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Sous la surprise et l'envie, la vessie de notre victime favorite se vide dans sa combi, aussitôt traitée et servie dans un verre de bière.

Aaah ! Mais ça suffit de m'enlever !

L'Architexte démêle ses ventouses de la colonne de grès.

Hm ? Ça semble faire diiix miiille ans que nous ne nous sommes pas revuuus ! Tu m'as laissé tooomber pour des îles tropicales, et des chats, et des ninjas.

— C'était les deux. Un ninchat.

Le céleste créascribe laisse tomber ses tentacules, changé en calmar céladon pour l'occasion.

Miiilo, Milo, Milo... Ce jeu de mots est bieeen en-dessous de moi, et de toi, et de cette puce-là.

Il tient entre ses extrémités un insecte chapeauté qui salue le portenappé avant de s'élancer vers de plus vertes vallées.

Maaaais bon ! Comme le dit si bien le dicton : « Tout touilleur taillant tien tilleul tend à yoyoter tien yacht à toutou. » Ça ne veut rien dire, mais je trouve que c'est aaassez dans le ton.

Milo hoche la tête, aussi perdu qu'un bonobo asexuel. Il égare son regard hagard sur l'art épars qui pare un hangar blafard.

L'Architexte pose un tentacule mouillé sur un tableau abstrait qui prend un pan de mur entier.

Puisque tu es lààà, mon p'tit Milo, dis-moi pourquoi les humains paient pour voir des gribouillis d'enfant.

— « Des gribouillis d'enfant » ?! C'est l'œuvre d'un grand artiste ! Enfin... j'imagine.

Aaah bon ? Mais même toi, tu pourrais faire ça.

— Mais je ne l'ai pas fait !

Ce disant, Milo sait qu'il répète les mots usés des guides de musées.

C'est la différence entre l'artiste et le public, qu'ils disent.

Ouiii, eh bien j'ai chié devant ta pooorte, ça ne fait pas de moi un artiiiste.

— Ma... ma porte ?

Ce n'est pas cooomme siii tu allais l'utiliser : elle a grillé, permets-moi de te le rappeler.

Une larme fait du saut à l'élastique depuis les canaux lacrymaux de Milo, et salue sa morve au nez.

Architexte... Pourquoi est-ce que vous continuez à me kidnapper ? C'est pour une vengeance ? Je vous ai blessé ?

Hmmm... médite la fougère tentaculaire en se grattant le pseudo-menton. Je te répondrai seeeulement et seulement si tu arrives à boire ceci ! Hin, hin, hiiin...

L'orange-bleuté lui tend une tasse couverte d'autocollants d'avertissements, et Milo vide d'un trait le cappuccino fort goûtu.

Oh... Ouaoh, fait l'Architexte, les pinnules rondes comme une routourne.

— Donc ? Ma question ?

Maintenant qu'il a bu du café, il a de l'énergie à dépenser.

Aaah, petit homme. Tu crois que parce qu'il exiiiste de telles choooses que l'ooombre et la lumièèère, l'espoooir et le désespoooir, alors il doit y avoir du bien et du maaal. Que tout sous les cieux doit choisir l'uuune ou l'aaautre catégorie. Mais la plupart des choses s'y dérobent, s'égaaarent quelque paaart sur le continuum. Elles s'habiiillent en teeeintes de gris, peut-être mêêême aux couleurs de l'arc-en-ciel ; en nuances d'orange et de bleu.

Milo fronce les sourcils, cherchant le fil de sa pensée comme si ses follicules pouvaient le lui pêcher.

Le blaaanc et le noooir ne sont ni bons ni mauvais : nul besoin pour eux d'obéiiir à des concepts humains. Qu'est-ce que la mooort ? Qu'est-ce que la viiie ? Le sommeil est-il le fief de la faucheuse ? Et le coooma ? Un fœtus gros de quelques cellules ? Est-ce nécessairement l'un ou l'autre ?

Milo se masse les tempes. Quel rapport avec les portes ?

Et quid des météooores ?

Oui, quid des météores ?

Ces braaaves roches qui bravent des millions d'années-lumières pour s'écraser en feux d'artifiiices, tels des insectes sur le pare-brise inter-sidéraaal !

Milo s'en convainc à peu près : l'Architexte essaie de changer de sujet.

Plus ils décooouvrent notre réalité, plus vos chercheurs, philosophes et érudits se confrontent à la mêêême question : « C'est quoi, ce bordel ? »

L'Architexte scrute Milo, et ce dernier cesse de béer ; comprend qu'on l'attend pour parler.

Mais c'est... c'est vous, non ? La raison de tout ce qui est... bizarre ?

Ha, ha, ha ! Qu'il est drôôôle ! Je t'envoie du respect par l'AstroPoste, attends.

Il lèche un timbre bleu abysse et orange fluo, qu'il colle sur une enveloppe végétale saumon et bleu turquin, qu'il confie au matelot – lequel l'ouvre, comme s'il n'avait pas vu de ses yeux qu'elle ne contient rien.

Il soupire, déçu sans raison de s'être emballé.

Moi aussi, il m’arrive de me poser des questions existentielles auxquelles je n’aurai jamais de réponse.

Sa nouillesque majesté hoche vigoureusement la simili tête.

Par exemple : est-ce que l’auteur de J’ai la Quéquette qui colle savait qu’il composait une œuvre intemporelle ?

Uf ! Tu jettes des froids comme des patates chaudes, mon petit Milo-bulot ! Même si c'est maaal de parler d'espèces en voie de disparition comme çaaa pour rien. Vilain, vilain Architexte !

Il se fouette de ses propres frondes, et Milo songe qu'il est grand temps de s'éclipser. À tout hasard, il emprunte la porte des W.C..

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