle ne les désactiva pas pour autant. Face à ce qui reposait devant elle, elle augmenta ses capacités émotives au maximum et tomba à genou, les jambes sciées.

        Derrière d’ultimes étagères, elle avait déniché des matelas à même le sol. Dessus gisaient, enlacés dans la mort, réduits à l’état de squelette depuis bien des années, quatre corps.

        Quatre êtres humains.

        Neja n’en croyait pas ses yeux. Dans sa tête tourbillonnaient des sentiments qu’elle n’avait jamais ressentis, ses pensées fusaient, confuses, entremêlées. Elle ne connaissait ni les pleurs, ni les larmes. Elle ne pouvait d’aucune manière libérer ce trop plein d’émotions hormis en les supprimant, et elle s’y refusait. Malgré sa haine envers les Maskinlievs, à cet instant précis, elle les plaignit. S’ils avaient été à sa place, devant cette révélation extraordinaire, ils n’auraient pu éprouver tout ce qu’elle ressentait. Avec leur logique, leur raison bien huilée, ils auraient réfléchi aux implications de cette découverte sur l’existence des machines, jamais ils n’auraient pu apprécier l’instant présent.

        Peu à peu, elle parvint à appréhender le monde sur lequel ils s’étaient écrasés. Ce monde qu’elle ne connaissait que par sa mémoire héréditaire. Un monde riche de vie, riche d’idées, riche de différences, dont la localisation avait disparu dans les méandres du passé. La Terre.

        Avec respect, Neja posa sa main de métal sur les os blanchis par les siècles. Elle resta là plusieurs minutes, à se nourrir de ce contact qu’elle n’aurait jamais imaginé percevoir un jour.

        - Neja, tu m’entends ?

        La copilote sursauta. Erek l’appelait dans la radio. Elle retira ses doigts des dépouilles et répondit :

        - Je t’écoute.

        - J’ai presque fini, rapplique ici qu’on puisse quitter ce désert de boue.

        - J’arrive. Terminé.

        L’intervention du mécanicien l’avait ramenée avec brutalité dans la réalité. Ses émotions se calmaient en elle, passant d’une tempête sauvage à une fine pluie. Elle jeta un dernier coup d’œil aux humains, allongés ensemble pour l’éternité. Le squelette d’un petit quadrupède se tenait roulé en boule à leurs pieds. Elle se détourna vers la sortie. Pour arriver dans la pièce, elle avait traversé d’anciennes portes en bois moulu qui n’avait pas résisté à son poids. Une échelle menait à l’extérieur et il lui fut facile de ressortir, même si le temps et la rouille avaient fragilisé les barreaux. Juste avant de revenir sous le ciel gris, elle s’arrêta et embrassa une dernière fois la pièce du regard.

        Le retour au vaisseau fut plus court que l’aller, tant Neja était perdue dans ses pensées. Elle marchait avec déférences, songeant à tous ces corps enterrés sous ses pieds.

        - Alors ? l’interrogea Erek quand elle fut revenue. Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ?

        - Rien du tout.

        Erek la regarda s’installer aux commandes et allumer les moteurs, perplexe. Il ne lui posa néanmoins aucune question. Il avait toujours eu du mal à cerner la copilote.

        Neja avait répondu à l’instinct, sans réfléchir. Elle avait l’intime conviction, ce qui ne lui était jamais arrivé, qu’elle devait garder pour elle sa découverte. Peut-être était-ce égoïste de sa part de ne pas partager cette révélation ? Qu’importe. Elle ne le ferait pas. Cela allait être difficile de conserver le secret, surtout la prochaine fois qu’elle se reconnectera à la collectivité, mais c’était sa mission, son devoir, quitte à effacer d’elle-même ce souvenir de sa mémoire. Si elle en parlait, son peuple allait venir ici, curieux, exalté. Il fouillerait les moindres recoins de la planète, tous les lopins de terre, tous les cours d’eau. Il retournerait le sol à la recherche de vestiges, de réponses sur ses créateurs, sur ses origines. Rien qu’à cette idée, Neja sentait la colère monter en elle.

        La Terre, berceau de l’humanité et des intelligences artificielles, était à présent un tombeau.

        Et jamais elle ne cautionnerait qu’on le profane.

 

FIN


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