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Nous roulions en direction de l’ouest vers le château de … dans la Tesla modèle S, version Plaid. Je déteste cette voiture. Je me sens bien dans la Bentley, à la rigueur dans l’Aston… mais Béa trouve ces véhicules trop ostentatoires pour la France. J’aime le feulement du W12 de la Bentley Continentale et sa consommation gargantuesque. C’est trop fun. Mais une voiture électrique qui conduit toute seule ? C’est un non-sens.

Béa, péremptoire plaque toujours sa sentence :

— On va se faire dépouiller et égorger ! Tu es complètement inconscient, mon pauvre ami ! C’est peut-être ce que tu cherches ? Tu ne m’as jamais aimée…

Ne jamais laisser Béa s’aventurer dans les considérations sentimentales.

— À quoi te servent toutes tes voitures alors ?

— Des folies de mon idiot d’ex-mari dont je me débarrasserai ! Que reproches-tu à cette voiture ! Un silence total, une douceur...

— Toujours à surveiller la batterie… C’est usant !

— Mais non !

Ainsi nous roulions en silence, Béa prit la parole, comme après mûre réflexion :

— Laurent, il faut que je t’explique… Au sujet de notre séjour…

— Ah… Je m’attends au pire... Je sens que je ne vais pas aimer ! Il faut encore que je me fasse passer pour...

— Mais non ! C’est notre commité de soutien littéraire qui fait sa réunion annuelle et décerne ses subventions aux auteurs méritants...

— C’est cool ! Tu aurais dû m’en parler avant ! Mon nouveau roman...

— Justement non ! De toute façon, je n’aurais pu, en conscience, te favoriser… Tu le comprends bien… Je suis membre du jury ! Et puis… Il faut que tu le saches ! Tu n’es pas un écrivain mon ami, tu perds ton temps dans cette voie, je dirai même plus, tu gâches ton talent, car tu es un homme plein de ressources. C’est fou cette capacité à trouver une solution aux pires problèmes… Pardonne ma franchise, mais il fallait que je te le dise. Tu devrais te concentrer sur les choses importantes, te caser enfin, aimer une femme...

Non, je n’écoutai plus le bavardage pompeux de Béa. Cette femme est capable de me poignarder avec telle désinvolture. J’eus envie de foutre la voiture dans la glissière de sécurité. Non pas que je crusse un seul instant avoir le moindre talent d’écrivain… mais qu’on me le dise comme ça… je me sentais une merde. J’avais envie de mourir.

Je restai silencieux. Béa aussi.

— Laurent, tu ne tiens pas le volant ? s’étonna Béa.

— La voiture conduit toute seule. Je crains de ne pas avoir le moindre talent de conducteur.

— C’est un système expérimental ! Conduit ! Tu veux nous tuer ?

— Non. Je ne conduis pas ! Je ne conduis plus ! C'est fini !

— Laurent ! Tu m’en veux, je le sens. Tu es doué pour me soigner et soigner les gens ! Pas pour écrire ! Tes écrits… Mais tu es trop sexiste mon pauvre ami, aucune femme ne peut apprécier ta prose impertinente et ton dénigrement systématique ! Tu es trop… politiquement incorrect !

— Je suis trop…

Soudain, m’attrapant le bras, dans un geste pathétique.

— Tu veux nous tuer, c’est ça ? dit-elle, intense.

— En gros ? Oui ! Enfin, surtout toi.

— Mourir avec toi… Ça ne me dérange pas ! J’ai déjà tenté de mourir pour toi… Mais tu t’en fiches !

Malheureusement, la voiture prit la sortie pour aller rejoindre la borne de recharge rapide. Je hais la Tesla ! Elle s’arrêta sagement, c’était dérisoire ; non, je n’aurais pas droit à une fin grandiose. Je n’avais aucun talent, voilà !

Il fallut attendre la recharge. J’allai marcher, broyant du noir, méditant sur mon destin de misères.

Comme toutes les femmes qui attendent, Béa avait la tête dans son téléphone, son annexe mentale.

Le ciel était bleu, les oiseaux chantaient comme des idiots. Ils me cassaient les pieds.

Je shootai dans un caillou. Béa sortit de la voiture et vint à moi :

— Laurent tu as couché avec Mathilde?!

Mathilde est la fille de Béa. Elle court vers la trentaine dodue, aigrie par les revers sentimentaux, m’en voulant pour d’obscures raisons que seul un cerveau féminin peut comprendre. Elle n’était qu’ébauche, j’en avais fait une junkie du sexe. Était-ce légitime de m’en vouloir à mort ? Je donne de l’amour aux gens sans compter, voilà mon crime.

— Heu… Non ! m’indignai-je.

— Tu as couché avec ma fille ?!

— Qui raconte cette ineptie ?

— Elle !

— Elle a perdu la boule ! Tu sais qu’elle est complètement parano. Elle pense que je vais te voler tout ton fric et qu’il ne restera rien à hériter. C’est une grippe-sou ! Elle est trop grosse de toutes façons !

— Elle est ronde, elle n’est pas grosse !

— Ouais… Enfin… Elle abuse quand même de mentir comme ça. Jamais, tu m’entends, JAMAIS !

Béa haussa ses fin sourcils, dubitative.

— Laurent ! Mais tu es incroyable ! Je suffoque ! J’hallucine ! J’hyperventile !

— Elle ment ! C’est une mytho complète ! Tu le sais bien quand même ! Une droguée aux antidépresseurs !

— Toutes les femmes sont obligées de se gaver de tranquillisants avec les hommes et leurs turpitudes ! Et dire que j’avais de la peine pour toi… Que j’étais prête à… Mais quel salaud !

— Je suis innocent ! Jamais j’aurais fait ça ! M’enfin, tu me connais !

— Tu nies ?

— Je nie catégoriquement. Tu vas croire ta fille ou moi ?

— Mais mon ami, c’est pourtant simple, aucune femme ne peut te croire ! Tu en as trop fait !

— Ah d’accord ! Alors, je sais ce qu’il me reste à faire.

Et d’un pas décidé, je m’éloignai de la voiture en direction de la station service.

— Laurent !

Je restai silencieux, imperturbable. Mains dans les poches, je marchai droit devant, comme un con libre et pauvre. C’est alors qu’elle poussa un cri déchirant :

— Laurent !

J’entendis dans mon dos le claquement de ses escarpins. Elle m’agrippa :

— Tu n’as pas le droit de m’abandonner ! Ici… En plein milieu de ces… gens… Pourquoi me fais-tu tant de mal ? C’est de la cruauté !

— C’est moi qui suis dans la merde, paumé sans voiture sur une aire d’autoroute, sans rien, une main devant, une main derrière et c’est toi qui te plains ? Je rêve ! J’ai même pas une tune sur moi !

Elle me regarda ardemment. Dans ses yeux je lisais le délire le plus total d’une femme paumée. Il y avait là une opportunité. J’embrassai Béa. Elle se laissa défaillir dans mes bras.

De retour à la voiture, la charge était terminée : c'est du rapide, mais au prix que ça coute c'est le minimum. Ce véhicule sans saveur attendait. Nous reprîmes la route.

— Laurent, m’aimeras-tu un jour ?

— Je t’aime, c’est une évidence.

— Combien veux-tu ?

— Donne mille boules… Ça me fera digérer mon manque de talent.

— Tu es odieux ! Pourquoi je t’aime ?

— Je baise bien ?

Béa leva les yeux au ciel. Non, je ne suis pas odieux. Je suis pauvre. Nuance.


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